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3 février 2020 1 03 /02 /février /2020 10:15
GRUAUD LAROSE

Il me fallait un rosier. De toute urgence. Un rosier qui fasse des roses pâles, très anciennes et très odorantes. Vous avez ça ? Genre Pierre de Ronsard, vous voyez, ma voisine en a un en pot, elle en est très contente. C'est un rosier grimpant, m'explique le pépiniériste. C'est ce que vous voulez ? Le mettre en pot, oui, dans un grand pot, un très grand pot, une très belle poterie, très romaine vous voyez. Mais je ne le veux pas grimpant. C'est pour ma terrasse. J'ai ce qu'il vous faut, me répond-il, et il me tend un Gruaud Larose.

Moi, j'avoue, je ne suis pas emballé. Je n'aime pas ce nom. Un nom dont je dirais si j'osais qu'il ne sent pas bon. Mais je n'ose pas, et plutôt que de lui dire que j'aurais du mal à vivre à côté d'un Gruaud Larose, à partager mon intimité avec un nom comme ça, qui évoque la bouillie qu'on voulait me faire avaler dans mon enfance, d'où mon aversion pour les flocons d'avoine au petit déjeuner, même en Écosse où un scottish breakfast pourtant ne me fait pas peur, avec sa tranche de haggis, d'où mon refus de manger ces préparations à base de blé ou d'orge perlé que parfois on me sert, j'accueille sans enthousiasme le Rosier à grandes fleurs qu'il me tend.

D'abord je devrais préciser que je compte l'installer sur la terrasse mais à côté de ma chambre, au pied de mon lit, mais ce serait rentrer dans les détails et lui raconter ma vie. Parfaitement indécent. Il me faudrait ajouter qu'un mur seulement me séparerait de lui, un mur de parpaings, ce qui est peu. Que si je l'installe là, c'est pour profiter du spectacle qu'il m'offre chaque matin quand j'ouvre la porte-fenêtre, les volets, pour que son parfum délicat me caresse au réveil, me mette de bonne humeur. Mon rêve n'est pas de me retrouver nez à nez avec un Gruaud Larose. De vivre dans une telle promiscuité. Est-ce qu'il comprendrait ça, mon pépiniériste ? Est-ce qu'il m'accorderait un tout petit peu de son précieux temps? Est-ce qu'il me prêterait une oreille attentive, une seule ? Il a autre chose à faire un samedi après-midi. D'autres clients à renseigner. D'autres demandes incongrues à satisfaire. Il n'a pas le temps de m'écouter. Ou il n'en a rien à foutre. Un rosier à 14,80 euros, on ne va quand même pas y passer la journée. Je préfère me taire et payer. Par carte. Un Gruaud Larose et un sac de terreau (universel), ça fait 23,60 EUR, ce n'est quand même pas la mer à boire.

Certes, j'aurais préféré une Cuisse-de-Nymphe, mais il ne m'en a pas proposé. Ou je n'ai pas été assez clair dans ma demande. Je l'aurais précisée, je n'aurais peut-être pas été mieux entendu. Que peut-on espérer de quelqu'un qui n'a pas lu Colette, qui n'a rien de mieux à me proposer, pour mon jardin, qu'un Gruaud Larose ?

Un Gruaud Larose que j'ai installé, bien obligé, dans son pot. Un pot bleu, sur la terrasse orangée, avec une Cuisse-de-Nymphe, ça aurait une autre gueule. On penserait au Jardin Majorelle, au Maroc où a voyagé Colette. On voyagerait avec. Et avec mon jardin où il y a déjà des lavandes, un cyprès, un palmier, un olivier, un figuier, un buddléia. Où il y a désormais, qui fait tache dans le tableau, dans ce tableau que je voulais provençal, un Gruaud Larose !

La cohabitation sera certainement difficile, au début, mais nous nous ferons l'un à l'autre. Nous apprendrons à nous connaître. Nous nous apprivoiserons. Quand il embaumera comme je l'espère, je le regarderai autrement. Comme un ami de longue date. Comme le coq que je prenais plaisir à saluer, dans mon jardin en Tunisie. Ce rosier à grandes fleurs me rappellera Aïn Draham. Il me fera voyager. Retrouver mon unité perdue.

Car ce nom, quoi que je dise, ne m'est pas complètement étranger. Je crois l'avoir déjà lu. Sur un bouchon. Ramassé sur une plage de l'île de Ré. La plage de l'Aile du Peu. Les Portes-en-Ré, c'est le bout de l'île. L'endroit le plus cher. La preuve, ce bouchon. Ce Château Gruaud Larose. Je m'étais fait cette remarque idiote. Qu'un pique-nique, chez les riches, c'était ça : une bouteille de Château Gruaud Larose. Que l'on cuvait tranquillement à l'ombre, dans le joli bois de Trousse-Chemise.

C'est une autre chanson. Cela change tout. Mon Gruaud Larose n'est pas en boutons que déjà un parfum envahit ma chambre. Celui des mimosas que j'étais allé voir ce jour-là (il y a quinze jours), respirer devrais-je dire. J'en avais marre de la pluie, et c'était un beau dimanche de janvier. Un dimanche à mimosas. Et à bouchons sur la plage. Sur la plage de l'Aile du Peu.

Mon jardin a tout de suite une autre allure. Avec son rosier qui buissonne à grandes fleurs, ses grandes fleurs doubles très charnues, d'un coloris blanc crème au cœur rosé et dégageant un parfum puissant.

GRUAUD LAROSE
GRUAUD LAROSE
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commentaires

P
Denis, il fallait demander à ton pépiniériste un rosier "Duchesse de Montebello" ! Rose, comme il se doit. Et s'il n'en avait pas, insister pour qu'il te le commandât ; et pour le remercier lui offrir un livre de Colette !
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