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5 janvier 2024 5 05 /01 /janvier /2024 13:30

 

Un nom de lieu, fût-il des Cinque Terre, ne fait pas habiter. Il ne condamne pas non plus à l'errance. Vernazza avait ses chantiers à La Rochelle où il était venu chercher le soleil, après Rouen. Quand il était arrivé, il avait dit : « Là on est bien. » L'aventure rochelaise, commencée entre les deux guerres, avec les périssoires qu'il construisait, et poursuivie de monotype en monotype, s'arrêta en 1961. Des chantiers qui occupaient l'actuel parking Saint-Jean d'Acre, il n'y a plus de traces. Que des noms rencontrés, comme celui de Vernazza, dans mes navigations (sur Internet). Ce sont mes îles.

 

Je n'ai pas connu l'odeur du coaltar. Ni a fortiori celle des coques rivetées. Des chalutiers à vapeur. Je verrais le trèfle à quatre feuilles rouge peint sur la cheminée, je ne saurais dire de quel armement il était l'emblème.

 

Heureusement, il se trouvera toujours des natifs pour m'apprendre que l'armateur s'appelait Oscar Dahl, que ce Norvégien arrivé sans un sou à La Rochelle en 1895 y épousa la fille du directeur de la Banque de France, acheta après son mariage deux cargos, fonda en 1904 les Pêcheries de l'Atlantique, et se retrouva, avec ses 15 chalutiers qui tous portaient le nom d'un phare, avec sa flotte de camions, ses magasins, ses usines, à la tête d'un petit empire industriel où toutes les activités étaient intégrées, depuis la production jusqu’à la distribution.

Oscar Dahl a inspiré à Georges Simenon le personnage d’Oscar Donadieu, l’armateur, dans son roman Le Testament Donadieu (1937). C’est l’histoire d’une réussite qui a fortement marqué la pêche rochelaise entre les deux guerres. Celle aussi, très détaillée, de la désagrégation d'une famille après la mort du chef. La Rochelle que Simenon découvre en 1927 y est très présente :

« La ville ce matin-là, ressemblait au La Rochelle de certaines gravures anciennes de Mme Brun. La marée était basse, le bassin presque vide de son eau. Les barques de pêche s’étaient peu à peu couchées dans la vase qu’on voyait, épaisse, sillonnée de minces ruisseaux…

[…] Dans le port, l’eau sentait plus fort, les bateaux se soulevaient davantage au rythme de la marée, les poulies grinçaient et tous les petits bistrots d’alentour étaient saturés de l’odeur du rhum chaud et de la laine mouillée. » 

D'aucuns s'interrogent sur l'origine de sa fortune, se demandent si Oscar Dahl la doit uniquement à ses qualités, ou si sa belle famille l'a aidé. Peu m'importe. De cette success story je ne veux retenir que cela : cette Thérèse Billotte qu'il épousa était aussi la petite-fille du peintre et écrivain Eugène Fromentin.

Et ses chalutiers s'appelaient Antioche, Chanchardon, Chassiron, Groin-du-Cou, Hourtin, La Banche, La Coubre, Lavardin, Les Baleines, Les Barges, Les Îlates, Pen Fret, Pen Men, Rochebonne, Shamrock.

 

Je suis arrivé à La Rochelle quinze ans après Le Bateau d'Émile (également connu sous le titre Le Homard flambé), le film de Denys de La Patellière adapté de la nouvelle de Georges Simenon et sorti en 1962. Annie Girardot et Lino Ventura ne nous ont pas vraiment quittés : ils nous regardent à l'entrée du Dragon. Qui chaque année depuis 1973, au début du mois de juillet et pendant dix jours, accueille, comme La Coursive avec ses trois salles de projection, le Festival La Rochelle Cinéma.

 

J'ai débarqué une vingtaine d'années avant que la pêche ne quitte le Bassin des Chalutiers pour Chef-de-Baie. L'âge d'or était derrière nous. Mitraillette vendait ses dernières sardines sur le port. Des « sans sel ». Avec cette chanson, pour attirer le chaland : « Fricasse...Fricassée...Le beau sans sel là mesdames...» Elle sera à jamais derrière son étal. Place des Petits-Bancs, au pied de la Grosse Horloge. Devant le Monument élevé à E. Fromentin Peintre et écrivain distingué de l'Algérie. Une colonne surmontée d'un buste en bronze représentant le peintre orientaliste salué par une fantasia, un cheval dressé et ruant avec son cavalier coiffé d'un turban et armé d'un fusil aujourd'hui brisé. Le tout en bronze, comme les lauriers et les livres qui rappelleraient, s'ils n'étaient pas cachés par les vélos, que Fromentin fut aussi écrivain.

 

Extrait de Ma Rochelle, livre à paraître en mars 2024 aux éditions du Ruisseau.

E la nave va
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