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13 décembre 2017 3 13 /12 /décembre /2017 13:13
Le Lac Assal © Lionel Voynier

Le Lac Assal © Lionel Voynier

Parade sauvage empruntait son titre à Rimbaud. Au Rimbaud des Illuminations. Au poète qui écrivait, dans Parade, « J'ai seul la clef de cette parade sauvage. » Dans ce livre, Jean-Jacques Salgon, qui avait eu le privilège de visiter la grotte Chauvet, nous ouvrait les portes de sa maison, comme il l'avait fait dans Place de l'Oie, il nous invitait à lire les traces par lui cueillies de ce lointain passé, les traces présentes.

Ici, il s'agit de remonter, en remettant ses pas « dans les pas pérégrins de Paul Soleillet », ses mots dans les mots de Rimbaud, jusqu' à Obock. Jusqu'à la rencontre.

Car « Rimbaud et Soleillet forcément doivent se rencontrer, se parler ».

Les multiples occasions de croiser Rimbaud font-elles une rencontre? Et comment la raconter si elle a bien eu lieu, et à cet endroit? Faut-il l'inventer, au double sens (dont celui archéologique) du terme, l'imaginer (le mot revient souvent) ou visiter les restes de la factorerie Soleillet? Ou les deux? Et suffit-il de se rendre physiquement à Obock pour la revivre? De l'écrire? Et selon quel point de vue? En adoptant celui du serviteur, pour parler comme Michon? Et Rimbaud, le Rimbaud de ces années-là (les années 1880), a-t-il l'étoffe d'un maître? L'a-t-il déjà ou l'a-t-il encore?

Ces questions n'empêchent pas le voyage, bien au contraire, elles le relancent. C'est ce que montre ici notre truchement, un guide qui sait traduire en mots la pulsion qui nous habite, l'élan qui nous pousse vers Obock et aussi bien à Nîmes, à chercher celui qui occupe le logement de notre voyageur. Il parle de ce désir impérieux d'être ailleurs, de cet appel, de ce qui l'a fait naître ou le motive, « une nécessité intérieure ou vitale, la conscience imagée d'une autre vie possible, d'un autre lieu où exister, ou bien, qui sait, et d'une manière plus souterraine, la reviviscence en soi d'un nomadisme atavique. »

La reviviviscence en soi du nomadisme de Paul Soleillet. De celui qui, dans une lettre d'avril 1884, évoquait sa naissance accidentelle à Nîmes dans ces termes: « Le ciel devait être empli d'astres errants et celui chargé de présider à ma naissance avait certainement pour maison une tente. » (p.19)

Quand il ne remet pas ses pas dans les pas pérégrins de Paul Soleillet, Jean-Jacques (parce que la vie ambulante est celle qu'il lui faut) les remet dans les siens, ceux du « pèlerin rimbaldien » qu'il est, selon Jean Rolin. Du « pèlerin rimbaldien » qu'il fut. En se rendant physiquement à Charleville, et à deux reprises. La seconde, un dimanche de janvier 2017. Une expédition vers le bois de Romery qui avait pour but la grotte. Celle que Rimbaud rêvait d'habiter. En ermite. Pour échapper aux rigueurs d'une mère « aussi inflexible que soixante-treize administrations à casquettes de plomb ». La grotte qu'il avait cherchée en vain quarante-cinq ans auparavant, mais il n'était quand même pas rentré bredouille. Il avait ramassé un os, un gros os de boeuf. L'os de Rimbaud, ou Rimb'bone, comme il s'amuse à l'appeler, il l'accueillit dans sa maison de la place de l'Oie, aux Vans. En Ardèche. Où « je n'envisageais pas de m'installer, écrit-il (p.100), sans m'entourer d'un certain nombre d'objets fétiches qui formaient comme les excroissances tangibles de mon moi. » Vérification faite (en comparant l'ADN de l'os de Rimbaud à celui de ses parents, en apparence si éloignés, de la préhistoire), ce bovin qui lui avait donné son os était assez proche des animaux qui ornaient la grotte Chauvet. « Ainsi, du Rimbaud de Charleville à l'auroch de la grotte Chauvet, grâce à la génomique et au secours de la salle blanche, la boucle était bouclée. »

De cette seconde expédition, qu'est-ce qu'il a rapporté? Rien. Je veux dire aucun objet. Aucun de ces objets qui sont, on l'a vu, façon de prolonger son moi, d'en augmenter la réalité. Comme s'il fallait des preuves que tout cela a bien eu lieu. Que l'on existe. Toujours enrichir sa collection. Afin d'oublier la pièce manquante, ce vide qui nous obsède.

En revanche, il peut écrire ceci, qui vaut toutes les collections, et pour tous les collectionneurs:

« En voyant défiler sur l'écran de mon ordinateur les beaux objets collectés par Soleillet, je réalisais combien le fait de m'être rendu physiquement à Obock, de m'être tenu assis sur les marches d'escalier de la tour Soleillet, d'avoir senti crisser les cailloux d'un chemin sous mes pieds, respiré les odeurs de fumée et de végétaux qui flottaient dans les parages de la factorerie, bu un café au pied de la mosquée de Tadjourah, vu le soleil décliner sur les monts du Mabla, combien tout cela avait été une expérience précieuse qui avait donné corps et réalité aux fantômes qui sans cela seraient restés captifs de mon esprit. Par le moyen du voyage, quelque chose avait réussi à faire corps, à se mettre en mouvement, qui sans lui serait resté figé, à l'état d'obsession ou de lubie. Par l'enquête, le voyage, l'écriture, on pouvait parvenir à donner réalité à des choses prises dans les rets de l'imaginaire. Être autre et être ailleurs se rejoignaient dans un mouvement qui toujours cherchait à s'évader d'un but. À chaque nouvelle entreprise, chaque nouvelle étape, chaque mot, c'était comme si quelqu'un qui n'était pas tout à fait moi s'essayait à une autre vie, une vie qui n'existait pas et qui pourtant parvenait à se frayer un chemin dans la réalité. »

 

 

Jean-Jacques Salgon

Obock

Verdier, janvier 2018

La Tour Soleillet © Lionel Voynier

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Published by Denis Montebello