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2 février 2020 7 02 /02 /février /2020 11:33

Peut-on sortir ses plantes d'intérieur ? Doit-on leur parler ? Leur parler pour les rassurer ? Leur chanter quelque chose ? Quelque chose de doux ? Quelque chose qui leur rappelle l'éponge que j'ai l'habitude de passer sur les deux faces des feuilles de mon ficus. Sans les détremper. Les plantes à feuilles larges apprécient : philodendron, caoutchouc, croton. Miss Iceton appréciera. Les chansons douces, les paroles caressantes, pensez-vous que cela rendra la transition moins brutale ? Qu'elles reconnaîtront ma voix ? Qu'elles me reconnaîtront à ma voix ? Que puisque je leur dis bonjour à chacune quand je rentre dans la pièce -j'allais dire dans leur chambre-, je me dois de glisser à chacune un petit mot quand je les sors ? Sinon elles ne comprendraient pas. Le doute s'insinuerait en elle. La crainte. On ne sait pas ce que la crainte peut faire chez une plante. Sur elle. Il y a des effets inattendus que je préfère ne pas voir. Ni évoquer. Les évoquer, ce serait les provoquer. On ne m'enlèvera pas cette idée de la tête. Je ne garderai donc que le positif. Je trouverai bien une comptine pour les rassurer. Pour atténuer le choc. Pas le choc thermique, je choisirai une journée sereine, ni trop froide ni trop chaude, une température qui ne les dépayse pas. Je veux qu'elles se sentent aussi chez elles dans ma cour ou sur mon balcon. Sur ma terrasse si j'ai la chance d'en avoir une. Je veux partager cette chance avec elles. Qu'elles goûtent mon bonheur. Un bonheur qu'elles n'ont pas moins mérité que moi, tant elles contribuent, par leur silence, par leur simple présence à mon succès. Si je suis équanime, si c'est cela que l'on récompense par des primes, des promotions, c'est d'abord parce que mes plantes sont d'humeur égale. Elles seraient versatiles, mes collègues se plaindraient à mon chef et ils auraient raison, on sanctionnerait comme il faut mes brusques sautes d'humeur. On me pousserait plus ou moins gentiment vers la sortie. Là, si je leur fais prendre l'air, c'est pour les remercier. Pour qu'elles savourent une victoire qui est d'abord la leur. Comment leur exprimer ma gratitude ? En quelle langue puis-je les remercier ? Quelle musique faut-il choisir ? Existe-t-il des types de musiques, des airs qu'un pot affectionne et l'autre pas ? Fussent-ils de la même espèce. Faut-il tenir compte du moment? Du lieu ? Si je l'expose sur mon balcon, sur ma terrasse si j'ai la chance d'en avoir une, ou dans la cour. En quelle langue puis-je m'adresser au yucca ? Dois-je lui parler en yucca ? Et si je ne le connais pas ?! Dois-je rassurer l'orchidée quand je lui donne son bain hebdomadaire ? Et elles, que nous disent-elles, les plantes ? S'il est vrai qu'elles parlent. Quel idiome emploient-elles ? Est-ce que cela dépend, là aussi, de la personne à qui elles s'adressent ? Du lieu, du moment? De leur humeur ? Se peut-il qu'elles en changent, qu'en changeant de séjour elles changent d'humeur ? Qu'une soudaine exposition au soleil, sans préparation, explique cette humeur sombre ? Ou que cela vienne de moi, de la culpabilité qui est la mienne quand je songe à ce que je leur impose en les déplaçant? Sont-elles capables d'empathie ? Sont-elles comme on dit des éponges ? Absorbent-elles mes angoisses ? Mon horreur du changement ? Sont-elles devenues à mon contact casanières ? Est-ce que je leur communique mon stress ? Et elles, qu'est-ce qu'elles me transmettent ? Faut-il que je leur montre que je ne suis pas sourd ? Sourd comme un pot ! Faut-il que je les écoute mieux ? Que je sois dans l'écoute ? Dans l'écoute flottante. Faut-il que je les laisse venir ? Que je leur laisse le temps, la liberté de dire ce qui les chagrine et risque, si je n'entends pas leurs demandes, ou si je les sollicite trop, de devenir oppressant ? D'augmenter leur souffrance ? Car elles souffrent, c'est évident. Mais de quoi souffrent-elles ? Peut-on parler d'un syndrome d'abandon ? En parler avec elles ? Comment leur expliquer que si je les sors c'est pour leur bien, et non pour me débarrasser d'elles ? Pour qu'elles prennent un peu l'air, et la pluie qui ce matin est un doux crachin, qui leur fera l'effet d'un brumisateur. Ma phalaenopsis devrait aimer ça. J'ai lu que les orchidées vivaient le plus souvent en haut des arbres. Accrochées en haut des arbres, j'ai du mal à me les représenter, les pauvres. Je les vois mieux sur les flancs des rochers. Où on n'est pas non plus à l'abri du vertige. Mais je ne veux pas leur donner mon vertige. Si elles se sentent bien en hauteur dans les arbres, sur les flancs des rochers, c'est le principal. Les racines de l’orchidée étant conçues pour brasser l’humidité de l’air, le temps qu'il fait aujourd'hui, ce doux crachin devrait leur plaire. Qu'en pensez-vous ? Et elles, qu'en pensent-elles ? En parlent-elles entre elles ? Dès que j'ai le dos tourné. Ont-elles ce pouvoir qu'on prête de plus en plus aux arbres ? Est-ce que ça discute sur mon balcon, dans ma cour autant qu'en forêt ? Ressentent-elles la douleur de celle à qui une main malhabile, pas vraiment verte, a infligé cette coupe ? Peut-on imaginer une taille plus sévère ? L'humiliation de celle qui ne sait plus où se mettre ? Qui raserait les murs, si elle pouvait marcher. Et elle pouvait marcher. Elle marchait, avant. Ma forêt qu'il a transformée, l'abruti, en têtard, en bonsaï. Le voisin maladroit ou plutôt malveillant. Elle crierait sa colère, ma pauvre forêt, si elle avait la force. Mais elle l'a peut-être. Peut-être est-ce moi qui ne l'entend pas. Occupé que je suis, trop occupé de moi. M'en veut-elle, alors que je n'y suis pour rien ? Que c'est le résultat d'une initiative intempestive ? Dois-je me reprocher d'avoir confié mes plantes une semaine au voisin ? D'avoir pris une semaine de vacances. La semaine de congé que j'avais posée. Dois-je avouer ma faute ? Leur expliquer que je n'avais pas le choix ? Ni de la date, ni de la poser. Je devais partir. Laisser mes plantes. Cette perspective m'étant insupportable, j'avais opté pour un court séjour. Le plus court possible. Le moins loin. Afin d'être là, dans les meilleurs délais. En cas d'urgence. Et, pour partir tranquille, quoique légèrement inquiet, pour que cette légère inquiétude ne se transforme pas très vite en crises d'angoisse, en attaques de panique, pour que la mauvaise conscience, les remords ne m'étouffent pas, j'avais demandé à un voisin. Pas au premier venu, pas à n'importe qui, mais à celui qui me paraissait le plus fiable. Bien que je le connaisse très peu, que nous nous soyons seulement salués en quittant l'immeuble, c'était arrivé deux ou trois fois, je lui avais demandé de jeter un coup d'œil à mes plantes, en mon absence, et si nécessaire de les arroser. J'avais bien précisé si nécessaire. Et que mes orchidées avaient pris leur bain hebdomadaire. Que les autres plantes n'avaient besoin de rien. Que d'éviter une exposition au soleil. Dans la cour de l'immeuble où je les avais installées, le plus confortablement possible, elles ne risquaient rien. Le soleil ne ferait que les effleurer. Les caresser de ses rayons. Je ne lui avais en aucun cas demandé de couper les branches mortes, ce qu'il a pourtant fait. Avec le triste résultat qu'on sait. Et des plantes qui me font la gueule, visiblement, elles n'ont pas du tout apprécié. Elles ne sont pas disposées à me pardonner. Que dois-je faire pour regagner leur confiance ? Dois-je leur dire la vérité ? Même si elle fait mal ? Même si c'est ajouter à leurs blessures? Dois-je leur raconter les messages alarmistes que laissait sur mon portable le voisin ? Cette question à laquelle je n'ai pas répondu : Votre yucca ressemble à un saule pleureur. Que dois-je faire ? Aurais-je dû répondre ? Aurais-je pu arrêter la mécanique infernale ? L'empêcher ? Et comment rattraper mon erreur ? Je suis prêt à faire amende honorable, le premier pas, mais est-ce sans risque ? Ne vont-elles pas m'en vouloir davantage, penser qu'en m'excusant ainsi je m'accuse ? Me regarder comme un coupable ? Comme l'unique coupable ?

 

 

Quelques questions que je me pose
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commentaires

P
Bonne question ! qui se double de : peut-on sortir quand ses plantes sont à l'intérieur ?<br /> <br /> J'ai, très récemment, à minuit environ, l'interrompant dans son sommeil profond, décidé qu'il était grand temps de passer l'éponge... sur chaque feuille du jasmin (sur ma fenêtre), recto, verso. Elle es sortie de l'épreuve totalement noire de crasse. Je ne sais pas encore si le jasmin se sent mieux. Il n'a rien dit.<br /> (Bien sûr tu connais le motif du beau refus que Sidi oppose à une invitation de l'infâme Willy à venir voir sa fille Colette : elle ne peut se déplacer, attendant la floraison de son cactus rose, ce qui ne se produit qu'une fois tous les quatre ans !)
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P
Oui, bien sûr, mais pour une excuse elle est d'un raffinement extrême ! qui d'autre que la mère de Colette peut se saisir de ce motif pour échauder son gendre !
D
C'est une excuse ou je ne m'y connais pas. Je parle évidemment de la floraison de son cactus rose.
P
Elle EST bien sûr (dérapage incontrôlé sur le clavier, le sol est humide)