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27 mars 2013 3 27 /03 /mars /2013 08:11

 

Je ne sais pas ce qui valut à son lointain ancêtre ce surnom, s'il avait bon caractère, s'il était humain, affable ou un fils naturel qu'on appela ainsi naturellement, comme on donnait à l'enfant trouvé le nom du lieu où on l'avait trouvé, du jour ou bien du mois.

Jean Naturel n'est pas une invention, une nouvelle invention de la mort, un nom de plus dans ce théâtre où l'action est seulement d'apparaître. Valère Novarina n'est jamais passé par là. Il ne saurait pas situer Séligné sur une carte. Ni peut-être le département des Deux-Sèvres. On peut lire Pendant la matière, s'arrêter aux pages 16 et 17, on ne trouve pas de Jean Naturel après Jean Mourant, Jean Multiple, on passe tout de suite à Jean Nécromant, Jean Passé. Jean Négatif, c'est la seule réponse qu'on obtient, qu'obtiennent ceux qui cherchent ici Jean Naturel, tandis qu'à Séligné, s'ils allaient jusque là, jusqu'au monument aux morts, aux morts de la Grande Guerre pour y déposer une gerbe ou pour le vin d'honneur, ils trouveraient quinze noms dans la pierre, dans l'ordre qui fait NATUREL Jean arriver après MOINE Téleph et avant ROBERT Honoré.

J'imagine qu'à l'école c'était pareil, le premier jour dans la cour et chaque fois que le maître faisait l'appel, pour le certificat d'études s'ils étaient de la même classe.

S'ils étaient non présents sous les drapeaux, ils répondraient aussi bien à l'appel, ceux de la classe 1914 et des suivantes déclarés bons pour le service militaire rejoindraient leur corps le jour fixé. Tous obéiraient aux prescriptions du fascicule de mobilisation, page coloriée, placé dans leur livret.

C'était comme un tambour, une cloche plus grosse ils ne savaient de quoi. Non l'Angélus, ce qu'ils avaient cru d'abord, ni cette « armée de curés » ainsi qu'on appelle les gros nuages noirs, l'orage pour qu'il s'en aille crever ailleurs, mais la mobilisation générale. C'était le départ précipité des champs où il y avait tant à faire, l'obligation de se rendre au bourg, de se munir de chaussures et de sous-vêtements, de préparer le départ.

Ils ne seraient pas là pour raconter. Ou quelques-uns, et ils n'auraient pas les mots. Ils ne les auraient plus. On ne parlerait plus la même langue. La moisson, pour ceux qui avaient rejoint leur corps, qui l'avaient retrouvé entier ou pas trop abîmé, ce serait à jamais la faucheuse. La Grande Faucheuse. La Mort venant remettre de l'ordre dans tout ça. De l'ordre alphabétique.

Qu'importe alors que BERTRAND Julien Ernest soit tombé le 10 mai 1915 à Loos-en-Gohelle (62), et que des quatorze autres on ne sache rien, ni quand ils sont nés, ni quel jour ils sont morts, à quel endroit, de quelle manière, du moment que leurs noms défilent, tous les 11 novembre, BABIN Alphonse en tête, puis BABIN Augustin, et enfin THIZON Alfred.

THIZON Alfred, c'est encore lui qui ferme la marche quand le village est réuni autour d'un petatou ou pour grignoter des cartelins. Et il n'est pas le dernier à croquer ces gâteaux qui sont de la famille, de la grande famille des échaudés, et de fameux « éperons à boire ».

 

 

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source photo: Gérard LERAY 28-01-2011

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commentaires

D
"La mort avait pas faim." Où on dirait qu'on a eu chaud, mais que ce n'était pas l'heure.
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N
Gueuleton de La dévoreuse.
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