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28 février 2017 2 28 /02 /février /2017 14:58

 

Rien ne « manque », dans les Essais. Tout est « à dire ». C'est le constat que fait Joan-Pèire dans le message qu'il m'a envoyé aujourd'hui, 28 février 2017, parce que c'est l'anniversaire de Montaigne, et qu'on n'a pas besoin de Facebook pour fêter ça avec lui.


 

 

Cher Denis


 

Pour compléter un peu ma réponse, je ne résiste pas au plaisir de reprendre trois passages des Essais où Montaigne utilise, pour la notion de manque, l'expression « à dire », dans trois contextes qui vont du plus grave au plus « plaisant», si je peux m'exprimer ainsi.

D'abord à propos de la faculté de se donner la mort (« La plus volontaire mort, c'est la plus belle »), gage de liberté dans la vie qui, sinon, ne serait que servitude:

« Le vivre, c'est servir, si la liberté de mourir en est à dire »

(Livre II, chapitre III, p 386 de l'ancienne édition de la Pléiade, celle de Thibaudet)

Ensuite, contre l'affectation et la recherche en poésie:

« .. je voy que les bons et anciens Poëtes ont évité l'affectation et la recherche, non seulement des fantastiques elevations Espagnoles et Petrarchistes, mais des pointes mesmes plus douces et plus retenues qui sont l'ornement de tous les ouvrages Poëtiques des siècles suyvans. Si n'y a il bon juge qui les trouve à dire en ces anciens, et qui n'admire plus sans comparaison l'egale polissure et cette perpetuelle douceur et beauté fleurissante des Epigrammes de Catulle, que tous les esguillons dequoy Martial esguise la queuë des siens. »

(Livre II, chapitre X, p 453 de la Pléiade de Thibaudet)

Et enfin, en ce qui concerne les mœurs alimentaires, dans le fameux chapitre XIII du livre III, où il évoque de façon générale diverses habitudes dont il ne peut plus se défaire en raison de son grand âge (« m'estant en vieillissant plus arresté sur certaines formes »... avec l'idée, en particulier, qu'il ne peut « ni fayre des enfans qu'avant le sommeil, ny les faire debout », ou encore qu' « il (s') aide peu de cuillier et de fourchette » et donc qu'il « souille » les serviettes blanches « plus qu'eux (=les Allemands) et les Italiens ne font ), et où, pour ce qui est du « manger » lui-même, éprouvant parfois le besoin de se mettre au régime - pour formuler un peu anachroniquement les choses- il exige qu'on le « mette à part des soupeurs » quand «( il) veu(t) jeuner », sans quoi il cède immanquablement à la tentation de la nourriture (Montaigne tout craché, là aussi !):

« Ceux qui doivent avoir soing de moy pourroyent à bon marché me desrober ce qu'ils pensent m'estre nuisible: car en telles choses, je ne desire jamais ny ne trouve à dire ce que je ne vois pas; mais aussi de celles qui se presentent, ils perdent leur temps de m'en prescher l'abstinence".

(Livre III, chapitre XIII, page 1238 de la Pléiade de Thibaudet)

Et dans cette même édition, « à dire » figure, entre autres, page 386, 453, 479, 526, 658, 665, 666,1143,  1238... et passim, comme on dit, si bien que je me demande même si « manquer » s'y rencontre! 

Voilà, pour compléter un peu ta collection, et - je ne te le cache pas- pour le plaisir de « m'y essayer », encore une fois, en la gratifiante compagnie du  grand Périgourdin : sacré Montaigne!

 

Bonne journée, cher Denis, malgré la pluie.

Mon amitié

jp


 

 

 

Saint Germain (ancienne annexe de la paroisse du Temple-sur-Lot).

Saint Germain (ancienne annexe de la paroisse du Temple-sur-Lot).

Saint Germain

Saint Germain

Saint Germain

Saint Germain

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commentaires

P
Parole! j'ignorais tout de cette si belle lettre en amitié, les services bloguesques m'ayant rayé de leur liste d'alerte... malheur et damnation. Pourtant c'est à Montaigne que je revins -on y reviens toujours, toujours- en un mien lieu de mots. Personne n'y trouvera à re-dire.<br /> Merci Denis pour le partage.
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D
J'aime que "manquer" manque. Et qu'il y ait tant "à dire". Et plus que jamais Montaigne.