Hier matin me revenait, à la faveur du beau temps (et de la tempête annoncée pour la nuit), l'expression entendue en Poitou: « le temps écoute ». Je me rappelais aussi une conversation que nous avions eue, il y a quelques années, avec mon ami Joan-Pèire Tardiu, merveilleux poète et connaisseur de l'occitan et des langues romanes. Il m'avait parlé à cette occasion de Jean Jaurès, mais je n'en étais plus certain.
Hier soir, il a dissipé mes doutes, et mes craintes: le silence de mauvais augure n'a heureusement pas tenu ses promesses. La tempête est passée (bien plus haut), elle n'a pas été trop méchante. Finalement, l'occitan a raison: si lou tèns es ausenc, si, comme l'entend Jaurès, et comme il le traduit, le temps est « entendif », le mot exprime seulement « cet état de l'air qui est pour le son ce que l'absolue transparence est pour la lumière. » Il n'y a pas de menace dans cet air. Pas plus que de tempête à redouter dans ce silence anormalement transparent. C'est moi qui ai rêvé. C'est bien ce que me dit Joan-Pèire Tardiu, dans sa réponse.
« C'est avec beaucoup d'émotion que je lis - ou relis : ai-je moi aussi rêvé ? - ton texte sur le temps qui écoute, en écho lumineux à la prose de Jaurès dans l'article ''L'esprit des paysans'' (La Dépêche, 10 novembre 1889) qui est effectivement la source de ce que tu as retrouvé comme en songe:
'' Les paysans s'ennuient dans les lieux clos et bas. Evidemment, ils se nourrissent, à leur insu même, des grands horizons. Un soir, je causais avec un laboureur, au sommet d'un coteau qui dominait une grande étendue de pays. L'air était transparent et calme, nous regardions la montagne lointaine d'un bleu sombre qui fermait l'horizon. Il nous sembla entendre un murmure très vague qui arrivait vers nous : c'était le vent du soir qui se levait au loin sur la montagne, et, dans la tranquillité merveilleuse de l'espace, le premier frisson des forêts invisibles venait vers nous. Le paysan écoutait, visiblement heureux, il me dit en son patois : 'Lou tèns es ausenc'. L'expression est intraduisible dans notre langue ; il faudrait dire : le temps est entendif. Le mot exprime cet état de l'air qui est pour le son ce que l'absolue transparence est pour la lumière. Mais de pareils mots n'indiquent-ils pas, mieux que bien des effusions, la poétique familiarité du paysan avec les choses ? ''
Et Frédéric Mistral, dans son monumental Tresor dou Felibrige (1878-1886) propose les traductions et exemples suivants :
Ausènt, ausent, et ausent (l.), auden (bord.) ( lat. Audiens) , adj. Qui laisse percevoir les sons, calme en parlant du temps, v. sol, siau.
Fasié 'n tems bou, poulit, ausent.
Auguste Fourès
Tras l'aire ausent.
Louis de Ricard
R. ausi. »