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12 juin 2020 5 12 /06 /juin /2020 08:26

Tant est grande l'incurie de ce qu'on appelle ici la mar. Dans cette langue de terre qui s'avance toujours un peu quand le capitaine, comme c'est la règle en début de visite, distribue les tâches. Au vent, d'abord, de remettre la maison en ordre. À nous ensuite d'écouter, et de regarder.

De ces feuilles, ces branches apportées par les courants, le vent fera donc des pilots : des petits tas. Il rassemblera ses affaires, et tout ce qui traîne. La fête terminée, on range. On a intérêt. Un bon capitaine ne soutient pas seulement l'impétuosité des flots, il sait aussi commander. Et on obtempère, autour, on ne discute pas. S'il désire, pour sa croisière, du bleu lagon, on lui sert du bleu lagon. On ne l'oblige pas à naviguer dans ce bourrier.

En attendant que le vent le ramasse, ce bourrier, le capitaine nous promène à bord de La Citadelle, du Château vers le grand parc à huîtres, et de ces saletés qui flottent, le vent, c'est entendu, nous débarrassera. Et de tout ce qui fait zire : qui inspire le dégoût. Son bateau est propre : il serait bon que la mer le soit aussi. Que rien ne vienne gêner l'approche du fort Louvois, l'approche des anciens embarcadères, le passage sous le pont d'Oléron, le virage devant la baie de Saint-Trojan, le retour avec la citadelle et le port du Château vus de la mer. Que rien ne vienne gâcher le spectacle. Polluer la photo.

De cette balade en mer, c'est pourtant ce que je rapporterai. Ces feuilles, ces branches apportées par les courants, et qui s'accumulent. Comme si la mer ici prenait plaisir à voir flotter les déchets, à entendre ces restes de patois que le vent, s'il se lance, comme notre capitaine l'espère, comme il l'ordonne, dans un grand ménage, va rapiloter.

Avant qu'il ne nous en débarrasse, je me transporte avec eux au Canada, dans le sud-est de la province du Nouveau-Brunswick, dans les régions de Moncton, Shediac, Dieppe où les pilots ont voyagé, où ils font toujours des « petits tas ».

Un « petit tas » de langues, par exemple, de langues de vaches « qu'avont pourri trop vite pour sentir » (André Muise, La falaise à la fin des marées, Éditions Perce-Neige, 2002 ).

Où l'on reconnaîtra la nôtre, le parlanjhe ou poitevin-saintongeais, dans un océan qui est l'anglais. Débris épars que des poètes ayant choisi le chiac (acadien) mettront dans leurs livres. Pour faire hurler le puriste. Pour s'abandonner à la vague, « tourbillonner avec l'encre garrochée » (Marc Arseneau, Avec l’idée de l’écho, Éditions Perce-Neige, 2003).

De notre vieux parler et de l'anglais de là-bas (« les deux étiont wild ») ils feront une langue hybride. Un hybride parfaitement impur. Un mauvais français, et un anglais qui ne l'est pas moins.

Oublions notre capitaine et écoutons le vent, avant qu'il ne rapilote tout ça. Le veng, comme l'écrit André Muise : «Moi, je suis coumme les feuilles – le veng me feusse, me fait timber à terre. Mais le veng est right chaud. Ils disont que c’est à cause d’une hurricane qui passe proche de nous autres, qui vient du sud. Une hurricane, c’est une grousse storm, qui vient des livres et des Etats. C’est la première fois que j’en vois y-une venir par icitte. J’ai jamais senti le veng si fort, si chaud.» (La falaise à la fin des marées)

 

Il va rapiloter tout ça
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commentaires

P
Bonjour Denis,<br /> pour rester sur cette veine, on peut également se rappeler que la traduction du "Coke en stock" d'Hergé a été traduit en saintongeais par "Charboun apiloté".<br /> Amitiés,<br /> Philippe
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D
Merci pour ce "Charboun apiloté", Philippe. Je ne connaissais que "Les 7 boules de cristàu".
P
Ra/piloter convient bien au capitaine ! <br /> Et métaphore de l'écrivain attentif au ra/pilotage des mots.
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D
Comme à tout ce qui rassemble. Merci Pascale.