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14 novembre 2020 6 14 /11 /novembre /2020 09:56

 

Je me souviens d'un écrivain qui, sentant la mort approcher, mettait de l'ordre dans ses souvenirs. Il passait ses dernières journées à trier, à classer pour, disait-il, faciliter la tâche à ses enfants. Et à ses futurs biographes.

Un jour de grand ménage, il exhuma et nous offrit, « avant de le jeter », un caractère. Un caractère de sa façon, c'est-à-dire à la manière de La Bruyère, quelque chose qui réjouît le curieux, qui réveillât le collectionneur qui en chacun de nous sommeille. Son cadeau était sur Facebook, et je l'eusse volontiers trempé dans mon café. Mais c'était, quoique digne des meilleurs xenia, un présent qui viendrait plutôt enrichir, et opportunément, un dîner qui s'annonçait frugal. Auquel il ajouterait, cuisiné comme il faut, selon les meilleures recettes, un peu d'exotisme et autant de chandelles. Encore fallait-il qu'elles arrivassent à temps. À la nage et au cognac. Qu'on eût deux heures à perdre à leur faire prendre leur bain de lait (suivant Curnonsky) ou à les dresser en buisson.

Mais assez de mystère. Levons le voile sur ces écrivains qui parlent du métier d'écrire, qui parlent au lieu d'écrire, qui parlent d'autant plus qu'ils ont peur d'écrire, qu'ils croient, en repoussant le moment d'affronter la page blanche, éviter le fameux vertige.

C'est l'un d'eux, le caractère que j'ai reçu ce matin-là et qui égaya mon petit déjeuner. Il est de ces écrivains qui n'écrivent pas, et qui pourtant font la leçon. Vous montrent le chemin, celui du jardin. Un jardin à la française, bien entendu, où il faut écrire droit, aller sans détours inutiles et en toute clarté, guidé par la seule raison, vers un but qui est l'universalité. L'universalité de notre belle langue qu'il convient de défendre, car elle est attaquée de toutes parts. Voilà ce qu'il disait ce jour-là aux écrivains. Ce paradoxe vivant (plus pour très longtemps). Il morigénait ses confrères. Les vilipendait. Mais pour leur bien. « Afin qu'ils écrivissent...».

« Afin qu'ils écrivissent ... », répéta-t-il, manifestement satisfait de sa formule. Content de montrer, avec cet imparfait du subjonctif, sa parfaite maîtrise du français. Et pour réveiller la salle. Qui ne tarda pas à réagir. En effet, une petite voix ajouta, comme si le maître n'avait pas fini sa phrase, comme s'il ne retrouvait plus ses mots, « de Californie ». Et, pour ceux qui n'étaient pas certains d'avoir bien entendu, « de Californie ». « Afin qu'ils écrivissent de Californie ! »

On ne se méfie jamais assez de l'imparfait. De l'imparfait du subjonctif. Un temps qui a fait son temps. Un mode qui n'est plus vraiment à la mode. Qui ne serait pas seulement daté, mais aussi marqué. Par l'usage qu'en fit jadis Le Pen (Jean-Marie), un usage immodéré. Il en truffait littéralement ses phrases, ce qui réjouissait ses électeurs. Les remplissait de fierté.

À la même époque, le Roi Hassan II adressait ce reproche aux coopérants français : ils n'apprenaient plus l'imparfait du subjonctif aux petits Marocains, peut-être même qu'ils ne le connaissaient plus.

Pour revenir (à la nage et au cognac) à mes écrevisses californiennes, je dirai qu'elles sont ma réponse, avec quelques années de retard, avec cet esprit d'escalier ou de l'escalier qui me caractérise, à ces défenseurs de la langue française. Un pied de nez, délicieux je vous assure, à ces garants de la pureté, à ces gardiens qui luttent contre les anglicismes et autres locutions invasives. L'écrevisse californienne est de celles-là, une espèce exotique envahissante qui a presque remplacé notre écrevisse nationale, disons européenne, celle à pattes rouges et moins bien armée, avec ses pinces plus petites, moins féconde que sa redoutable concurrente américaine.

 

 

Afin qu'ils écrivissent
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