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3 janvier 2022 1 03 /01 /janvier /2022 09:20
En l'Isle d'Odes

L'Isle d'Odes apparaît au chapitre XXV du Cinquiesme et dernier Livre. Des faicts et dits héroïques du bon Pantagruel. Le cycle est terminé. Et c'est là que tout commence.

Hier soir nous descendîmes, Rabelais et moi, en l'Isle d'Odes. Je me disais naïvement que ce serait une belle escale, avant de plonger dans le sommeil. De reprendre la navigation. Car c'est l'île des chemins. Des chemins qui cheminent. Une promesse de voyage pour celui qui aborde la nuit avec appréhension. Mais aussi, parfois, espoir. L'espoir de se retrouver, non pas échoué sur la grève, mais abordant une île où il y a tant à découvrir : tant de chemins.

L'abordant par son nom.

Rabelais -s'il a bien rédigé et composé ces brouillons- nous envoie-t-il une carte postale (avant la lettre)? Un souvenir de Rhodes et du Dodécanèse (où il n'est pas allé)?

A-t-il voyagé dans le grec ancien ?

Oui, comme tout « sçavant », il s'est baladé dans le dictionnaire. Rencontrant par hasard ὁδός (hodós), il estima que ce mot qui désigne la voie, la route, lui indiquait le chemin. Que cela ferait un beau nom pour son île. L'île des chemins. L'Isle d'Odes était née. Et ce nom, autre miracle, sonne vrai. Aussi vrai que Rhodes est l'île des roses (des biches et des papillons).

De cette île, normalement, nous sortons. À la fin du chapitre. Nous en sommes chassés. Comme chaque matin quand nous nous réveillons. L'escale est finie. Place à l'exode.

L'Isle d'Odes se présente à nous deux jours après l'escale de l'île de la Quinte Essence. Elle s'offre à notre vue. C'est un lieu que l'on voit arriver de loin, mais rien ne justifie sa présence. Elle n'est pas sur la carte, et il n'y a personne pour nous accueillir quand nous débarquons. Les seuls habitants de cette île sont les chemins. Ces chemins animaux. De ces chemins qui bougent, il n'y a rien à attendre. Pas la moindre explication. Voici donc une chose mémorable. Une merveille dont nous ne garderons aucune trace. Que ces chemins dont elle est peuplée et qui continueront en nous.

Pourtant, quand elle surgit, on se demande. Dans quelle navigation on l'a rencontrée. Ce qui l'a réveillée. S'est-elle créée pendant notre sommeil ? Ce ne serait pas la première île née de l'accumulation d'un énorme volume de cendres et de roches, lors de l'éruption d'un volcan sous-marin.

Cette île, il faut la nommer pour qu'elle existe, l'enraciner dans un nom pour qu'elle ne disparaisse pas sous nos yeux. Il faut qu'elle continue à vivre loin de nos regards. Et que nous n'emportions pas ce regret avec nous.

Mais nous sommes là dans un bateau. Nous voyons « les arbres prochains se mouvoir », quand c'est « nous par le decours du batteau ».

Cette confusion nous ouvre les yeux. Nous ne sortirons pas autrement de l'illusion que le sentiment de départ va durer.

 

En l'Isle d'Odes
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14 décembre 2021 2 14 /12 /décembre /2021 07:42
Le Styx

Le Styx existe, je l'ai rencontré. Sur la route de Solo. Où l'on nous attend, avec du chevreau, des cèpes, des fruits confits qui sont des girolles. Mais nous ne le savions pas encore. Nous ne l'imaginions même pas. Quand le Styx nous a arrêtés.

Nous avons quitté un bref moment notre route pour voir ce qui se cachait sous ce nom. Si les « eaux du Styx » dont c'est paraît-il la « cataracte » ressemblent au fleuve des enfers. À l'idée que nous nous en faisons. Au souvenir que nous gardons de nos cours de grec. Et de nos lectures.

Je l'imaginais évidemment plus grand, plus sombre, plus effrayant. C'est quand même l'affluent de la haine. On tremble à son seul nom. Et quand on quitte la route de Solo pour voir de ses yeux cette cascade où Achille devint invulnérable, et qu'on découvre ce mince ruisseau qui dévale à peine, cette eau si claire, on est presque déçu. On en veut au grec d'appeler ça « cataracte ». On accuserait presque le panneau, et ceux qui l'ont mis sur notre route. Qui l'ont installé dans le seul but de nous égarer. Ou de nous retarder. Car nous sommes attendus, à Solo. La modeste auberge où nous déjeunons a mis les petits plats dans les grands.

Je ne l'ai pas seulement vu, ce Styx, je l'ai aussi traversé. Ce qui ne représente pas un grand exploit. Dans le Péloponnèse, au plus chaud de l'été, c'est un ruisseau, un filet d'eau où l'on peut juste se tremper les pieds. Se rafraîchir. Et chercher, dans les pierres bleues, d'autres traces que ce petit crabe. Tout sec et tout blanc. Remonté des enfers, et ce n'est quand même pas une pêche miraculeuse. Pour la cueillette aussi, on repassera. Ou pas.

C'est un cyclamen, un seul. Le même que celui que j'ai découvert il y a longtemps en Tunisie, dans une petite forêt et au bord d'un ruisseau. C'est le même décor. Et la même scène qui se rejoue. La même sortie de route. Toute en douceur. Nous roulions vers Hammam Bourguiba, en direction de la frontière algérienne. Et là, dans le Péloponnèse, nous allons aussi vers l'inconnu.

Cette fleur, pour la découvrir, il faut oublier la route. Et d'arriver à l'heure. Il faut inventer le tourisme. Voyager sans but.

La fleur apparue, bien sûr je ne la cueille pas. Je ne veux pas tuer la merveille.

Deux fois je ne l'ai pas tuée. Là est mon exploit. Mon grand exploit. Celle que j'ai rencontrée sur la route de Solo, je l'ai prise en photo. Afin de garder une trace. Ou plutôt une preuve. Si jamais on m'en demandait.

Je n'ai pas besoin de photo pour que la trace demeure en moi. Dans mon jardin. Où elle refleurit tous les ans. Au même endroit et à la même date. Vers le 15 août. Je sais grâce à elle que l'été touche à sa fin. Qu'il va falloir rentrer. Et je me dépêche d'écrire.

Voilà donc une plante qui m'inspire. Qui réveille avec ses fleurs, puis ses feuilles, mon inspiration.

On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve.

Mais « j'ai deux fois vainqueur traversé» le Styx.

Les deux fois en ne cueillant pas cette fleur qui s'offrait si gentiment à moi.

Le Styx
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12 décembre 2021 7 12 /12 /décembre /2021 08:09
CHEMIN DE CHEZ NAISSANT

L'insomnie, on l'a souvent noté, est le cadre privilégié à partir duquel Proust nous donne à lire son monde.

Dans le tome 1, Du côté de chez Swann, dans la troisième partie, « Noms de pays : le nom », nous sommes d'abord dans les chambres de Combray, « saupoudrées d'une atmosphère grenue, pollinisée, comestible et dévote », et nous nous transportons très vite à Balbec, dans le Grand Hôtel de la Plage. Nous suivons le narrateur dans ses rêveries, nous partageons ses envies de voyage. Bientôt nous serons celui à qui la maladie interdit toute sortie, y compris au théâtre. Nous ne verrons plus Balbec, ou Venise, qu'à travers les horaires des trains.

À cette partie fait écho la partie « Noms de pays : le pays » de À l'ombre des jeunes filles en fleurs. Elle commence ainsi : « J'étais arrivé à une presque complète indifférence à l'égard de Gilberte [ …] », ce qui donne le ton. Le sujet : la déception naissant de la confrontation du rêve à la réalité brute. Et le rôle dévolu à l'art. Lui seul peut réenchanter les paysages (voyez ceux de Balbec peints par Elstir), et répondre aux espérances du narrateur.

Cette partie qui commence par « J'étais arrivé » me fait penser, sans doute parce que je sors d'une nuit agitée, quasi blanche, à ce CHEMIN DE CHEZ NAISSANT à l'entrée duquel nous nous étions garés, un peu en catastrophe, en revenant de Blaye. L'espace d'un pique-nique. C'est-à-dire très peu de temps. Nous ne voulions pas gêner le passage des tracteurs, des engins forestiers, et surtout nous étions pressés de rentrer.

C'était sur la route du retour, après trois jours de marches, un chemin que nous n'avons pris qu'en photo. Mais il a fait son chemin, du moins en moi, du moins dans mes nuits, jusqu'à celle-ci qu'il a tant labourée, retournée, comme une harde de sangliers.

Moi aussi, quand je les prends, ces chemins qui cheminent (ce qui est vrai pour le CHEMIN DE CHEZ NAISSANT l'est aussi pour les autres), je les prends en marche. Je les découvre le plus souvent quand ils sont presque arrivés. Quand nous touchons au but.

Je sais, pour avoir voyagé toute la nuit avec eux, qu'ils ont rencontré beaucoup d'obstacles, traversé des rivières et même des fleuves infernaux. LES ENFRENEAUX dont ils sont sortis vainqueurs. Mais en sont-ils vraiment revenus ? Et dans quel état ?

Je sais ce qu'ils ont dû inventer, la fausse monnaie qu'ils ont tendue au faux nocher qui se dressait sur la route, qui leur barrait le passage, comment ils l'ont payé, avec quels mots.

Sur l'autre rive ce n'était pas mieux, les deux filles qu'ils avaient saluées le jour, qui leur avaient rendu si poliment leur sourire, maintenant lâchaient sur eux leurs chiens, d'affreux molosses qui se ruaient toutes dents dehors et écumant de rage.

Ce que je ne sais pas, en revanche, quand ensemble nous arrivons, c'est ce qui nous attend. Derrière la porte que nous poussons prudemment. Qui nous attend, et quel accueil ils nous réservent, les morts dont nous avons perdu le nom.

 

 

CHEMIN DE CHEZ NAISSANT
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11 décembre 2021 6 11 /12 /décembre /2021 05:50
Autor de la foto: Susana Giron

Autor de la foto: Susana Giron

On pense tout de suite, en découvrant cette Catedral de Nuestra Señora del Pilar, à la Sagrada Família. C'est ici, à Mejorada del Campo (comunidad de Madrid) comme à Barcelone, un projet fou, un édifice aux proportions gigantesques, l'œuvre d'un seul et de toute une vie, et un monument inachevé.

Mais la comparaison s'arrête là. La Sagrada Família est un travail d'architecte, d'un architecte nommé Gaudi, célèbre grâce à son Temple, à ce Temple devenu Basilique et que l'on vient visiter du monde entier. Tandis que personne ou presque n'a entendu parler de Justo Gallego Martínez, le moine qui a bâti de ses mains et avec des matériaux de récupération cette Cathédrale qui n'est même pas consacrée et dont on ne sait pas quoi faire.

Deux commentaires laissés par des amis (que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître, du moins le premier) résument assez bien la situation.

L'un dit :

« Construit sans architecte, avec on ne sait pas trop quels matériaux, probablement sans permis de construire. Sérieusement, vous voulez y accueillir du public ? Aucune compagnie d'assurance ne voudra s'en mêler.
Je suis navré pour les sentimentalistes, mais cet ouvrage devra très probablement être détruit, ou muré et interdit au public, avec périmètre de sécurité inconstructible. »

L'autre lui répond :

« Le facteur Cheval a un nouveau copain. Des gens immenses qui sont la fierté de l'Humanité. Des gens simples avec un rêve grandiose et une volonté de fer. Et de pierre. »

On pense surtout, en lisant le second, à une autre cathédrale, plus modeste certes mais non moins atypique, à celle qu'on appelle aujourd'hui la Maison Picassiette et qu'on peut voir (en cherchant bien) à Chartres.

L'une et l'autre sont nées d'un miracle.

Raymond Isidore a recouvré la vue en priant à Chartres, et sa cathédrale est dédiée à la Vierge. Et de ce miracle découle sa conversion, ce Chemin de Damas qui le conduit à bâtir de ses mains, avec tout ce qu'il trouve en route, sur la route du cimetière où il va travailler ou dont il revient, avec des morceaux de verre, de faïence, des silex dans son sac, une cathédrale dédiée à la Vierge. Et qui ne sera jamais que sa maison. Sa petite maison où il a de moins en moins de place pour loger sa petite famille. De moins en moins de temps à consacrer à ceux qu'elle est censée abriter. Cette maison de la rue du Repos ne les protège plus depuis longtemps. Des curieux et des malveillants. Pas plus qu'elle n'est un rempart, malgré les débris qu'il empile, les silex qu'il y incorpore, contre la folie.

Justo Gallego Martínez entre comme novice à l'abbaye de Huerta en 1953, mais il doit la quitter en 1961, à cause de la tuberculose qu'il a contractée. Soigné dans un couvent, et guéri, il décide de construire une église pour remercier Dieu, et il réalise son projet. Qu'il laissera inachevé, comme c'est toujours le cas quand on ne sait pas finir, quand on ne peut pas, et que la mort doit décider pour nous. Ce qu'elle fait ici, à Mejorada del Campo, en 2021; le 28 novembre 2021.

Ici, on n'a pas besoin d'aller la chercher au cimetière, d'en rapporter de pleins sacs, d'en trier et arranger patiemment les morceaux, elle vient à nous, sans prévenir, elle frappe sans pitié et interrompt définitivement ce travail de toute une vie. Qui était toute sa vie.

Mais je pense aussi, en songeant à la tuberculose, que cette tuberculose dont il a guéri dans son couvent est d'abord ce qui l'a chassé de l'église, l'a détourné de ce chemin spirituel sur lequel il s'était engagé pendant son noviciat. C'est la tuberculose qui lui a barré la route, qui l'a en quelque sorte chassé de l'Église. Ou l'Église elle-même, dans sa grande hypocrisie. Son hipocresia. Ou, comme elle est écrite sur un autre mur, à Cordoue, devant les ruines d'un temple, quelques colonnes émergeant d'un chantier jamais fini, ou jamais commencé, son HIPOGRESIA.

En découvrant la Cathédrale de Justo, la Ruine comme on l'appelle encore, ou déjà, en lisant l'article consacré à ce monument singulier, puis les commentaires qu'il suscite, je songe à celui qui a laissé ça, ce cri silencieux, sur un mur de Cordoue. Le mur d'un immeuble en réfection, ou qui menaçait de s'effondrer, d'où les échafaudages ou les filets, je ne vois plus très bien. Peu d'années ont passé, pourtant l'image est floue, et j'hésite à me prononcer. Si je parle d'échafaudage, on y verra du « sentimentalisme ». Si j'opte pour le filet de protection, on me dira influencé par le message. Par ce qui est manifeste, et par ce qui est latent, sa rancoeur envers l'Église, et qui contamine ce qu'il écrit en lettres capitales : ce qu'il crie.

 

LA IGLESIA

CATACUMENAL

HIPOGRESIA

 

D'autres diront si cette colère est légitime. Si l'Église ne l'a pas assez soutenu dans l'épreuve, si elle a interrompu son chemin spirituel. Si elle s'est montrée hypocrite en utilisant la tuberculose, en prenant ce prétexte pour le chasser de son sein. Pour éliminer ce fou.

Je m'en tiendrai aux mots que j'ai lus (et photographiés) à Cordoue. À ce qu'ils crient en silence. À ce que j'entends sous ce cri. À ce que je vois. À ce chemin qu'il ouvre. Un chemin catéchuménal bordé, comme à Rome la Via Appia Antica, de monuments funéraires et de catacombes. Une Église qui court à la catastrophe. Une catastrophe qu'elle n'évitera qu'en redoublant d'hypocrisie.

 

Si vous lisez l'espagnol, il y a cet article.

Voir aussi la vidéo.

Catherine Menant, que je remercie au passage, me signale le témoignage de Blaise Perrin, un jeune artiste français qui a photographié le travail de Justo.

Cette série présentée notamment en 2015 à la deuxième biennale de l’art brut par la Collection de l’Art Brut de Lausanne, dans le cadre de l’exposition « Architectures », a été publiée en 2019 par la maison d’édition espagnole La Fábrica, accompagnée d’une préface du romancier et poète Lyonel Trouillot et de textes de Graciela Garcia Muñoz, chercheur et commissaire spécialiste en art brut, Justo Gallego Martínez et Blaise Perrin. À lire en suivant ce lien.

Un article du journal Libération sur l’histoire de Justo Gallego Martínez, avec un texte de Vincent Noce et des images de Blaise Perrin, est accessible ici.

 

Autor de la foto: Denis Doyle

Autor de la foto: Denis Doyle

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9 décembre 2021 4 09 /12 /décembre /2021 07:52

Aujourd'hui est un autre chemin. Du côté de Marans.

Marans porte de plus en plus mal son nom. Traîne sa carcasse. Sur ce chemin de halage qui remonte (c'est le sentiment qu'il donne) vers la mer. Ou qui descend, si l'on suit le courant.

Mais descendre, ici, ou remonter, ça n'a aucun sens. C'est le plat qui règne. En maître.

Ce chemin suit le canal. Ou la Sèvre Niortaise. Disons qu'il chemine entre les deux.

Il ne chemine pas, il file. Droit. Il suit la ligne d'arbres. Il avance lentement, mais il obtempère. Il ne discute pas.

S'il voit un nom sur un pont, ou devant une maison -la dernière avant la mer!-, il ne s'arrête pas. Il ne s'accorde aucune pause. Il ne s'autorise aucun plaisir, si petit soit-il. Pas même celui de cueillir un nom.

Le pont sur l'écluse des Enfreneaux (des infernaux?), ce n'est pas pour lui. Les travaux de restauration ont démarré, ils l'empêcheraient de passer. Le Petit Enfreneau devant sa petite maison, il faudrait faire un détour, et on ne lui en laisse pas le loisir.

Pourtant, il n'y en aura pas d'autres. Pas d'autre maison, ni d'autre nom. Il aura tout le temps de s'interroger après, ce chemin. De se demander de quels enfers c'était la trace. De quels fleuves infernaux. Si ce ne serait pas la Sèvre. Ou le canal. Ou les deux, puisque de choisir il est incapable. Et il partira d'un grand éclat de rire. Car on est à Marans, tout de même. La capitale de la poule et des œufs extra-roux.

Il écouterait ce nom, même d'une oreille distraite, il entendrait l'enfer. Fût-il pressé de voir l'écluse, le pont, d'arriver à la mer, il le verrait. Non comme un lieu clos, qui enferme, mais comme un espace ouvert. Infiniment ouvert. Ouvert sur l'infini.

Devant ce vide, quel sentiment éprouverait-il ? Le sentiment océanique ? La fusion du moi et du monde, la fusion avec le grand Tout, quelle forme ça prendrait chez lui ? Qu'est-ce que ça provoquerait ? Une extase mystique ? Ou au contraire de l'angoisse ? Comme celle que j'ai ressentie quand je me suis installé ici: dans cette absence de paysage ? Comme cette espèce d'agoraphobie que j'éprouvais chaque fois que je traversais ces déserts ? Où on ne trouve rien à se mettre sous l'oeil. Rien qui borne la vue. Qu'un horizon, mais noyé. Le verrait-il, lui aussi, comme un cauchemar sans limites ? Chercherait-il le sol sous ses pieds ? Un nom sur quoi s'appuyer, à quoi se retenir ?

La réponse est dans la troisième question de Tre interrogativi senza data, de Giorgio Caproni. Un poète que je lisais beaucoup, à cette époque, que j'ai même essayé de traduire :

 

Sfondata ogni porta,

abbattute le mura,

è il cosiddetto Infinito

la nostra vera clausura?

 

«Effondrées toutes les portes,

 abattues les murailles,

l'Infini comme on appelle

ce qui nous enferme vraiment? »

 

L'angoisse n'a pas disparu, mais elle a desserré son étreinte. Si elle revient, j'évite le rétroviseur, ou de regarder par la vitre. Je sais que les morts sortent la nuit, qu'ils attendent au bord de la route, en lisière de forêt. S'ils font du stop, je ne les prends pas dans ma voiture, surtout pas.

Le jour, quand je marche, je ne cours pas ce risque. Je ne fais pas de mauvaises rencontres.

Les deux filles que je croise promènent des chiens, on les paye pour ça. Cinq ou six chiens chacune, la plupart en laisse. Nous nous sommes salués, avec un sourire.

Aujourd'hui est un nouveau chemin.

 

 

LES ENFRENEAUX
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7 décembre 2021 2 07 /12 /décembre /2021 07:00

Les noms de pays, si chers à Proust, les noms de pays dont il entend et restitue comme personne la couleur m'ont toujours fait voyager.

Cela remonte sans doute aux temps lointains, géologiques où je collectionnais les timbres. Où je faisais bouillir de l'eau dans une casserole, où je tenais l'enveloppe au-dessus de la vapeur, où j'attendais patiemment qu'ils se décollent (le décolle-timbre n'existait pas, où il n'était pas arrivé chez ma grand-mère). Une fois les timbres décollés, je les laissais sécher à plat sur une serviette bien propre (le papier essuie-tout n'était pas inventé non plus), face imprimée en bas. Après quoi je les déplaçais avec soin, et avec ma pince philatélique de précision. Une pince à bout plat et large facile d’utilisation, et surtout pas une pince à épiler ! Je les rangeais enfin dans mon gros album Thiaude, à la place qui leur était dévolue -et qu'ils n'ont pas ou presque pas quittée. Non sans avoir noté, au passage, les détails, les défauts, les surcharges fausses (qui sont si bien imitées), et, même si j'eusse pu, à l'époque, les discerner à l'oeil nu, les types. Et surtout vérifié qu'il n'y avait pas de tache, de trace, de pliure, rien d'irréversible. Et que le timbre avait toutes ses dents !

J'avais ces deux outils indispensables, mais pas le catalogue Yvert & Tellier qui permettait d’avoir la carte d’identité du timbre : la date d’émission, le sujet, les couleurs, le tirage, la dentelure, la cote par marque postale, le numéro de référence... Cela ne m'intéressait pas. Je n'étais encore qu'un philatéliste en herbe. Et je le serai jusqu'au bout. Jusqu'à ce que cette passion m'abandonne. J'avais douze ou treize ans. L'âge où l'on perd en général, du moins à cette époque, la foi. Ce qui m'est arrivé aussi.

Ce que j'aimais dans les timbres, et qui me faisait voyager, c'était les noms de pays. Pas voyager dans des pays lointains, dans ce qui était encore l'empire colonial français, présent (plus pour très longtemps) sur tous les continents (habitant loin de la mer, mes rêves n'avaient rien d'exotique), mais dans le temps, remonter avec eux dans le temps.

Proust ne fait pas autre chose avec le nom de Guermantes. Il invente un nom, mais aussi une généalogie. Toute une galerie de portraits. De portraits d'ancêtres. Avec au bout, tout au bout, ceux de Gilbert le Mauvais et de Geneviève de Brabant. Il remonte, avec ce nom de pays, à l'époque féodale et même aux temps mérovingiens !

C'est à ce voyage que m'invitaient les timbres. Et le voyage continue dans les noms de pays. De ceux que je traverse, comme récemment Les Ores en Vendée. En roulant vers Nantes. Je ne me suis pas arrêté, mais j'y reviendrai. Dans un prochain texte. Pour découvrir, à Sainte-Gemme-la-Plaine, Le Bois des Ores. Cette « mosaïque de bois mouillés à frênes têtards dominants et de petites parcelles de prairies naturelles humides entourées de haies et parcourues par un réseau de fossés. » Et pour écouter ce que ce trésor découvert par hasard, inventé diraient les archéologues, a à nous dire.

Mon père ne conduisait pas non plus (lui dès le début, à peine obtenu son permis, moi j'aurai mis le temps, fait des milliers de kilomètres avant de connaître la première attaque de panique), mais il était tout à son voyage. Sa casquette de navigateur sur la tête, sa carte Michelin déployée, il nous ouvrait la route, nous l'éclairait (nous l'égayait aussi) avec ses commentaires. La plupart des villes que nous traversions étaient chargées d'histoire, d'une histoire que ma mère qui lui demandait quelle direction prendre, le pressait de questions, ne lui laissait pas le temps de chercher dans son guide.

En revanche, il s'arrêtait à chaque village, à ces beaux noms français qu'il aurait tant aimé porter.

Le nom que lui et moi nous portons est un nom de lieu. Fréquent en Italie. Ce qui nous a conduits au moins une fois à nous arrêter à Montebello, sur la route de Venise. Et à l'hôtel Montebello !

Ce qui n'était pas pour lui « habiter son nom », loin de là. Son nom, il ne l'assumait pas. Pas plus que ses origines. Il en aurait volontiers changé. Il l'aurait bien échangé contre un de ces beaux noms français qu'on rencontre quand on roule. Quand on traverse le pays.

Mais on ne s'y arrêtait pas, on n'avait pas le temps.

Alors on restait avec ce nom qu'on n'aimait pas. Qui était celui d'un trovatello, d'un enfant trouvé qui ne trouverait jamais sa place. Et encore moins la « belle montagne » à gravir, les sommets à atteindre. Lui, s'il escalade, c'est le balcon de sa maison, un soir de biture. Et pour en dégringoler aussitôt.

Les enfants (nombreux) qu'il laisse ne la trouveront pas non plus, leur place. Ni dans la famille, ni dans la société. Fils sans père, maçons sans maison, ils ne sauront habiter qu'en marchant.

 

Noms de pays
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5 décembre 2021 7 05 /12 /décembre /2021 09:27
COMBRAY

Combray est un village imaginaire. Une création de Proust.

Mais ce n'est pas une création ex nihilo. Il existe un Combray dans le Calvados, et c'est en Normandie que fait aussi voyager ce nom, avec sa syllabe finale qui sonne comme braie (le pantalon gaulois), brai ou brais (orge broyé pour la fabrication de la bière), ou encore Bray (le pays et son fameux Neufchâtel). Qui sonne vrai. Combray est un nom inventé qui sonne vrai. Comme Guermantes.

Pourtant, cela commençait mal. Avec ce Combre dont on se demandait s'il était « confluent » ou « barrage », ou « barrage sur le confluent ». On n'avait pas souvenir, bien qu'on ait lu Proust, et pas en lecture rapide, d'un quelconque barrage sur la Vivonne. Ni d'avoir appris, en visitant récemment Illiers-Combray, que le Loir s'y jetait dans la Sarthe. Certes, il reçoit les eaux de la Thironne, mais l'événement n'est pas important au point de rester gravé dans un nom .

Tout semble plus facile avec Guermantes. Plus limpide et surtout plus brillant. On est tout de suite plongé dans une lumière orangée. Celle qui émane de la syllabe « antes ». De haute noblesse mais à son couchant.

Si le nom de Guermantes est éclatant, il y a dans Combray quelque chose de manant. Un certain charme sombre, et une couleur de grès. De cette pierre grossière et rugueuse qu'est le grès. Le grès sombre et fruste de Combray. Ce nom donne le ton. Le ton rougeâtre des pierres. De ces pierres noirâtres ou noircies qu'on voit partout à Combray. Sur la sombre façade de l'église, dans son vieux porche, son clocher, dans les moellons de son vaisseau, et dans la moindre maison.

À Combray, on est plus bas que chez les Guermantes, et en même temps plus haut. Plus haut que cette vieille aristocratie qui remonte à l'époque féodale et même aux Mérovingiens. On est carrément, avec ces moellons grossiers dont ils faisaient leurs murailles, chez les Gaulois. Dans leurs « confluents » et sur leurs « barrages ». Avec ce latin tardif combrus « abatis d'arbres », peut-être d'origine celtique. Devenu combre en vieux-français : « barrage installé sur une rivière ». Combre qui donnera décombres et encombrer.

Mais je ne veux pas ralentir le cours de la Vivonne qui n'est déjà pas bien vive à Illiers, malgré le nom que Proust lui a donné.

Je pourrais toujours accuser les plantes d'eau qui l'obstruent, comme ce pauvre nénuphar. Il exécute, chaque fois que je me promène du côté de Guermantes, la même manœuvre, et fait penser à « ces malheureux dont le tourment singulier, qui se répète indéfiniment durant l’éternité, excitait la curiosité de Dante ». Plus loin le courant se ralentit encore, à cause des travaux d'horticulture aquatique qui ont fait fleurir, «  dans les petits étangs que forme la Vivonne, de véritables jardins de nymphéas. »

« Au sortir de ce parc, la Vivonne redevient courante », et je ne l'encombrerai pas à mon tour, avec mes rêveries étymologiques.

 

 

 

COMBRAY
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3 décembre 2021 5 03 /12 /décembre /2021 14:03

C'est un phénomène inquiétant que le mème. Le mème Internet.

Inquiétant par le nombre, parce qu'il se multiplie (c'est son principe, sa vocation de se reproduire à l'identique). Je parle de ces idées ou concepts qui envahissent le Web, l'encombrent, représentent un risque (de collision), un danger pour la circulation des vraies nouvelles.

Inquiétant aussi par ce qu'il véhicule, et qui prolifère en ce moment.

Car il se répand (c'est dans sa nature de faire des vues, d'augmenter le nombre de vos abonnés sur Instagram ou Tik Tok), comme les vidéos virales, comme ces images, de celebs (pas de pinsons, hélas, mais de « célébrités ») ou autres, qui voyagent seules ou accompagnées d'un message, ce qu'on appelle chez les mémeurs et même les mémologues (ils auront bientôt leur chaire de mémétique à l'université) witty message ou catchphrase.

Ces macros d'images constituent, comme la multiplication des débris qui jonchent l'orbite terrestre, une pollution de l'espace. Comme ces épaves dont la désagrégation pourrait générer encore plus de détritus, et provoquer de graves réactions en chaîne. Et même l'élection, à la tête d'un pays, de l'Agent orange ou de Q -pas celui qui porte une Swatch très spéciale dans le dernier James Bond, mais le non moins mystérieux Q, à l'origine du mouvement complotiste QAnon. Qu'on dit sorti de nulle part, ou du Dark Web, et qui vient de là, de ces idées ou concepts simples, repris et déclinés en masse, qui voyagent à travers le Web et envahissent l'espace. Polluent l'espace. Et empêchent de penser.

Ces mèmes, quelque forme qu'ils prennent, sont propagés par le biais des réseaux sociaux, par exemple via les hashtags sur Twitter, ou les neurchis sur Facebook. Des chineurs (en verlan) qui cherchent toujours un peu la perle rare, dans cette vaste brocante qu'est le Web, mais fatigués de nos façons un peu old de chiner, ils chassent maintenant en meutes, comme de vulgaires trolls (qu'ils sont également, dans d'autres vies et sous d'autres pseudos) : c'est le cas de Neurchi de Zemmour, sur quoi tout de suite vous tombez, quand vous-même vous chinez sur la Toile. Vous découvrez très vite qu'un neurchi l'est toujours de quelque chose ou de quelqu'un, que les neurchis partagent la culture du mème, et la même culture, qu'ils forment un groupe, une communauté, et que la neurchisphère se confond de plus en plus avec la complosphère et la fachosphère.

Si les mèmes imitent les gènes (comme eux ils sont réplicateurs -capables de se reproduire à l'identique- et responsables de l'évolution de certains comportements), la mimésis dont ils procèdent ne produit que de pauvres phénomènes : des succédanés d'idées, de concepts qui voyagent à travers le Web, avec ou sans images, qui deviennent en peu de temps populaires. Et cette propension à se propager, surtout chez les jeunes, avec leurs images détournées, décalées, leurs messages simples et leur humour 2.0, souvent potache, parfois limite, leur liberté de ton qui s'affranchit volontiers du politiquement correct, de la bien-pensance, tout cela intéresse les influenceurs d'extrême droite. Qui observent le phénomène avec bienveillance, le regardent comme une formidable opportunité.

Mais ce n'est pas le rôle de KNOW YOUR MEME. De s'alarmer et d'alerter. Apparemment, ce site Internet ne s'inquiète pas, il ne voit là aucun danger pour la démocratie, aucun doigt d'honneur à la pensée, il se contente de documenter « les variétés de mèmes Internet et autres phénomènes en ligne, comme les vidéos virales, images, slogans, célébrités sur Internet, et autres. »

Pourtant, ce site qui référence les mèmes et leur associe des « labels » selon leur popularité et leur contexte général d'utilisation, fonctionne un peu (si j'ai bien compris) comme Wikipédia. Avec des administrateurs pouvant décider quel mème est confirmé ou rejeté. Signalant certaines images, les faisant supprimer.

Ceux qui les partagent, quand elles propagent la haine, risquent-ils, comme sur Facebook, de se faire zucker : bannir. Comme NdZ de Twitter ou d'Instagram,

S'agit-il d'un bannissement temporaire ou définitif ?

La réponse importe peu, en tout cas elle ne me concerne pas.

Neurchi de Zemmour, « groupe de la memosphère française dédié au personnage d'Eric Zemmour », ne m'était visiblement pas destiné. Je n'étais pas une cible.

Pas encore.

 

Dans la maison/atelier de Florence Marie, à Honfleur.

Dans la maison/atelier de Florence Marie, à Honfleur.

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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 08:48

Je suis à Grand, un village aujourd'hui dans le département des Vosges (à la limite de la Haute-Marne et de la Meuse).

Dans la foule des pèlerins qui marchent vers le sanctuaire, « le plus beau du monde », ou qui sont arrivés, à la source c'est-à-dire à la résurgence, ils ont fait le tour de la mare, tourné autour de leurs dieux, plongé dans le sommeil dont ils attendent un ordre, mais la réponse tarde à venir, Apollon se tait, ou on n'entend rien à son latin, ou on ne le comprend que trop, ce cadeau enfoui depuis des siècles et que j'ai tant de mal à déballer, dans le noir où je suis plongé, c'est un cadeau empoisonné, hautement toxique, laissé aux générations futures et que j'ouvre par erreur.

Le papier résiste mais il se laisse lire, je vois le mot SONNOCINGOS écrit avec soin, beaucoup de soin, en lettres capitales, je le vois aussi comme une résurgence, du Calendrier de Coligny que j'ai consulté la veille -nous approchons de Noël, nous cherchons des idées de cadeaux-, et il ne faut pas être un druide, un prêtre dans le temple d'Apollon Grannos chez les Leuques pour l'interpréter.

Ce message posté à Bure, une petite commune de la Meuse située un peu plus haut, au coeur d'un projet consistant à enfouir, à 500 mètres sous terre, des déchets radioactifs particulièrement dangereux, ce message qui ne m'était pas destiné, je le lis quand même, avec une extrême précaution mais sans aucun problème, c'est la « marche du soleil » (l'année?). Là-dessus je me réveille.

Le soleil, quand j'ouvre les yeux, a depuis longtemps entamé sa course.

 

 

La marche du soleil
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28 novembre 2021 7 28 /11 /novembre /2021 08:02

Le texte que j'écrivais, qui s'écrivait pendant que je dormais, tournait autour d'une idée confuse et néanmoins lancinante: mes rêves ne sont pas modernes ! C'est là-dessus que je me suis réveillé. Sur ce constat. Et c'est sûrement ce qui m'a réveillé. Ce regret. Ce désir aussi, sans doute lié à l'âge, de changer le décor.

De réduire nos déchets ? Notre empreinte carbone ? Oui.

D'alléger également la charge de travail. Pour ceux qui devront vider la maison. Les vieilles choses, ça n'intéresse plus. On trouve même ça sinistre. Les meubles, les livres, quand il y en a trop. On préfère les murs nus, les monochromes. Carré blanc sur fond blanc. Ou gris, très tendance.

Dans ce rêve dont je voyais la fin, dont je lisais la fin en même temps que je l'écrivais, je rêvais d'abstraction géométrique, de quitter les maisons encombrées et inhabitables de l'art brut, où je me suis un peu perdu ces derniers temps, pour un art que j'appellerai construit, comme on dit maintenant, comme il faut dire si l'on veut entrer dans l'Histoire de la Peinture, et y rester.

Formulée, et aussi clairement, l'idée aurait dû céder la place à d'autres, me laisser dormir encore un peu, or elle revenait. Et le texte continuait de s'écrire. On me réclamait des précisions, me demandait des comptes. Qu'est-ce que j'avais contre IKEA ? Contre leboncoin. Je n'avais pas envie de courir les vide-greniers, d'accord. Mais pourquoi en dégoûter les autres ?

Ce n'était pas l'idée, je ne crois pas, répondrais-je à celles qui attendaient. Si elles voulaient bien m'écouter. Me permettre de développer. Hélas, elles montraient des signes d'impatience. Elles commençaient à se bousculer. 

Je ne pourrais donc pas m'expliquer, montrer que si mes scrupules étaient d'ordre esthétique, ils m'honoraient quand même.

En effet, c'est parce que j'aime mes enfants et que je connais leurs goûts (qui sont de leur âge, de leur époque), que je veux changer la déco de mes rêves. Passer du joyeux bric-à-brac dans lequel ils s'étiolent à une formule plus minimaliste, plus contrainte où ils s'épanouiraient. Où ils évolueraient en toute liberté.

Je ne m'appesantirai pas sur ce paradoxe, les idées qui se pressent à la porte de ma conscience ne m'en laissent pas le loisir.

Je suis levé depuis une heure, et à mon bureau pour tenter d'y voir un peu mieux. Dans cette idée de changer le décor de mes rêves. Est-ce dans le but de changer le rêve lui-même ? D'en changer magiquement le contenu ? D'agir sur les choses, d'infléchir le cours des événements? Il y avait un peu tout ça, dans cette idée. Et de la naïveté.

Celle qui me pousse à lire, chaque soir avant de m'endormir, afin de m'endormir, une revue d'archéologie ou un dictionnaire de la langue gauloise.

Comme s'il suffisait d'installer le divan dans sa galerie d'antiques pour remonter loin dans le passé !

Comme si l'on pouvait agir à la source.

Là, quand j'émerge, le rêve touche à sa fin. C'est un rêve sans images, ou j'ai pris le film en route. Commencé par le making-of. Le moment où l'on découvre l'envers du décor. Où je réalise combien il est obsolète.

Ai-je vu, en ouvrant les yeux, la tapisserie de ma chambre ? Les tableaux, les livres qui l'encombrent ? Les meubles qui m'empêchent de passer ? Ai-je oublié d'éteindre le radiateur ? Machinalement fermé la porte ? Est-ce que j'étouffais ?

Ces questions me taraudent agréablement. M'offrent un bref répit, la cafetière ayant été détartrée la veille. Elle s'est déclenchée toute seule. Comme par enchantement. Je l'avais programmée à 7h, et il n'est que 5h. Me croyant réveillé, elle s'est mise en marche d'elle-même. Elle s'est dit que cela m'aiderait. Que la musique douce et acidulée du café stimulerait ma réflexion. Que je comprendrais enfin comment on peut changer un rêve en changeant le décor. Un rêve qui a presque fini de passer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans la maison/atelier de Florence Marie, à Honfleur.

Dans la maison/atelier de Florence Marie, à Honfleur.

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