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22 janvier 2021 5 22 /01 /janvier /2021 06:49
Volontiers joyeusement et à juste titre

Des voies dans la forêt. Dans la forêt de Tannières. Celle-là, romaine et qui va, comme la prose quand elle suit son étymologie, « droit devant ».

C'était la mienne. Jusqu'à la Maison Forestière. Où j'ai pris à droite (venant d'Archettes), au panneau qui indique la Route forestière du Faîte de Chaudegoutte, la direction du Vestige Gallo-Romain : un temple dont il ne reste que les substructions. Une statue dans sa niche et une inscription votive à Mercure dont les originaux sont au Musée d'Art Ancien et Contemporain d'Épinal.

C'est là que j'ai rencontré CATVLLINVS. Son nom écrit dans la pierre. Un grès gris local. C'est son nom qui m'a arrêté.

J'ai tout de suite pensé à un nom d'assonance. Un nom d'apparence latine, couvrant les batailles dont la rumeur vous parviendra, mais assourdie. Vous diriez (parce que vous arrivez à Cheniménil?) que c'est un petit chien qui gémit pour que vous le caressiez. Et l'adoptiez.

Vous diriez de ce nom qui grogne gentiment, qu'il couvre comme un manteau. Comme ce manteau gaulois très court, porté aussi bien par les hommes que par les femmes, et en toutes saisons. Surtout en forêt. Où votre capuchon en laine vous protège de tout ce qui tombe du ciel. Et du ciel lui-même s'il a la mauvaise idée de vous tomber sur la tête.

Voilà donc mon « combattant » avec son éternelle pèlerine munie d'une capuche, le voilà arrivant par la route. Enjambant la Moselle avec le pont dont les arches subsistent dans le nom de la ville qu'il laisse derrière lui pour attaquer la forêt. Avec ses 32 dents, s'il est bien le louveteau qu'on entend dans son nouveau nom. Qu'on entend arriver. Ou le petit chien de la maison. Qui aboie quand vous passez. Quand vous vous arrêtez.

Car vous vous arrêtez au sanctuaire situé en bordure de voie. Vous franchissez le fossé avec le chemin et continuez jusqu'au temple. Un petit temple mais en dur. En moellons de grès et couvert de vraies tuiles. Capable de résister à toutes sortes d'ennemis, à commencer par le temps.

Vous prenez le petit sentier empierré de déambulation pour les pèlerins. Vous êtes, du moment que vous vous arrêtez, à partir de ce moment un pèlerin. Vous tournez comme les Gaulois autour de vos dieux. Apollon, Mercure et Rosmerta. Une déesse de l'abondance. Qui remplira votre panier si vous l'invoquez comme il faut. Votre panier en osier si vous êtes chercheur de champignons.

Ici, en forêt de Tannières et dans ce petit temple, c'est seulement Mercure. C'est lui qui garnit votre bourse si vous êtes dans le commerce. Qui éloignera le danger et fera votre route très sûre si vous êtes un simple voyageur.

C'est lui qu'il vous faudra remercier par avance. Avec toutes sortes de cadeaux. Déposés, enfouis, brisés comme il faut. Et la formule d'usage. Où figurera son nom. Au début et au datif, car c'est à lui que vont vos dons. Et ensuite votre nom. De pérégrin. De pèlerin ou dédicant. Dont l'orgueil ne doit pas cacher la piété.

Lui, s'il pouvait choisir, il opterait pour un porteur d'offrandes, un pain et un coffret de tablettes à écrire.

Mais il s'appelle CATVLLINVS, et ce sera une inscription votive. Un banal ex-voto.

MERCVRIO CATVLLINVS MERT FIL V.L.S.M. « À Mercure, Catullinus, fils de Meritus, s'est acquitté de son vœu avec plaisir et à juste titre. » Selon la formule consacrée.

Ce qui lui permettra, il l'espère, de reprendre tranquillement la route. Et sous une autre forme, un autre déguisement le combat. Avec de nouvelles armes, par exemple la poésie.

Celle de Catulle, né en -84 à Vérone, en Gaule cisalpine.

De quelle urine il se frottait les dents et se rinçait les gencives, il ne saurait le dire. Ni s'il promène des épigrammes dans ses tablettes à écrire.

D'autres après lui déclameront contre les ennemis rassemblés dans le tunnel. Contre le chat décapité par la micheline. Contre sa tête qui les cherche dans les branches.

Sur ce chemin de la poésie, et de la satire, le hasard mettra sous mes yeux un autre Catullinus. Dans une lettre de Sidoine Apollinaire à son cher Montius. Écrite sans doute à Lyon, en 469, sur des événements datant de 461.

Ce nom, on l'aura donc porté pendant presque six siècles. Il aura traversé les siècles.

Mais pour le rencontrer, il faut d'abord, bien après Archettes et juste avant Cheniménil, quitter la voie romaine et retrouver les vieux chemins : les anciennes habitudes.

S'en remettre à la poésie.

La poésie éloigne-t-elle le danger ? Un danger qui est partout, quand on voyage en forêt, qui surgit quand on s'y attend le moins.

Sans doute, si l'on pense à la place que les Gaulois réservaient aux poètes, dans leurs armées. Au rôle qu'ils leur faisaient jouer dans les combats. Où ils étaient en première ligne, à balancer leurs chants.

Quels ennemis effraierait-ils, aujourd'hui, avec leurs poèmes ?

Le petit orvet ou le Marc, celui qui joue avec et qui me le glissera dans le cou si je n'abandonne pas illico mon pot-de-camp, si je ne renonce pas définitivement aux brimbelles?

La couleuvre qui dormait en rond au soleil ou le Pépère qui la dérange, qui la déloge puis l'écrase avec sa canne (le bâton qu'il s'est taillé, avec son couteau suisse, son bâton de pèlerin)?

Catullinus pourrait être le fils de Catullus, comme ce receveur dont la stèle funéraire sera trouvée plus loin, à Saverne. Le diminutif d'un diminutif. Je le verrais bien arriver par la route, ce fils plus petit que son père mais guère moins combatif. Ce nabot, il ne faudrait pas le chercher. Avec ses cheveux en brosse et ses oreilles décollées. Il ne faudrait pas le détourner de sa tâche qui consiste à cueillir tout ce qu'il peut.

Le CATVLLINVS de la forêt de Tannières n'est pas fils de CATVLLVS, mais de MERT. Qui serait MERITVS.

Un autre nom d'assonance, ou un nom de traduction (comme ces « Dubois » devenus « Baleine » en passant du gaulois au latin).

Je ne serais pas loin de reconnaître, dans ce MERT ou MERITVS, un « Pourvoyeur ». Quelqu'un qui remplira, si je me suis acquitté de mon vœu correctement, mon panier. Si je me suis acquitté volontiers joyeusement et à juste titre de mon voeu. Il le remplira de petits gris.

Quand ils donneront.

S'ils veulent bien donner à nouveau.

Les petits gris de sapins et pourquoi pas de hêtres. Qu'on disait meilleurs mais plus rares. De plus en plus rares. Tellement rares que je les croyais disparus. Parce que je n'en trouvais pas dans mes bois. Pas une fois ils ne sont venus garnir mon panier. En revanche, ils revenaient souvent dans la conversation. Dans les chasses miraculeuses d'autrefois. Mais on avait trop cueilli. Sous les hêtres puis les sapins. On avait épuisé la ressource.

On ne le disait pas comme ça, pas encore, mais c'était déjà l'idée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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