C'est la fortune quand elle tourne,
quand les avaries conduisent au naufrage
et que les pains de cocaïne échouent.
Brillante,
Diamante,
c'est écrit sur les paquets que la tempête dépose sur les plages,
voilà pourquoi elles sont interdites.
Pour que le malheur des uns ne fasse pas le bonheur des autres.
Et vice versa.
Mais le destin s'accomplit,
quoi qu'on fasse,
inutile de chercher
où exercer,
sur quoi,
son droit.
Ce droit de bris
qu'on dit aussi d'épave
ou de lagan.
Ou encore de varech.
Il donne la propriété des nouvelles du monde
à celui qui,
comme chaque matin,
comme un vulgaire retraité,
feuillette son journal.
Un journal en appelant,
en rappelant un autre,
celui de Fromentin,
si je n'ai pas rêvé,
offre pareille aubaine
avec toutes ces oranges flottant au large
de l'île de Ré.
Un navire avait perdu sa cargaison
et cela ne faisait pas seulement le bonheur des enfants,
le peintre aussi se régalait.
Fromentin se régalait.
Quel tableau c'était !
Quel tableau ce serait si le peintre
voulait bien se remettre à peindre,
si sa main n'était pas ce jour-là
occupée à écrire ses
un livre que j'ai acheté puis perdu,
comme le bateau sa cargaison,
mais je n'ai pas oublié les oranges,
la preuve ce poème.
Et ne me demandez pas d'où elles viennent,
de quelle Algérie,
si c'est un rêve,
le rêve du peintre qu'il est aussi,
Fromentin,
si le désir qu'il note
n'est pas déjà nostalgie
de l'Orient
ou du Sahara,
peu importe,
ce qui compte ici,
c'est qu'elles flottent,
c'est le tableau qu'elles font,
ces oranges,
qu'elles feraient
s'il voulait bien
s'arrêter d'écrire.
Cette cargaison d'oranges
flottant au large,
il y aurait
de quoi l'inspirer.
De quoi faire provision d'exotisme,
si des paysages de l'Aunis,
de l'absence de paysage
il était las.
S'il éprouvait tout à coup
le besoin de chercher derrière
« le tapis fauve des vignobles »,
de regarder au-delà.
S'il fallait ajouter au « ciel égyptien »,
à « la surface métallique et comme solide de la mer,
irisée de rose »
une autre couleur.
Si la grande étendue d'un noir violet,
les parties de sable jaunâtre ne suffisaient plus,
s'il fallait prendre
de nouveaux poissons aux écluses.
Elles auraient leur place,
ces oranges,
il les rangerait dans les choses vues.
Il trouverait de quoi
peindre une marine,
même si du navire
il n'y a plus trace,
que cette cargaison perdue,
pas perdue pour tout le monde.
Que ces oranges dont il s'est délesté
pour continuer sa route
le cœur plus léger,
surtout s'il songe au cadeau
que ce sera
pour les enfants
et pour leurs parents,
ils auront là de quoi garnir,
à peu de frais,
les petits souliers
au pied de la cheminée.
Chez moi,
dans mes images d'Épinal,
c'est saint Nicolas,
c'est lui qui apporte des oranges
aux enfants sages.
Les autres reçoivent un martinet.
Chez lui,
en Aunis
et dans ses îles,
c'est la lumière.
Sahara ou Sahel,
c'est la même.
C'est l'autre,
pour une fois sans la brume.
Pour la saisir,
il faudrait qu'il cesse d'écrire,
de se demander
s'il est un voyageur qui peint
ou un peintre qui voyage.
Qu'il peigne.
Il faudrait que j'oublie
de me demander
si c'est la trace d'un rêve,
de quel rêve,
ou persistance rétinienne.
Amas de coraux
qu'il prendrait d'abord pour des oranges,
s'il voyageait en Égypte,
si ce n'était pas d'abord une île
où poser sa plume,
peindre sur le motif,
une île qui n'a pas à subir l'arrivée massive
d'algues vertes malodorantes
et potentiellement toxiques en été,
pas encore.
Il n'y a que le sart
comme on dit
le varech,
il échoue régulièrement
et on le récolte,
et Fromentin aussi, il note
comment dans cette île
on va au sart,
comment on s'en sert
pour fumer les vignes.
Il y a des oranges,
mais ça n'arrive qu'une fois
et il faut être là.