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14 juin 2013 5 14 /06 /juin /2013 06:17

C'est donc ça, Deyrançon, le rocher de Dieu et non, comme on l'a cru d'abord, la rançon. Celle que le ciel vous verse. Sur la tête pour que vous continuiez. Pour que le pèlerin ne fasse pas étape là, dans cette plaine qui n'est plus du Poitou et pas encore l'Aunis, dans cette légère dépression qu'occupe et elle seule Notre-Dame de Dey. Où il n'y a rien à voir en dehors de cette petite église et des deux sculptures romanes qu'elle abrite: Daniel assis avec deux lions lui léchant les pieds; une femme mordue aux seins par des serpents et aux mains par des diables. Abrenoncio on vous dit, on vous répète, abeurnoncio pour que vous passiez votre chemin. Pour que vous fassiez comme Satan qui a depuis longtemps renoncé à ses pompes, et à fréquenter ces déserts. Des déserts où rien ne doit vous tenter, pas même une halte au cimetière. Où rien ne vous empêche d'entrer, ni les épais murs de l'enceinte, ni les tours avec leurs archères. Rien ne vous tire des abeurnoncio: des cris de surprise, d'horreur, de dégoût. Quand vous cherchez, sinon la rédemption sous ce nom, du moins quelque chose qui vienne racheter ces longues journées de marche. Quelque chose qui vous sauve, une tombe. La délivrance. Elle vous arrache au vide en dressant devant vous son nom: Olympe Ovide.

Un nom difficile à habiter, même dans un cimetière. Non que les autres vous l'envient, ils ne vous l'enviaient déjà pas de votre vivant, ce nom était du village, peut-être même de la famille, et de l'amoureux poète en sa transformation, personne ne rêvait. Peursoune. Du prince de poésie Ovide Naso et de son galant Olympe, nul n'avait entendu ni n'entendrait jamais parler. Ni de Marie Gouze. Quelqu'un aurait raconté son histoire, on se serait dit qu'elle avait pris le nom d'Olympe de Gouges comme d'autres prenaient un mari ou bien le voile. Olympe Ovide, alors, où était le problème? Les deux commençaient par un O, ils allaient bien ensemble. Un peu comme Jean-Jacques et Rousseau, vous voyez. Jean-Jacques Rousseau était quelqu'un du village, ou d'un village proche, sans doute aussi de la famille, et il n'était pas devenu un abeurnoncio de drôle, un enfant terrible pour autant. Baptiser sa fille Olympe, lui donner ce prénom si peu chrétien, ce n'était pas lui tracer son destin de féministe. Cela ne la condamnait pas non plus à la quarantaine, à cueillir toute sa vie cette fraise des bois qui ferait, avec les tourbières alcalines des Fontaines et du Marichet, la renommée de Prin.

Car c'est de la patience, de récolter cette fraise minuscule, du temps qui se compte en paniers d'osier, en livres. C'est un soulagement de voir partir le train, une fierté de le voir quitter la petite gare avec sa cargaison de fraises fraîches, en direction de Paris. Où la quarantaine de Prin sera vendue aux Halles, principalement aux grands restaurants parisiens, et servie avec du champagne sous le nom de fraise des rois.

Les fraises et le champagne vont bien ensemble. C'est comme Olympe et Ovide. Comme Jean-Jacques et Rousseau. Comme le dit Richard Gere à Julia Roberts dans Pretty Woman: « les fraises font ressortir le goût du Champagne. » Et ce n'est pas descendre de son Olympe que d'écrire ça. Ni sacrifier à la mode, céder à la facilité.

C'est même une jolie revanche pour une fille de Prin, autant dire de rin. La revanche du marais que longtemps on a regardé de haut, de l'autre côté de la route et dans la plaine viticole. Mais le phylloxéra est passé par là, et ceux de Deyrançon, qui habitent le Petit-Breuil, envoient maintenant leurs femmes et leurs enfants travailler dans les bois. En bas. Car il faut bien en rabattre. Il faut aussi se baisser pour cueillir cette fraise qui a très vite conquis les salons parisiens. Et même se casser le dos.

C'est le sol tourbeux du Marais Poitevin, le pourtour des tourbières alcalines de Prin qui donne à la quarantaine son parfum inimitable. Un sol également propice aux cultures maraîchères: asperges, melons, oignons, artichauts et les fameux haricots blancs ou mojhettes que l'on va (les uns chez les autres, comme pour la cuisine au cochon) épaletter.

Et Olympe Ovide n'est pas la dernière à remplir des sacs de ces précieuses gousses. Si elle ne travaille pas vraiment à ressembler à son nom, pour elle ce n'est pas non plus déchoir.

Pour revenir sur terre, il faudrait l'avoir quittée. Avoir fait le malin, et on n'a pas envie qu'il vous morde les mains. Que la serpent surgisse de sous les fraises. Et puis on a de l'ail à vendre. De la belle ail. Plantée en mars, dans la vieille lune. On ne confond pas. Avec l'ail de vipère: le muscari, à toupet ou en grappe. On sait de quoi on parle. Et que les petits sujets demandent à l'artiste plus d'efforts que les grands et partant plus de mérite.

 

 

 

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