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15 janvier 2023 7 15 /01 /janvier /2023 09:39

 

Les mauvaises traductions ont ceci de bon qu'elles peuvent donner naissance à des objets littéraires non identifiés.

Prenez La Torta in cielo de Gianni Rodari et demandez-vous, avec Federica Arnoldi, d'où elle vient.

Voyez comment elle est née, de quelle « interférence linguistique d'un collègue expatrié ». Un Italien ayant vécu longtemps aux États-Unis et qui, de retour au pays, lâcha (j'imagine) cette phrase : Hopefully that is not just pie in the sky « Espérons que cela ne soit pas qu'un vœu pieux. » Des promesses ou des paroles en l'air.

Et ce rêve aussitôt prit corps. La forme d'une tarte. La tarte vola des mois et des mois dans la tête de Gianni Rodari et devint La Torta in cielo. C'est sous ce titre que le livre parut en 1966. Chez Einaudi, avec les illustrations de Bruno Munari.

Voilà comment une petite erreur devient une immense soucoupe volante. Qui sème la terreur dans le Trullo, un faubourg de Rome jusque là sans histoires.

Mais cet ovni ne surgit pas par hasard. Il ne vient pas de nulle part. Ces Martiens pourraient bien arriver de l'enfance. De son enfance à Omegna, à l'extrémité nord du lac d'Orta. Où son père était boulanger.

Quand son père est mort, Gianni Rodari avait 9 ans. Et c'est un roman pour la jeunesse qu'il écrit ici. Un roman dont les héros sont deux enfants. Deux enfants qui ramènent la douceur dans cette banlieue, et délivrent un message de paix.

Happy end. N'est-ce pas ce qu'on demande aujourd'hui à la littérature ? De réparer. Les bols cassés. Les vies brisées. C'est tout un art. Mais pas si compliqué que ça. Pas besoin d'aller au Japon. Chacun peut se bricoler son kintsugi. Do it yourself. La résilience, c'est l'affaire de tous. Et à la portée de toutes les bourses. C'est un loisir créatif comme un autre. Et ça occupe. Pendant ce temps-là on ne pense pas. On oublie l'effondrement qui arrive. La catastrophe imminente. La littérature console ou elle n'est pas.

J'exagère, sans doute. Mais il est vrai que les baffes qui se perdent se retrouvent toujours. Forcément. Heureusement. Et les crises de couples. Les mots qu'on se jette à la figure, les assiettes qui volent finissent toujours par atterrir. Dans votre livre si vous écrivez. Et les traumatismes de l'enfance.

L'erreur qui conduit à cette « tarte volante » a toutes les apparences du lapsus. Ces Martiens qui débarquent avec leur gros gâteau, c'est une fin heureuse. Mais c'est d'abord le retour du refoulé.

Je ne suis pas là pour faire la psychanalyse des contes de fées. On l'a déjà écrite, et on a presque tout dit. Je n'ajouterai pas mon grain de sel. Je sais que tu es plutôt sucré. Dolce, en italien. Alors je ne voudrais pas te couper l'appétit. T'empêcher de lire le beau gâteau de Gianni Rodari.

Mais je ne voudrais pas non plus noyer sa tarte sous les compliments. Les montagnes de chocolat, fût-il délicieux, c'est vite écoeurant. Comme les bons sentiments.

Une remarque, et ce sera la dernière.

La Tarte volante est une traduction fidèle. Un peu trop à mon goût.

J'aimerais bien qu'elle oublie le Trullo et débarque chez moi, cette Tarte volante, qu'elle atterrisse dans mon assiette.

Pour cela, il suffirait de changer le titre. D'une toute petite « interférence linguistique ». Pas besoin de recourir à la traduction automatique, de mobiliser l'Intelligence Artificielle. Un compagnon n'est pas non plus nécessaire. Je n'ai rien à lui demander.

Je choisirais pour ma part (de tarte) un autre titre. Tarte au ciel, par exemple. Je trouve que ça fait plus envie. Je me vois bien dans le rôle de l'attaché de presse. Ou délégué commercial édition, représentant la maison et travaillant les nouveautés avec le libraire. Lui vendant ma Tarte au ciel. Comme si je l'avais écrite.

D'ailleurs je l'ai écrite. Plus j'en parle, plus j'en suis convaincu. Ne me dis pas que je rêve, que je rêve en couleur. Aujourd'hui le ciel est gris. Il pleut des chats et des chiens, pourtant ma tarte est belle. Et succulente. Et ce n'est pas du chocolat martien qu'il y a dedans, mais du ciel d'ici. Tout gris.

Vous goûterez bien ma Tarte au ciel. Vous en reprendrez bien un morceau. Avec beaucoup de ciel dedans. Comme disait ma grand-mère, « ça se mange sans faim ».

Je ne crois pas qu'elle parlait de ses crottes de chameau. Le lapin jouait du tambour, lançait sa formule magique, à tout bout d'chou chaussures... Patachou, elles apparaissaient. Elle n'avait qu'à les sortir de la boîte. Les ressortir à la moindre occasion et pendant des mois. Elles ne seraient pas plus dures. Ni moins gossantes.

Mon grand-père (natif d'Ameno, à l'autre bout du lac) ne disait rien. Il faisait glisser les gnocchi di patate sur la fourchette ou arrosait son risotto en silence. Qu'il appelait, depuis qu'il faisait le maçon dans les Vosges, la risotte.

Il ne dit rien, mais il me fait signe. Et je ne le vois pas toujours. Ou je ne le vois qu'après. Trop tard. Il a disparu. Et je doute que ma réponse lui parvienne. Qu'il lise où il est La Maison de la Gaieté (un million de cassons de vaisselle, ce n'est pas rien). Ni ce que j'ai écrit sur la mosaïque de Grand ou sur celle de Paterre. Il ne me voit pas coupant puis posant mes tesselles. Cherchant sous le tapis noir et blanc, derrière le décor géométrique, italianisant, le cimentier-carreleur.

 

 

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commentaires

T
Délicieuse, cette tarte ! Dans le ciel, ce serait une grosse hostie ?
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D
Merci. Je fais confiance à l'Intelligence Artificielle et à la traduction automatique pour me servir, sur un plateau, de nouvelles erreurs.