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20 novembre 2021 6 20 /11 /novembre /2021 07:08

 

What's in a name?, se demandait Shakespeare. Ou plutôt Juliette. Che cosa c'è in un nome? « Qu'y a-t-il dans un nom ? »

Dans celui de Shakespeare : des lances qu'on secoue, qui s'entrechoquent, des duels, des batailles, et des forêts qui marchent. Voilà ce que j'entends dans Shakespeare.

Et dans Zanzotto ? Des zanzare, des moustiques, ils arrivent sournoisement, sans faire de bruit, quand vous les entendez zézayer sur vos têtes il est déjà trop tard. À Glenelg, un palindrome où nous sommes installés en face de l'île de Skye, ils font dire à Della qui replie la nappe, remballe les tasses ou les verres, always a snake in paradise : des midges pour gâcher l'idylle.

Des attaques qui ne sont plus de midges, ce printemps 1984 où il commence ses haïkus, mais de panique. Des crises d'anxiété, l'insomnie chronique. La dépression. Dont il essaie de prévenir les assauts en écrivant ces petits poèmes d'aspect japonais. Pour la tenir à distance. D'autres ont fait de même, ils ont tenté d'éloigner le danger en regardant vers la Chine, ils pensaient éviter la stérilité avec leur épopée monumentale: ils n'ont pas échappé à l'aphasie. Zanzotto aura-t-il plus de chance que Pound ? Son hermétisme le protégera-t-il ? Ces poèmes minimalistes feront-ils reculer l'ennemi. Le décourageront-ils ? Sans doute le pense-t-il quand il compose Haiku for a season - Haiku per una stagione .

C'est cela que j'entends dans son nom. Un zézaiement, un zozotement, un zanzottement. Un cheveu sur la langue de Dante (de Pétrarque et de L'Arioste). Car il les écrit d'abord en anglais, ses (pseudo) haïkus. Dans une langue qui n'est pas moins riche en monosyllabes, en fricatives dentales (voisées ou sourdes) que le vénitien de Pieve di Soligo. Son vecio parlar, son « vieux parler ». Où l'on trouve, sans gratter son bois, sans avoir à creuser, le digramme th. C'est le haut trévisan. Et, plus haut encore, le petèl : le balbutiement câlin des mères, des nourrices. C'est une langue qui console, qui apaise qu'il cherche dans l'anglais. Un « néo-anglais petèl ». Qu'il traduira ensuite en italien.

Écrits entre avril et juin1984, ces brefs poèmes ne verront le jour qu'en 2012 aux États-Unis, en anglais et en italien, et sous le titre Haiku for a season - Haiku per una stagione (Edited by Anna Secco and Patrick Barron, The University of Chicago Press, Chicago and London, 2012). Ils paraissent en Italie en 2019, et en France en septembre 2021, aux éditions LA BARQUE. Où ils sont donnés en français (traduits par Philippe Di Meo), puis, sur la même page, dans leur double version originale. C'est le dernier recueil qu'il a pu composer avant de nous quitter en 2011.

Les poèmes qui le constituent ont été écrits en pleine tourmente. Dans un champ de blé où les blés sont couchés, un champ de bataille où ils se dressent, seuls, tels des coquelicots. Stoïques dans la tempête, et frêles, tellement vulnérables dans les répits qu'elle lui laisse.

 

          « Comme d'un cauchemar une sorte d'azur

          dans les lointains - où je sombrai -

          près de moi, de gentils coquelicots applaudissent »

 

Des remparts, si minces soient-ils, ou des amis, s'ils pouvaient seulement « confirmer les sentiers », des compagnons de jeu, au moins, qui soient autre chose que des ombres. Les « ombres de lui-même ». Elles ne révèlent, quand il les écoute, quand il croit les saisir, que son moi fragile.

C'est la pauvre connaissance qu'il en retire. Qu'il remonte des enfers. Où il retournera, non pas comme le scaphandrier rencontré à Glenelg, pour remplir de nouveaux sacs de coquilles Saint-Jacques, mais avec un « rameau ». Comme dans le Chant VI de l'Éneide. Ou le tableau de Turner.

Ce Rameau d'or est un cadeau de la Sibylle. Mais aussi de Frazer. L'anthropologue écossais James George Frazer fut, avec son livre, une source d'inspiration, notamment pour Freud.

Et pour celui qui pratique, avec ses haïkus, une sorte d'auto-analyse.

On peut ainsi lire ce livre comme un recueil de traces. Y voir des symptômes, des fantômes, les images comme autant de passantes. Comme nous y invite Georges Didi-Huberman. Il regarde l'image comme anachronique. Comme une constellation, faite image, de temporalités hétérogènes. Toute image:

 

          « Voici une centaine d'années

          la faucille passa où jouaient les coquelicots -

          maintenant l'odeur de l'herbe demeure timide :

          certes un oubli, mais un vivant oubli

 

          Where poppies played

          the sickle passed a hundred years ago -

          now shy smell of grass remains :

          oblivion, yet living oblivion

 

          Dove giocavano i papaveri

          la falce passò un centinaio di anni fa -

          ora timido resta l'odore dell' l'erba :

          oblio, ma oblio vivente »

 

 

 

Andrea Zanzotto, Haïkus pour une saison, traduction Philippe Di Meo, LA BARQUE, septembre 2021, 21,00 € .

Haïkus pour une saison
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