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23 octobre 2023 1 23 /10 /octobre /2023 13:36

Les osselets sont un jeu d'enfant. C'est chose facile, ne tirant pas à conséquence.

Des biscuits vite faits (avec ce qu'il faut de sucre, d'amandes, de blanc d'oeuf, d'écorce de citron), et vite avalés. Comme ces ossi di morto ou ossa da mordere (« os des morts » ou « os à mordre ») qui surprennent au début car ils sont durs et croquants, et surtout ressemblants. Ils ressemblent terriblement à ce qu'on verra bientôt dans la basilique, dans la crypte, dans sa châsse d'argent et de cristal si l'on ne s'attarde pas trop à ces dolcetti.

Pourtant on y revient. Ils me reviennent aujourd'hui avec les Osselets de Cécile A. Holdban.

Me revient aussi ce qu'écrit Jules Renard dans son Journal. Le 1er octobre 1897 :

« Verlaine, ses derniers vers. Il n’écrit plus : il joue aux osselets avec des mots. »

Comment faut-il entendre cela ? Comme une ultime rosserie ? Et de mauvais goût (comme les ossi di morto qu'on proposait à Orta, à ceux qui débarquaient sur l'Isola di San Giulio, qui rentraient dans la basilique pour voir les restes habillés de Saint Jules) ?

Sans doute. Mais c'est d'abord un enfant qui parle, un enfant de 33 ans. Il parle de la mort. Il la voit partout depuis que son père s'est suicidé. Le 19 juin de la même année. Les chevrotines du père font au fils une vie de plomb. « Si loin que la vie m’égare, écrit-il, la mort me ramènera près de lui. » Même la mort de Verlaine.

Et je ne peux m'empêcher de penser ici aux osselets qui accompagnent l'enfant dans la mort. Celle d'un père ou carrément la sienne. Comme on peut le voir avec cet assemblage d'osselets datant de l'époque hellénistique (entre 323 et 33 av. J.-C. ) récemment retrouvé en Israël. Dans l'immense complexe de grottes souterraines de l'ancienne ville de Maresha. Ces 530 osselets sont des astragales, littéralement « os du talon » provenant de chèvres, de moutons et de bovins. Ils auraient été utilisés par les femmes et les plus jeunes, de la même manière que les dés. Dont ils sont les ancêtres. Certains de ces osselets étaient perforés ou remplis de plomb pour un lancer plus efficace. Sur d'autres, on avait gravé des instructions de jeu : « stop », « tu es cuit ». Ou bien des rôles : « voleur ». De tels jeux sont souvent enterrés avec des enfants, précisent les chercheurs. Des cubes, par exemple, pouvaient les accompagner dans leur voyage vers l'au-delà.

 

Les osselets, comme on le voit dans cet autre assemblage qui a pour titre Osselets, et pour auteur Cécile A. Holdban, sont d'abord un jeu. Un jeu d'adresse et un jeu de hasard. Si l'on n'a pas d'os de chèvres sous la main, ni de moutons ni de bovins, on peut y jouer avec des mots, comme Verlaine. Ou, toujours selon Jules Renard, avec des « petits cailloux jaunes » ou des « pierres polies ». Des galets. Comme Cécile A. Holdban dans ce livre publié par Le Cadran ligné.

« Le galet n'est pas une chose facile à bien définir. » Mais cet objet, sous le regard du poète ou dans la main de celui qui dessine, peut devenir objeu. Objoie. C'est ce que l'on voit dans Le galet de Francis Ponge. Et dans les Osselets de Cécile A. Holdban.

Les osselets, nous disent les archéologues, étaient utilisés pour le jeu, mais ils avaient aussi un rôle cultuel. Certains portaient en effet des noms de dieux grecs associés aux désirs humains, par exemple Aphrodite et Héra, Éros, Hermès, Niké. Des preuves, selon eux, qu'ils servaient également à la divination. 

Les osselets ont d'ailleurs été retrouvés à côté d'ostraka portant des sortes d'incantations magiques écrites en araméen. Une découverte qui montre le rôle qu'ils pouvaient avoir dans le culte des différentes populations de l'époque. 

Ces ostraka sont des tessons de poterie ou des éclats de calcaire utilisés comme support d'écriture. C'étaient à l'origine, comme leur nom l'indique, des huîtres ou d'autres coquilles sur quoi l'on écrivait. Comme fera encore Mallarmé. Celui dont Jules Renard, qui voit décidément « la vie en rosse », dit qu'il « écrit avec intelligence comme un fou ».

Pour Cécile A. Holdban, tout est support. Prétexte à écrire et à dessiner. Les deux à la fois, comme dans ces Osselets. Où elle mélange son alphabet à celui des graminées. Où

« Certaines de nos paroles marquent l'air

d'une empreinte aussi ténue que celle des fleurs »

« Le temps se cueille endormi », et c'est au peintre de le réveiller. Au poète de faire parler ce qui serait sans cela peinture muette.

Et voici ce qu'il nous donne à entendre :

« Feulements, grondements

crissements, murmures

la langue du plaisir s'aiguise »

Ce sont des Miniatures que Cécile A. Holdban nous offre. Des chemins qui tiennent dans la main de celui qui dessine.

Mais ces chemins ne sont pas écrits, il n'y a pas de destin ici. Les osselets sont un jeu de hasard, ne l'oublions pas:

« Le chemin connaît le chemin

ça ne l'empêche pas de s'égarer »

La présence de Jules Renard dans ces lignes peut paraître incongrue. Je vais essayer de la justifier.

Je parle de l'auteur des Histoires naturelles, et, dans une moindre mesure, de celui qui tient son Journal (avec son formidable don d'observation).

Nous sommes en effet dans des petits tableaux où, non contente de l'observer, Cécile A. Holdban se fait l'interprète de la nature. Car elle est aussi traductrice. Un truchement qui nous guide dans le labyrinthe où nous nous retrouvons au début du livre. Un labyrinthe dont nous pourrions dire, comme elle :

« Observant le labyrinthe

je suis à la fois celui qui le crée

et celui qui s'y perd »

 


 


 


 

OSSELETS
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