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19 février 2023 7 19 /02 /février /2023 11:32

 

Pourquoi s'en prendre à de pauvres ramasseurs de truffes ?

Les ont-ils pris pour des archéologues ? On sait le sort qu'ils leur réservent, à ceux qui gardent les ruines de Palmyre, et aux ruines elles-mêmes.

Pourtant, ceux qui creusent ici ne cherchent pas des vestiges, mais des espèces comestibles de champignons hypogés. C'est-à-dire souterrains. Fructifiant dans le sol. Comme les truffes, d'où le nom qu'on leur donne. De truffes du désert ou truffes des sables. Et là-bas, du côté de Palmyre et de Deir ez-Zor, de terfass. En arabe classique kamaa .

Quel est leur crime, à ces pauvres ramasseurs de truffes?

Ceux qui les tuent considèrent-ils que le terfass (ou terfesse, terfèze, terfez, terfès) est un aliment impur ?

Ou au contraire qu'il fait partie de la manne (parce qu'il pousse sans être cultivé ni arrosé et qu'ainsi on peut en profiter sans avoir fourni d'effort). S'estiment-ils propriétaires de cette manne divine ? Refusent-ils de la partager ?

Peut-on dire qu'ils l'ont cherché ? Je parle de ce qui leur arrive, et non du terfass. En étant simplement là. Au mauvais endroit au mauvais moment. Et en étant en vie. Ce que les zombies qui les massacrent ne supportent pas, et ne nous pardonneront jamais.

Ces truffes, comme ceux qui les ramassent, c'est la vie qui renaît, après la saison des pluies. De la mi-février à la mi-mars. Le moment de l'année où on les trouve. Où on les vend sur les marchés. Où elles arrivent dans les cuisines et sur les tables. Où l'on retrouve avec bonheur ce goût particulier, entre le champignon et l'artichaut, dans les légumes qu'on sert. Le goût de vivre.

Ce goût, je le découvrirai pour ma part en mars, à Lanzarote où l'on ramasse des truffes du désert (à peu près les mêmes qu'en Syrie, mais sans risquer de mourir), et où l'on vous propose des papas crías  (la trufa de Lanzarote) avec des gambas ou du jamón.

En mangeant mes truffes du désert, je penserai à ceux qui en Syrie sont tombés sous les balles de Daesh. Et à ceux qui sont comme ces champignons hypogés, invisibles mais bien là, prêts à foisonner à nouveau. Le plaisir que je prendrai sera ma réponse au message qu'ils nous envoient.

Truffes du désert
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17 février 2023 5 17 /02 /février /2023 09:13

Le cimetière animalier d'Asnières

 

 

 

Le cimetière animalier d'Asnières-sur-Seine est un formidable terrain de chasse.

Pour les chasseurs d'inscriptions, c'est même le rendez-vous obligé. L'occasion à ne pas rater. D'enrichir sa collection, et de trouver la forme qui réveillera ou révélera le poète.

C'est ce qu'ont fait, il y a plus de deux mille ans, les amateurs qui recueillaient les épigrammes funéraires et les publiaient. En y ajoutant des épigrammes funéraires fictives, composées par eux ou par d'autres, sur le modèle des « vraies ».

L'épigramme est à l'origine (comme son nom l'indique) une inscription sur pierre. Il s'en trouvait de « vraies » sur les pierres tombales, sur des statues ou des objets. Il s'en trouvait beaucoup. Mais sans doute pas assez, pour ces collectionneurs.

On vit donc fleurir les épitaphes funéraires fictives, aussi bien de héros de la mythologie que de petits animaux de compagnie : chien, sauterelle, cigale, grillon, lièvre, mésange, etc.

Qui se risquera aujourd'hui dans le cimetière animalier d'Asnières ? Qui aura cette chance ? De pouvoir imiter le poète de Vérone. D'inventer, comme Catulle avec La mort du moineau de Lesbie, une nouvelle forme poétique.

 

 

 

La chienne Issa

 

 

 

Le bichon maltais était très apprécié des matrones.

Il ne l'était pas moins de certains Romains. C'est ce que l'on voit dans le poème 109 du premier livre d'épigrammes de Martial, sur la chienne Issa.

On pourrait croire que ce poème s'inscrit dans la tradition de l'éloge d'un animal familier. D'un animal chéri d'un enfant.

Mais Publius, son maître, n'est plus un enfant. C'est sans doute un aristocrate, qui est de ces jeunes gens précieux s'adonnant aux plaisirs de l'otium, jouant à écrire des petits vers, ou à peindre. Ou aux deux, quand il décrit dans ses vers son portrait. Celui qu'il a peint de la chienne Issa. Assurément son chef-d'oeuvre.

L'éloge qu'il fait d'Issa -et de son portrait- est tellement dithyrambique qu'il est difficile de ne pas y voir du second degré. Une satire légère.

Ce n'est plus le portrait de la chienne Issa que nous lisons, mais celui du peintre qui a réalisé l'oeuvre de sa vie, du poète qui décrit son tableau, de ce Publius qui n'a que le nom d'Issa à la bouche, qui lui trouve toutes les qualités, qui fatigue ses amis, au premier rang desquels Martial.

23 vers, c'est long, pour une épigramme. Et beaucoup pour une « petite chienne minuscule ». Visiblement Publius nous soûle, quand il nous parle d'elle. Qu'il en parle comme si elle était sa fille voire sa maîtresse. Martial le trouve ridicule. Peut-être même obscène. De brûler ainsi d'amour pour cette petite chienne, pour cette catella dont il voudrait être le Catulle. Pour une « petite chienne minuscule » qui n'est pas plus grosse que le moineau de Lesbie.

Mais « plus friponne »!

 

 

 

Avec son nom qui aboie

 

 

 

Plaute écrit des comédies grecques en latin. Il hérite d'un genre très codifié, ce qui ne l'empêche pas de jouer avec le code. Cela dès le prologue.

Le prologus est un acteur en costume, un personnage censé faire rire le public. D'emblée. Son rôle consiste à créer une ambiance joyeuse.

Le prologue de Casina n'échappe pas à la règle. Plaute se moque de lui-même, de son nom, Plautus, qui peut aussi désigner une race de chien aux oreilles pendantes.

« Déiphile a écrit cette comédie en grec.

Ensuite Plautus avec son nom qui aboie l'a réécrite en latin. »

Plautus cum latranti nomine pose un problème de traduction. Celle de Florence Dupont est on ne peut plus fidèle, mais fera-t-elle rire un public qui ne parle pas latin?

Plaute s'appellerait Clabaud, on ne goûterait pas davantage la plaisanterie. On ne verrait pas le chien de chasse qui a les oreilles pendantes, et qui se récrie mal-à-propos sur les voies. Son nom ne clabauderait pas mieux.

 

 

 

Le premier chien coiffé

 

 

 

Elle serait dans les dernières. À l'avoir, sinon épousé, du moins rencontré. Dans les conversations. Ce premier venu qui a longtemps hésité, pour vous séduire, entre la chèvre et le chat, et qui a opté pour le chien. Et pour cette coiffure.

Quelle coiffure ? Portait-il un chapeau ? Avait-il une coupe spéciale ? Avec quoi pensait-il attirer le regard ? Elle a bien du mal à se le représenter, ce premier chien coiffé. À quoi pouvait-il ressembler ?

Ma grand-mère Marie n'en avait pas la moindre idée.


 

 

Le cimetière animalier d'Asnières
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13 février 2023 1 13 /02 /février /2023 06:37

En attendant l'ouverture, le 14 février, pour la Saint-Valentin, de la Maison des Noces d'Argent à Pompéi, on peut regarder le chantier de restauration, la photo des ultimes travaux, et dire quelques mots de la mosaïque.

Ce que nous voyons, c'est le sol d'une riche demeure pompéienne en 79 ap. J.-C.

La Maison date du IIIe siècle av. J.-C. Elle est modernisée sous Auguste et mise au goût du jour.

Le goût du jour, c'est ici (sur la photo) un pavement en opus tessellatum, bichrome. Cette mode apparaît à Pompéi dès le début de l'époque impériale, avec les décors géométriques en noir et blanc. Elle est tout sauf passagère. Partie d'Italie, elle se répand dans les provinces (latines, car les grecques resteront fidèles à la polychromie). Cela pendant des siècles.

C'est la mode à Pompéi, et c'est la mode chez nous. Où elle est parvenue plus tard, et où elle s'est maintenue plus longtemps. C'est un indémodable. Comme le crocodile -une statuette émaillée retrouvée dans le péristyle rhodien-, et comme le polo Lacoste.

On me dira que le temps s'est arrêté à Pompéi, que c'est une image figée du passé. Que la photo fixe aussi, autant voire davantage qu'une nuée ardente ou une pluie de pierres ponces.

Il n'empêche: on voit bien comment la mode de Rome tarde à arriver dans les provinces, comment elle s'attarde.

On voit aussi comment on s'affranchit des modèles italiques en insérant, dans ces pavements à composition géométrique, dans ces canevas en noir et blanc, des tableaux à couleurs.

On le voit à Grand, dans ce qu'on appelle (sans doute à tort) la Basilique.

Et à Chaillevette, avec la mosaïque de Paterre.

À Chaillevette, la mosaïque qu'on devine sur la photo de Louis Basalo, je pourrais dire dessous, c'est, à quelques détails près, celle de la Casa delle Nozze d'Argento telle qu'elle apparaît sur cette photo du chantier de restauration, des ultimes travaux, et telle qu'elle apparaîtra à ceux qui viendront là pour la Saint-Valentin.

Dans cette Maison qui reçut, peu de temps après sa découverte,  la visite du Roi d'Italie Umberto Ier et de Margherita de Savoie. Le 23 avril 1893, le jour de la célébration de leurs noces d'argent (d'où le nom qu'on a donné à cette maison).

La photo de la mosaïque de Paterre est, je le rappelle, de Louis Basalo et de 1934. Une photo en noir et blanc d'un pavement en opus tessellatum. Bichrome. Une énième variation sur le thème classique des cercles tangents. Ici ils se coupent et déterminent des carrés curvilignes. Noirs. Avec, enchâssés, comme le passé dans le présent, des carrés blancs sur la pointe.

C'est la partie découverte en 1903. « Mise à jour », comme l'écrit celui qui n'en est pas l'inventeur. Mais qui nous donne là une belle invention. En disant « mise à jour » au lieu de « mise au jour ».

Cette confusion mérite qu'on s'y arrête. Qu'on revienne sur cette photo du chantier de restauration de la Casa delle Nozze d'Argento. On dirait -on l'a dit- que le temps s'est arrêté à Pompéi. Figé par l'éruption du Vésuve et fixé par la photo. Mais ce qu'on voit sur la photo, c'est que le temps qu'on croyait arrêté poursuit sa route. Et son œuvre de destruction. Que la Maison que viendront voir les amoureux -les amoureux des ruines comme les autres- ne ressemble déjà plus à celle qu'ont visitée en 1893 les époux royaux. Ils verront au passage que Pompéi est devenu « un parc de ruines contemporaines fabriquées, dans lesquelles la part des restaurations tend progressivement à se substituer à celle des éléments originaux. » (1)

C'est aussi cela que montre la photo : une préservation qui « n'est pas autre chose, fondamentalement, qu'un processus d'invention qui tend à fixer le passé qu'on cherche à commémorer à un endroit unique -c'est-à-dire nécessairement fictif- du temps. » (2)

 

 

  1.  Laurent Olivier, Le sombre abîme du temps, Seuil, 2008, p. 92. 
  2.  Laurent Olivier, Le sombre abîme du temps, Seuil, 2008, p. 91.
Mise à jour
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10 février 2023 5 10 /02 /février /2023 09:02
Photo Vosges Matin/ La Liberté de l'Est

Photo Vosges Matin/ La Liberté de l'Est

Je voudrais, avec ce texte, lui offrir un tombeau. Une sépulture digne de ce nom. De ce surnom, devrais-je dire, car on le connaissait surtout comme l'ermite de Dogneville.

Son nom, c'est peut-être celui qu'il a donné, d'Antonio Garcia. D'un Espagnol, mais il ne sait plus d'où. Ni comment il est arrivé là. Pourquoi il s'est arrêté. Dans cette forêt et dans cette maison de l'ancien fort de Dogneville.

On sait qu'il vient d'Espagne. Parce que c'est de l'espagnol qui sort de sa bouche, quelques mots quand la clope qu'il a au bout des lèvres veut bien les laisser passer. Mais les raisons de son départ, on les ignore. A-t-il pris un jour le maquis ? L'a-t-il pris pour toujours ? Contre qui et contre quoi se battait-il? Se croit-il toujours en guerre ? Que cherchait-il en venant ici ? Cherchait-il à se faire oublier ? Cherchait-il seulement quelque chose ? Avait-il oublié ce qu'il cherchait ou simplement qui il était ?

Cette forêt, je ne la connais pas. Mes bois étaient de l'autre côté, et je suis parti bien avant qu'il n'arrive.

Il était déjà arrivé quand on l'a découvert, en 1990. Couché dans un fossé, en bordure du chantier de la voie express reliant Épinal à Nancy.

Antonio Garcia n'est pas Saint Antoine. La forêt où il habite n'a rien à voir avec nos bois. Nous, quand nous y allions, avec mon grand-père, c'était pour chasser le champignon, pour remplir notre panier. Alors que lui, dans sa forêt, tout ce qu'il ramasse c'est du bois. Du bois pour se chauffer. Pour le reste, il compte sur ses généreux protecteurs. Ceux qui lui ont offert cette maison où il vit dans l’ancien fort de Dogneville. Et sur ses amis : ils déposent des vêtements, des vivres et du tabac à rouler. Notre ermite vit de charité, et il ne fait pas de miracles.

C'est pourquoi il n'a pas son vallon. Ce vallon de Saint-Antoine où nous allions, avec mon grand-père. Tous les deux comme trois frères.

Il n'a même pas son ermitage. Celui que le Chemin des Princes avait en grande partie détruit, quand il était devenu une route. La route que nous prenions pour aller dans nos bois. Et qui longeait la voie ferrée.

De l'ermitage St-Antoine que nous laissions à gauche, il ne restait qu'un mur, puis un tas de pierres qui à leur tour disparurent.

De cette chapelle, le souvenir est d'autant plus vivace qu'il n'en reste plus aucune trace. Que ce nom que nous lui donnions, que nous étions les seuls et sans doute les derniers à lui donner.

Puissé-je faire de même avec Antonio Garcia. Et avec ce texte. Ériger un monument plus durable que cette chapelle. Lui offrir une maison qui traversera les siècles. Une vie qui ressemble à son existence vagabonde. Un récit aussi chaotique et aussi peu édifiant.

Passer après Antoine n'est pas facile. Le mal des ardents étant vaincu, sans doute définitivement, on n'a plus le feu sacré, on se sent inutile. On ne sait plus à quel saint ressembler.

On n'a plus de raisons de perdre la tête, de la ramasser. Qu'est-ce qu'on ferait avec ? Combien de kilomètres ? Alors qu'il y a tant de fagots à faire ici, de bûches à entasser. Et un chien à nourrir.

Il y aurait bien Saint Roch, le saint patron des chiens.

Le sien s'appelle Pépé, c'est ainsi qu'il l'appelle. Parce qu'il se fait vieux ? Ou parce que ça lui revient aussi d'Espagne où Pepe, comme Pepito ou Joselito, est un diminutif de José ?

Ce qui est certain, c'est que Pépé (ou Pepe) est toujours dans ses jambes ou à ses pieds, et qu'ils sont tous les deux comme Saint-Roch et son chien : inséparables.

Mais pour cela aussi, on arrive trop tard : il n'y a plus de peste à écarter.

C'est finalement le rôle d'ermite de Dogneville qui lui échoit. Un rôle moins écrit, mais où il donnera toute la mesure de son talent.

En 1997, quand la commune de Dogneville décide de préempter la maison qui appartenait alors à l’armée. Celui qui avait trouvé la paix dans cette forêt est menacé d'expulsion. Antonio Garcia devient un problème pour les autorités administratives. L’ermite de Dogneville se retrouve alors au centre de toutes les attentions. Un mystère comme on les aime, mais que personne ne parviendra à élucider.

En juillet 1999, celui qui intriguait jusqu'en Espagne est victime d'un malaise. Transporté à l’hôpital, Antonio Garcia s’y est éteint paisiblement. La commune l’a inhumé dans le cimetière local. À quelques pas du fort. Où Pépé (ou Pepe) a pleuré pendant plusieurs nuits. Le berger allemand ne connaissait pas non plus le secret qu'il emportait dans sa tombe. Mais il savait qu’il venait de perdre son ami.

 

Voilà ma contribution aux Images d'Épinal. Une nouvelle image qui n'entrera dans aucun album. Qui sera à son image, coupera les liens, refusera les appartenances. Les assignations. Une feuille volante, pour une vie de camp-volant. Une feuille de saint, pour un saint qui ne marchait pas avec sa tête coupée, sa tête dans les bras. Qui ne marchait pas vers la sainteté, mais pour habiter. Qui habitait enfin son personnage.

Voilà l'image que je voudrais donner de lui. Laisser. Une image pas du tout pieuse, rompant avec les bondieuseries, mais renouant quand même avec la tradition des Saints. Que promenaient dans leur hotte les Chamagnons. Ces colporteurs venus de Chamagne (d'où est parti Claude Gellée dit Le Lorrain, mais pour d'autres images et devenir Lorenese, Claudio Lorenese).

Voilà l'image que je sortirais de ma hotte. Que je montrerais dans mon petit théâtre. Que je promènerais de village en village. Que je donnerais, car je ne suis pas un marchand d'images. Je n'ai rien à vendre. Ni tissu, ni rubans, ni colifichets. Ni livres, ni journaux. Pas d'autres nouvelles à colporter, d'autres légendes que celle de l'ermite qui arrivait d'Espagne et qui n'accomplit aucun miracle. En dehors de rester en vie.

L'ermite de Dogneville
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8 février 2023 3 08 /02 /février /2023 10:29

 

Ce qui vole, ici, ce ne sont pas les tartes, mais les tourtes. Comprenez les tourterelles. C'est sous ce nom qu'elles volent chez nous. Qu'on les entend. Et leur roucoulement est pénible, s'il insiste. Comme celui du pigeon (mâle) quand il répète toute l'année, et particulièrement à l'aube, « je suis chez moi ». Tourterelles, pigeons, colombes, on est fatigué de les entendre. On maudit les tourtes qui nous réveillent aux aurores. Ou qui dérangent notre sieste.

Dans la famille (des Columbidae), il y en a un qu'on n'entend plus, c'est le Dronte de Maurice ou Dodo.

Cet oiseau coureur de l'Île Maurice s'est arrêté de courir. Par la faute des Hollandais. Ils ne l'ont pas empêché de voler, ces colons hollandais, il ne volait déjà plus quand ils sont arrivés. Mais il courait encore. Pataudement, mais il courait

Certes, la paresse lui a rogné les ailes. Là où il vivait, dans le luxe et la volupté, il n'avait pas de mal à trouver sa nourriture, pas de route à faire. Tant et si bien qu'il a perdu l'habitude de voler. Et en partie ses ailes. Il lui restait des pattes, des pattes pour courir, mais courir pourquoi. Pourquoi se presser quand tout vous tombe toujours tout cuit dans le bec ? Le moindre effort vous coûte, vous devenez gros et presque cubique, incapable de vous défendre. Vous n'êtes plus armé. C'est ce qui est arrivé avec les Hollandais. Avec cette faune qu'ils ont introduite dans votre île paradisiaque et qui a pillé vos nids. Les rats, les cochons et les macaques crabiers ont eu la peau du Dodo !

Les tourtes nous empêchent toujours de dormir, avec leurs roucoulements, mais on n'entend plus le Dodo. Cette espèce endémique de l’Île Maurice découverte en 1598 a disparu entre 1679 et 1693. Pourtant on en parle toujours. Et de plus en plus.

Non qu'il propose à nouveau « une course à la Comitarde ». Depuis Lewis Carroll, personne à ma connaissance n'a eu l'idée saugrenue de la relancer.

En revanche, ce qui n'existait jusque là que dans la littérature fantastique, dans la tête de quelques savants fous, prend corps. Oui, ce projet dont on pouvait croire, voire espérer qu'il avait du plomb dans l'aile, fait la une des journaux : on va ressusciter le Dodo !

Souvent cité comme un archétype de l'espèce éteinte car sa disparition, survenue à l'époque moderne, est directement imputable à l'activité humaine, le Dodo revient aujourd'hui comme candidat à la désextinction. Il est sur la ligne de départ. Sur la même ligne que le mammouth laineux et le loup de Tasmanie. Souhaitons qu'il n'ait pas retrouvé ses ailes. Qu'il se hâte toujours aussi lentement. Qu'il n'arrive pas premier. Qu'il ne soit pas cité comme un archétype de l'espèce déséteinte.

Une espèce déséteinte
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7 février 2023 2 07 /02 /février /2023 08:29

 

Éligible à la fibre optique -elle a passé son test d'éligibilité avec succès-, la maison se sentait pousser des ailes.

Elle se voyait éligible à tout un tas de lois et dispositifs.

Il fallait juste trouver le bon propriétaire, souhaitant investir dans l'ancien et dans un but locatif, la bonne commune, le bon cœur de ville à revitaliser, le logement dégradé ou la vacance commerciale, ce qui était assez compliqué.

C'est pourquoi elle préférait, elle préférerait, une fois de plus, s'en remettre au hasard, tenter sa chance sans la forcer, sans se forcer, sans le moindre effort puisqu'il n'est même pas nécessaire de s'inscrire à la loterie pour jouer.

Un jour quelqu'un vous appelle, ou vous recevez un message qui vous apprend que vous avez été choisie, que vous êtes l'heureuse élue. Et d'abord éligible. Par exemple au loto. Au fameux Loto du Patrimoine.

C'est arrivé ici. À la maison de Pierre Loti.

Né l'année où est lancé, à Toulon, le « Napoléon ». Dont la coque est encore en bois. Julien Viaud n'aime pas la construction en fer des bateaux, les vaisseaux à vapeur, toute sa vie il gardera la nostalgie de la marine en bois et de la voile. Voilà donc ce marin en bois promu, par un heureux hasard, officier de marine, Julien Viaud devenu « Pierre Loti, capitaine de vaisseau ». « Monsieur le capitaine de vessie loto». Victorien Sardou ne croyait pas si bien dire, avec sa contrepèterie foireuse. En 2018, la Maison de Pierre Loti est éligible au loto. Au Loto du Patrimoine.

Dans cette Charente qui a heureusement cessé d'être Inférieure, qui se proclame maintenant Maritime, nous sommes assez bien lotis. Avec la maison de Pierre Loti à Rochefort. Et, l'année suivante, la Maison de la Gaieté à Chérac.

Cette maison sait s'y prendre avec celui qui navigue sur la toile, comment faire avec le viandante (le voyageur en italien).

Elle a retenu la leçon de la tombe, de celles qui étaient installées au bord des routes, à l'entrée des villes. Elles ne sont pas encore muettes, ces tombes, elles savent ce qu'il faut dire au viator (le voyageur en latin) pour qu'il lise ce qui est écrit dans la pierre. Pour qu'il le lise jusqu'au bout. Et que la terre vous soit légère.

Ce voyageur, on ne sait plus comment l'appeler. On a perdu son latin, et de l'italien qu'on rêvait tant d'apprendre, on ne possède que quelques mots qui sont du piémontais, du piémontais de son village. Des mots que le voyageur n'entendrait pas, s'il les entendait.

Mais il a autre chose à faire. Mieux à faire que d'écouter des tombes par définition muettes. Des tombes dont il ne reste rien. Qu'une pile, un fanal qui égare plus qu'il n'éclaire. Le voyageur n'a pas besoin de vos lumières. Il sait apparemment où il va.

Il n'est pas encore patron des écoliers, le protecteur des enfants. Il est seulement en marche : il marche vers la sainteté.

Sa route passerait par là, je ne sais pas s'il s'arrêterait.

Certes, c'est un boucher qui a fait la Gaieté, de sa maison une auberge, mais je ne suis pas sûr qu'on y servait du petit salé. Ni qu'il aurait l'idée d'en demander. De ce petit salé qui n'est pas dans le saloir.

Mais est-ce bien sa route ? Se serait-il trompé ? Par quel miracle se retrouve-t-on à Chérac ? J'ai le sentiment qu'il faut, pour arriver là, pour s'arrêter là, le vouloir. Très fort.

On ne débarque pas comme ça. En faisant bonjour, de sa mitre. L'auberge est accueillante, mais elle n'a jamais reçu d'évêque. Elle ne saurait pas s'y prendre. Quoi répondre, si d'aventure il demandait du petit salé. Comment lui dire qu'il n'y en a pas. Qu'ici on sert d'autres viandes. On n'aime pas décevoir le client. Surtout quand il vient de loin. Quand il a fait tout ce chemin.

Quant aux trois qui s'en allaient glaner aux champs, qui ramassaient tout ce qu'ils pouvaient, le peu que leur laissaient les grolles et avant les labours, je ne vois pas la nuit, la faim les conduire ici, ces pauvres drôles. Je les imagine tiktokant comme ils font tous, mais pas toquant à cette porte.

Ils appelleraient, le boucher ne répondrait pas, il n'écouterait pas le message. Il n'est pas né comme moi à Épinal. Il n'a pas grandi dans les images.

Il les aurait mis au saloir comme pourceaux, ces trois tiktokeurs, il ne vous laisserait pas approcher. Ici on ne recolle pas les morceaux. On ne raccommode pas la porcelaine. Vous pouvez remballer votre crosse.

Franchement, le boucher a mieux à faire. Il a sa maison à décorer. Sa façade et aussi l'intérieur. Les meubles.

Les assiettes qu'on lui porte à l'abattoir, qu'on dépose dans la cuve en ciment, il faut les trier. Les casser, si elles arrivent entières. Il faut rassembler les cassons qui vont ensemble, qui feront d'une scène de ménage un joli théâtre : finir le puzzle. Ou au moins avancer.

Et puis Lili ne prêterait pas son lit. Sa maison. Vous êtes ici chez elle. Elle vous enverrait promener.

 

 

 

 

Photo Josiane Ruhaud

Photo Josiane Ruhaud

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3 février 2023 5 03 /02 /février /2023 07:49
Crocodilopolis

I

 

Il pleure toutes les larmes de son corps

de pierre

 

II

 

Il traîne sa queue, sa queue dans la poussière

mais pas que.

On dit qu'il verse des larmes

dans le seul but de vous étrangler.

Qu'il contrefait les cris d'un enfant qui pleure

pour attirer dans l'eau les passants

et les dévorer.

C'est aussi ça qu'il traîne,

cette sale réputation.

 

III

 

Il faut être Grec ou Romain pour confondre ce rauque vagissement avec des pleurs d'enfant.

Il faut ne l'avoir jamais entendu, n'en avoir jamais vu pour colporter cette légende du crocodile qui pleure afin d’attirer ses victimes au bord de l’eau, qui les trompe en simulant des pleurs d’enfants.

Si vous habitez dans la vallée du Nil où l'espèce pullule, vous n'aurez que l'embarras du choix. Mais il faut trouver le bon. Puis répondre à ses besoins et désirs. Vous assurer régulièrement qu'il n'est pas malade, qu'il a de quoi manger. Lui apprendre aussi la discipline. Sinon il vagira pour un oui pour un non, il aura toujours faim.

Quand vous l'avez bien en main, regardez votre petit dinosaure ou votre œuf, selon ce que vous avez acheté, vous saurez vite ce qu'il veut : jouer, se faire laver, soigner, etc. Vous avez le droit de le gronder s'il demande trop souvent à manger. Ou trop d'affection.

Mais ne vous méprenez pas. L'animal n'est pas programmé pour les chants d'amour, ni pour les lamentations. Quand il est satisfait, il affiche '' comblé ''. Et il est triste quand le signe '' triste '' apparaît.

Quand ce signe apparaît, il suffit d'appuyer deux fois sur le bouton A pour le rendre heureux. Comme un tamagotchi.

 

IV

 

À Crocodilopolis,

la ville des crocodiles,

dont le dieu est un crocodile

ou un homme

à tête de crocodile,

il y a aussi des chiens,

142, on les a comptés,

et un enfant de 8 ans.

On ne sait rien de lui,

sinon qu'il repose parmi les chiens.

On l'a posé soigneusement,

avec pour linceul

un sac de lin

qui ne couvre que le visage.

De quoi le protège-t-il ?

Les chiens n'ont pas la mémoire courte,

ils n'attaqueraient pas un enfant

qui ne les a pas noyés,

qui leur a fait une place dans sa tombe.

S'il ne protège pas,

qu'est-ce qu'il cache ?

Et pourquoi cacherait-on là-bas,

dans la capitale du Fayoum,

ce que montrent les portraits

qui sont dans nos musées?

 

V

 

Ce n'est pas un crocodile marin ou estuarien,

le plus grand des crocodiles encore vivants,

nous sommes en Égypte,

dans l'Égypte antique,

et pas aujourd'hui en Australie

où cette espèce qui avait pratiquement disparu

des fleuves et lacs du nord revient,

à la vitesse de l'éclair et savoure,

avant de l'engloutir,

ce corps roboratif et juteux

que la curiosité scientifique

a placé sur sa route.

 

L'époque, si haute soit-elle,

ne permet pas une telle rencontre.

Ce n'est donc pas ce prédateur archaïque de l'humain,

ce proche parent des dinosaures,

mais un banal crocodile

qui a jailli de l'eau boueuse

et considère son repas,

avant de l'attaquer.

 

Alors ça te fait quoi, bonhomme,

d'être regardé comme de la nourriture ?

C'est ce qu'on lit dans ses yeux,

qu'on n'a pas le temps de lire.

 

VI

 

Maintenant que j'ai péri

dans les mâchoires de la bête,

dois-je remercier le crocodile

qui m'a jugé digne

de servir de repas au dieu ?

 

VII

 

Des dépouilles qui remplissent

d'immenses galeries

il ne saura rien

 

Ni des grottes naturelles

comme à Maabdé

près de Manfalout

où une caverne qui s'enfonce

profondément dans la montagne

en renfermait je dirais des milliers

mêlés à des momies humaines

 

Ni des quantités de paquets

maintenus par des roseaux

contenant j'ai bien compté

vingt-cinq petits crocodiles

collés ensemble par le bitume

souvent placés sur de petites corbeilles

d'écorces avec des œufs

du saurien à l'intérieur

desquels il y avait encore

vous pouvez voir

les embryons bien conservés

 

VIII

 

Ni des crocodiles empaillés

qu'un fellah aux aguets sur la rive vous offrait

dont il ne demandait que trente piastres

 

Il demandait presque autant d'un petit organe

du même animal préparé à part

et connu pour rallumer

chez l'anachorète de Croisset

le désir d'Orient

 

IX

 

Foutredieu ! Il ne manquait plus que ça,

« Maxime va recommencer ses rages photographiques »,

et Gustave à écrire.

 

X

 

Il a sa place dans la faune

momifiée de l'ancienne Égypte

qu'on a fait (vu le beau temps)

descendre au jardin.

Dans la lettre de Flaubert (à Louis Bouilhet)

et sur son gazon

où ce crocodile embaumé

qu'il a rapporté de Nubie,

avec un tas d'affaires,

se rafraîchit maintenant.

Le pauvre vieux a revu tantôt le soleil, écrit-il,

pour la première fois peut-être

depuis trois mille ans.

Je ne sais pas si la musique

qui sonne et crie de l'autre côté

lui rappelle les fêtes de Bubastis,

mais j'y rêve, moi,

dans mon bitume.

 

XI

 

Dans la photographie de Nadar, on reconnaît bien l'auteur de Salammbô.

Mais le Flaubert que je préfère est quand même le Crocodile sur un banc de sable (1857), de Francis Frith (1822-1898).

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 février 2023 3 01 /02 /février /2023 09:49

Parmi les fossiles qui s'incrustent dans le présent, dans ce présent réminiscent que j'aime tant explorer, il y a le st môret.

Dont le nom ne figure sur aucune carte, dans aucun calendrier. On aura beau chercher ce saint, retourner la Bretagne, on ne trouvera pas les navigations qui l'ont conduit là, sur nos tables et dans nos assiettes, par quel miracle il est arrivé chez nous.

Il y a bien l'accent circonflexe, « l'accent du souvenir » (1), mais ici il ne se souvient de rien, d'aucune lettre disparue, d'ailleurs on ne sait pas où le placer. Sur le o, il ressemble à une couronne, mais on ne voit pas quelle tête elle pourrait bien coiffer. Quelle tête coupée, dont ce serait aussi bien l'auréole.

Ce nom de Môret, il faut bien l'admettre, personne ne l'a porté, pas même un ancien dieu pour faire la Manche, se refaire une sainteté, en Armorique ou voyager incognito. On peut éplucher la presse locale, les listes de classes, le Web, les registres d'état civil, il n'est pas dans les prénoms insolites. Personne à ce jour n'a appelé son fils Môret.

Créé en 1980, comme le fromage à pâte fraîche qu'il venait baptiser, Môret est un nom qui n'a jamais servi. Ce qui ne lui enlève rien, et n'ajoute pas non plus à sa qualité. Qu'un petit goût de terroir, mais si peu prononcé.

Voilà donc un fromage aux saveurs authentiques, c'est-à-dire du faux vieux. Comme le vieux pané. Qui est, comme son nom l'indique, bon comme du bon pain. Et un fromage industriel.

Ou, pour rester dans la famille (des fromages industriels à pâte fraîche), comme le Boursin et le Tartare. Et le Chavroux.

Oui, le st môret est une invention. Doublement. Comme création, et au sens archéologique du terme. Je ne sais pas le nom de l'inventeur, je connais seulement sa découverte. Et le nom qu'il ou qu'on lui a donné. De st môret. Qui sent bon la France. Qui sonne vrai. Un peu comme le moretum quand il fut créé.

Car il fut créé, quoi qu'on dise chez les antiquaires. C'est même une création permanente. Une recette écrite, et transmise. N'en déplaise aux nostalgiques. Pour qui la tradition est forcément orale. Cette recette est traduite, c'est-à-dire interprétée. Regardez le Moretum.

Ce texte attribué à Virgile et tiré de l'Appendix Vergiliana, je l'ai moi-même traduit. Il se trouve dans Le Jardin de Priape, paru en 1997 aux éditions Séquences.

Mais qu'est-ce que le moretum ?

Un plat, répond Florence Dupont, un « plat composé d'herbes, d'ail, de fromage, de sel, d'huile et de vinaigre, qui évoque le régime alimentaire des prisci, des Romains des premiers temps, un peuple de bergers et de cueilleurs » (2)

Quand Cybèle arrive à Rome, en 204 av. J.-C., elle reçoit le nom de Magna Mater, de « Grande Mère ». C'est ce que montre Florence Dupont dans son Histoire littéraire de Rome. Ensuite sont célébrés en son honneur, du 4 au 10 avril, les « Jeux de la Grande Mère », comportant des jeux scéniques, des ludi graeci, mais réservés aux citoyens romains. Pendant ces jours de jeux, les familles de la noblesse, regroupées en confréries, échangent des invitations pour des banquets privés, « à l'ostensible frugalité ancestrale ». On y consomme le moretum. Et c'est, selon Ovide, « pour rappeler à cette antique déesse un aliment antique qu'on lui offre un mélange de fromage blanc et d'herbes pilées. » (3)

« Ces repas rituels sont une tradition archaïque créée de toutes pièces, conclut Florence Dupont. Voilà pour l'identité romaine. » (4)

Le moretum est donc une création. Comme l'identité romaine. Une identité qui n'exclut pas, contrairement à notre identité nationale. L'origo n'est pas l'origine. C'est, selon Florence Dupont, la force qui permet d'unifier l'empire et de préserver la diversité de ses peuples.

Le plat que nous avons découvert, pendant les jours de jeux, nous le retrouvons dans ce poème auquel il donne son titre, et en partie son sujet, puisque c'est à la préparation d'un moretum que nous assistons.

Le Moretum n'est peut-être pas de Virgile, mais il ne serait pas indigne de lui. Il a, comme le plat dont nous lisons la recette, dont nous suivons l'élaboration, une vraie couleur virgilienne.

Certes, ce paysan (nommé Simylus) est un métayer pauvre qui n'aurait peut-être pas sa place dans les Géorgiques. Il mériterait encore moins, tant il est rustique, pour ne pas dire rustre, de figurer dans les Bucoliques. Disons que cette petite pièce, si enlevée soit-elle, est un peu trop réaliste. Trop latine et pas assez grecque. Simylus n'est pas, ne sera jamais Tityre.

Ce n'est qu'un Italien. Qui invente, au sens archéologique du terme, le moretum. Il l'invente aussi d'une autre façon, qui est la sienne.  Et il invente du même coup le mouvement Slow Food.

Il ne prépare pas seulement un plat, selon une recette qu'il invente devant nous, il compose encore un tableau charmant.

Nous voyons Simylus dans sa maison. Qui n'est pas une casa, mais une casula : une « cahute ». Avec un tout petit jardin où il cultive de quoi survivre, dont nous ferions bien un farci car il y a des bettes, de l'oseille, des poireaux, de la laitue, tout ce qu'il faut. Lui, ses légumes, ses herbes, il va les vendre au marché. Où il n'achète pas. Il n'a besoin de rien. Il est heureux comme ça.

Et nous aussi, en partageant sa vie. L'espace d'un texte. Une vie qui, si minuscule soit-elle, ne manque pas de noblesse. Il y a de la beauté dans ses gestes, de la poésie. C'est du plaisir qu'il fabrique. Simylus est à sa manière un épicurien. Le véritable épicurien.

Simylus ne simule pas. S'il invente sous nos yeux son moretum, s'il traduit donc interprète la recette, il n'en rajoute pas. Il ne surjoue pas. Jamais il ne tombe dans « l'ostensible frugalité ancestrale ». Et nous nous régalons à le regarder faire. Son pain, et « des mets pour les servir avec ». Son Moretum où il met de l'ail -quatre gousses-, de la livèche (appelée aussi céleri perpétuel ou ache des montagnes ou herbe à Maggi), de la rue, de la coriandre. Qu'il pile dans un mortier puis mélange au fromage. Qu'il malaxe jusqu'à obtention d'une pâte homogène. Qu'il sale et arrose d'huile d'olive et d'un peu de vinaigre. Qu'il travaille encore. Et pétrit. Tout cela dans le mortier. C'est le mortier (mortarium en latin) qui lui donne sa forme et son nom (moretum).

Il me vient, en le regardant préparer son plat, une question. Se pourrait-il que le moretum soit à l'origine du st môret? Du nom, sinon de la chose. Parce que ce « mélange de fromage blanc et d'herbes pilées », s'il devait donner quelque chose, ce serait plutôt du Boursin ou du Tartare (ail et fines herbes).

Ou de la cervelle de canut, mais nous aurions quitté les spécialités fromagères industrielles pour entrer dans la cuisine lyonnaise.

Je n'ai pas la réponse pour le nom.

Pour la chose, elle est dans ce moretum que Simylus prépare. Où il ne met pas du fromage blanc, mais « la croûte d'un fromage qu'a durci le sel ». Où l'on retrouverait, non pas le goût primeur du st môret, mais celui, extrêmement piquant, du cachat. Un mot qu'on propose, dans certaines traductions, notamment pour le titre. Mais tout le monde ne connaît pas ce fromage fort, originaire du Comtat Venaissin, élaboré sur le piémont du mont Ventoux, à partir de restes de différents fromages pressés ensemble et fermentés, et je ne suis pas sûr que Le Cachat soit plus parlant que Le Moretum. Dont la recette que nous découvrons dans ce poème n'a rien à voir avec celle du st môret.

Produit depuis 1980 en Dordogne et en Anjou, et selon la même recette. Composée de lait, de crème et d'une pointe de sel, elle en fait  « une spécialité fromagère authentique saine et onctueuse ». Et industrielle.

Tandis que Simylus (ou le pseudo Virgile) nous sert un moretum à sa façon. Un moretum de sa composition. Une véritable création.

C'est un banquet où, n'étant pas citoyens romains, nous n'étions pas conviés. Où nous nous sommes cependant invités. Et où Simylus nous a parfaitement reçus. Dans les règles de l'art. De l'art d'accommoder les restes. Nous avions là de quoi garnir notre pain. Du fricot comme on n'en fait plus.

 

1. Bernard Cerquiglini, L'Accent du souvenir, Les Éditions de Minuit, 1995.

2Florence Dupont, Histoire littéraire de Rome, p. 145, Armand Colin, 2022.

3Ovide, Fastes, IV, 367-372.

4Florence Dupont, Histoire littéraire de Rome, p. 146, Armand Colin, 2022.

Du fricot comme on n'en fait plus
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30 janvier 2023 1 30 /01 /janvier /2023 10:50

L'oblitération est presque effacée mais on distingue...

L'oblitération, c'est bien sûr le cachet. Le cachet de la Poste faisant foi, selon la formule consacrée, le doute n'est pas permis. On sait parfaitement quand et où a été postée la carte.

Si l'oblitération est presque effacée, c'est une autre affaire, une affaire autrement compliquée. Le cachet de la Poste ou ce qu'il en reste ne garantit plus rien. On croit apercevoir IS et la fin d'un N, et on se demande si les habits des personnes qu'on voit sur la carte ne seraient pas plus fiables. Ou les amis s'ils passent par là et veulent bien oublier la route pour jeter un œil à nos tombes et nous écouter.

En voici un justement, qui s'est arrêté et a pris le temps de nous lire. De lire le message jusqu'au bout.

« Bonjour, nous répond-il, si on enlève les villes contenant Saint (84 réponses de plus) voici la liste des villes contenant NIS:
AIGREFEUILLE-D'AU
NIS, ANCENIS, ANISY, BEAUMES-DE-VENISE, BENISSON-DIEU, BERNIS, CANISY, CIRE-D'AUNIS, CONFLANS-EN-JARNISY, FONTAINE-DENIS-NUISY, GENIS, GENISSAC, GENISSIEUX, GOUTEVERNISSE, INJOUX-GENISSIAT, LANISCAT, LANISCOURT, LANSLEBOURG-MONT-CENIS, MAISONNISSES, MONISTROL-D'ALLIER, MONISTROL-SUR-LOIRE, MONTCENIS, MORMANT-SUR-VERNISSON, NISSAN-LEZ-ENSERUNE, NISTOS, NOGENT-SUR-VERNISSON, NUAILLE-D'AUNIS, PANISSAGE, PANISSIERES, PLENISE, PLENISETTE, TANIS, THENISSEY, THENISY, TOURNISSAN, TREMINIS, VENISE, VENISEY, VENISSIEUX

Encore un peu de boulot et on y est. »

Le cachet étant presque effacé, il ne fait plus foi. Et on ne sait plus à quel saint se vouer. On se jette dans les bras du premier venu, du « premier chien coiffé » comme disait ma grand-mère. Une expression qu'on n'entend plus, qu'on n'entendrait plus. Pas plus que « le cachet de la Poste faisant foi ». Ou que cette « oblitération presque effacée ».

Cette empreinte, le temps l'effacera un jour. Complètement. Comme le reste, comme tout ce qui reste et qui croit échapper à l'usure en entrant dans le dictionnaire. Un musée où finissent les mots qui ne servent plus, comme oblitération qui me revient aujourd'hui, le jour où la Poste annonce la fin du timbre rouge, où elle précise, pour rassurer ses clients (âgés) que cela ne signifie pas la fin du timbre, que les e-lettres restent des lettres, rouges si on le désire. Et si on met le prix.

Sera-t-il encore oblitéré, ce timbre ? Ou l'est-il déjà ? Ce cachet qui faisait foi, qui apportait la preuve que le timbre a eu un réel usage postal, qu'il a servi à affranchir du courrier. Qui attestait aussi qu'il avait, sinon perdu toute valeur, du moins une cote moindre qu'un timbre neuf, en particulier un timbre neuf « sans charnière ». Cette empreinte qui est plus ou moins effacée le sera-t-elle totalement ? Et dans un avenir proche ?

On peut le craindre. Craindre aussi pour le mot affranchissement. Dont Muriel Pic a réuni les deux sens, dans son beau livre : l'affranchissement des lettres et des colis qui fit longtemps le bonheur des philatélistes, même s'ils préféraient le timbre neuf, et « sans charnière », et l'affranchissement des esclaves, leur émancipation, la libération à laquelle nous n'avons pas renoncé, malgré l'usure du temps.

La fin du timbre rouge
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28 janvier 2023 6 28 /01 /janvier /2023 07:19

Observons le curieux. Il singe Le Singe antiquaire, fait le numismate, comme dans le tableau de Chardin. Il examine cette pièce qu'il vient d'acquérir, après enchères (sur eBay), qu'il a payée beaucoup plus que son prix, déjà trop élevé, avec sa carte et pas en monnaie de singe. Il se demande si elle peut entrer dans sa collection, et quelle place lui donner. Mais il n'a pas de tablette, ni de loupe, il est de son époque. Il clique sur ARIVOS et regarde ce qui « arrive ». Qui « arrive ».

ARIVOS en personne. Imberbe et cheveux bouclés. Il offre un profil grec apollinien, et c'est un chef gaulois. Un héros. De la fin de l'indépendance ou des débuts de la conquête romaine. Un contemporain de Vercingétorix. Son nom, ARIVOS, est écrit en alphabet latin, juste devant le visage -devant sa tête casquée à gauche. C'est tout ce qu'on voit sur l'avers. De ce denier.

Un denier, donc une pièce d'argent. Ce qui n'enlève rien à sa valeur. Ce qui n'en fait pas de la menue monnaie.

Cela n'en fait pas non plus un cadeau que l'on s'offre, entre nobles, un objet de prestige comme le serait une pièce d'or.

Ce n'est pas une pseudo-monnaie. Elle était certainement employée à des échanges commerciaux.

Mais c'est d'abord une médaille que le dénommé ARIVOS a fait frapper, à son effigie. Imitée des statères d'or émises par Philippe II de Macédoine, au moyen desquelles étaient payés les mercenaires gaulois qui combattaient dans les armées grecques et carthaginoises. Ces mercenaires, s'ils ne sont pas morts, reviennent chez eux, avec leur salaire. Des statères d'or qu'on utilisera comme prototypes pour frapper monnaie. Pour entretenir sa légende. Celle du « Frappe-devant » que fut et sera à jamais ARIVOS. Puisque c'est cela que veut dire son nom en gaulois : « Guerrier de première ligne ». Les ennemis, il les mettait en pièces, ou en fuite, rien n'arrêtait le cheval que l'on voit sur le revers : stylisé, bridé et sanglé, galopant vers la droite. Dessous, on distingue un cercle perlé. Devant et au-dessus on peut lire : SANTONO.

Voilà donc un chef santon, un héros de ce peuple gaulois dont le nom signifie « Migrants ». Des « Migrants » installés, quand on frappe cette monnaie, à Saintes et en Saintonge, deux noms qui viennent de là justement, des Santons.

Voilà une nouvelle pièce pour ma collection, se dit le curieux. Mais où la ranger ? Il ne manque pas une tête d'empereur dans sa tablette (numérique), et son médaillier (virtuel) affiche complet. Il n'y a pas de place chez lui pour ARIVOS : les SANTONS peuvent retourner d'où ils viennent, revenir à leurs premières amours : l'errance et le pillage. Les détectoristes reprendre leur sinistre butin.

Médailles fut longtemps le nom donné aux monnaies des peuples de l'antiquité. Celles que l'on collectionnait, que l'on exposait dans son médaillier. Elles faisaient le bonheur des curieux, quand la collection était complète. Et leur malheur quand il manque une pièce. Voyons Diognète. Il « sait d’une médaille le fruste, le flou, et la fleur de coin ; il a une tablette dont toutes les places sont garnies à l’exception d’une seule : ce vide lui blesse la vue, et c’est précisément et à la lettre pour le remplir qu’il emploie son bien et sa vie. » La Bruyère, Les Caractères, chapitre XIII, De la mode.

On trouve toutes sortes de portraits dans sa galerie, toutes sortes de curiosités dans son cabinet. Toutes sortes de collectionneurs dans cette collection qu'il expose sous ce titre: Les Caractères. Et qu'il ne cessera d'enrichir.

Le fleuriste n'est peut-être pas la plus belle pièce qu'il possède et donne à voir, mais elle figure en tête d'une longue collection de curieux.

Ce fleuriste n'a pas de nom, c'est le fleuriste, un type. Qui court d'une fleur à l'autre, selon la mode. D'où les verbes d'action, la parataxe : le fleuriste s'essouffle à suivre la mode. Qui change, c'est son principe. Quand elle est aux tulipes, quand la tulipomanie s'empare de Paris, vous voyez le fleuriste courir au jardin, y revenir sans cesse, et vous le découvrez soudain « planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la Solitaire : il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l’a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui de joie ». Vous le croyez arrivé, mais il lui faut repartir, quitter celle-ci pour une autre, passer de l'une à l'autre, se perdre à suivre la mode. Car La Bruyère vous l'a dit, et il vous le redit : « La mode est la mode. »

Les modes passent, et le curieux reste. Il reste celui à qui il manquera toujours une tulipe dans son jardin, un oeillet si la mode est aux oeillets. Une médaille dans sa tablette ou dans son médaillier, et il ne verra plus que ça. Ce vide qui blesse la vue.

En descendant de la forêt (de Montmorency) vers Saint-Leu, en suivant la "sente".

En descendant de la forêt (de Montmorency) vers Saint-Leu, en suivant la "sente".

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