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14 novembre 2020 6 14 /11 /novembre /2020 09:56

 

Je me souviens d'un écrivain qui, sentant la mort approcher, mettait de l'ordre dans ses souvenirs. Il passait ses dernières journées à trier, à classer pour, disait-il, faciliter la tâche à ses enfants. Et à ses futurs biographes.

Un jour de grand ménage, il exhuma et nous offrit, « avant de le jeter », un caractère. Un caractère de sa façon, c'est-à-dire à la manière de La Bruyère, quelque chose qui réjouît le curieux, qui réveillât le collectionneur qui en chacun de nous sommeille. Son cadeau était sur Facebook, et je l'eusse volontiers trempé dans mon café. Mais c'était, quoique digne des meilleurs xenia, un présent qui viendrait plutôt enrichir, et opportunément, un dîner qui s'annonçait frugal. Auquel il ajouterait, cuisiné comme il faut, selon les meilleures recettes, un peu d'exotisme et autant de chandelles. Encore fallait-il qu'elles arrivassent à temps. À la nage et au cognac. Qu'on eût deux heures à perdre à leur faire prendre leur bain de lait (suivant Curnonsky) ou à les dresser en buisson.

Mais assez de mystère. Levons le voile sur ces écrivains qui parlent du métier d'écrire, qui parlent au lieu d'écrire, qui parlent d'autant plus qu'ils ont peur d'écrire, qu'ils croient, en repoussant le moment d'affronter la page blanche, éviter le fameux vertige.

C'est l'un d'eux, le caractère que j'ai reçu ce matin-là et qui égaya mon petit déjeuner. Il est de ces écrivains qui n'écrivent pas, et qui pourtant font la leçon. Vous montrent le chemin, celui du jardin. Un jardin à la française, bien entendu, où il faut écrire droit, aller sans détours inutiles et en toute clarté, guidé par la seule raison, vers un but qui est l'universalité. L'universalité de notre belle langue qu'il convient de défendre, car elle est attaquée de toutes parts. Voilà ce qu'il disait ce jour-là aux écrivains. Ce paradoxe vivant (plus pour très longtemps). Il morigénait ses confrères. Les vilipendait. Mais pour leur bien. « Afin qu'ils écrivissent...».

« Afin qu'ils écrivissent ... », répéta-t-il, manifestement satisfait de sa formule. Content de montrer, avec cet imparfait du subjonctif, sa parfaite maîtrise du français. Et pour réveiller la salle. Qui ne tarda pas à réagir. En effet, une petite voix ajouta, comme si le maître n'avait pas fini sa phrase, comme s'il ne retrouvait plus ses mots, « de Californie ». Et, pour ceux qui n'étaient pas certains d'avoir bien entendu, « de Californie ». « Afin qu'ils écrivissent de Californie ! »

On ne se méfie jamais assez de l'imparfait. De l'imparfait du subjonctif. Un temps qui a fait son temps. Un mode qui n'est plus vraiment à la mode. Qui ne serait pas seulement daté, mais aussi marqué. Par l'usage qu'en fit jadis Le Pen (Jean-Marie), un usage immodéré. Il en truffait littéralement ses phrases, ce qui réjouissait ses électeurs. Les remplissait de fierté.

À la même époque, le Roi Hassan II adressait ce reproche aux coopérants français : ils n'apprenaient plus l'imparfait du subjonctif aux petits Marocains, peut-être même qu'ils ne le connaissaient plus.

Pour revenir (à la nage et au cognac) à mes écrevisses californiennes, je dirai qu'elles sont ma réponse, avec quelques années de retard, avec cet esprit d'escalier ou de l'escalier qui me caractérise, à ces défenseurs de la langue française. Un pied de nez, délicieux je vous assure, à ces garants de la pureté, à ces gardiens qui luttent contre les anglicismes et autres locutions invasives. L'écrevisse californienne est de celles-là, une espèce exotique envahissante qui a presque remplacé notre écrevisse nationale, disons européenne, celle à pattes rouges et moins bien armée, avec ses pinces plus petites, moins féconde que sa redoutable concurrente américaine.

 

 

Afin qu'ils écrivissent
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13 novembre 2020 5 13 /11 /novembre /2020 10:10

Mon truchement automatique a toujours un train d'avance. Il devine, que dis-je, il appelle mes questions, et quand je refuse ses services, il essaie de m'acheter en m'offrant un bijou : une gemme ovale en cornaline rouge-orange avec Auguste en Neptune qui monte « un wagon de mer ». C'est ainsi qu'il traduit Nettuno che monta un carro marino.

Arrête ton wagon, Ben-Hur, et remballe ton cadeau. Mais laisse-moi Neptune. Laisse-moi le regarder. Tantôt assis, tantôt debout sur un char tiré par deux ou quatre dauphins ou chevaux. Ou attelé à des créatures mi-chevaux mi-dauphins. Neptune sur son char marin. Avec son épouse Amphitrite.

Il se tient debout, dans une attitude triomphante et dominant Amphitrite. Neptune est le dieu de la mer, après avoir présidé, avec son trident qui ébranle le sol et fait jaillir les sources, à toutes les eaux de la terre. Et avant de rétrécir au lavage, de bosser, après un long passage en forêt et dans les contes, comme lutin. Pour le Père Noël. De répondre aux lettres des enfants, aux mails angoissés des parents, aux insultes. De finir à Libourne, lui qui a commencé comme dieu des eaux vives. Le centre du courrier perdu est à Libourne. Comme le secrétariat du Père Noël. Certains confondent. Se trompent. De plus en plus volontairement à mesure que les confinements se succèdent, se durcissent. Des lettres au Père Noël sont en réalité destinées à Jean Castex ou à Emmanuel Macron. Écrites par des pseudonymes, Des anti-masques qui avancent masqués. Celles-là on n'y répond pas. On n'est pas payé pour ça.

Les lutins ne chôment pas, en ce moment. Les enfants sont toujours aussi nombreux à vouloir rencontrer le Père Noël ou lui parler. Pour lui donner leur liste de cadeaux. C'est de saison.

Et lui signaler une faute d'orthographe. C'est de saison aussi.

Voyez ce Message du Père Noël :

« Chers enfants, je sais que vous êtes nombreux à vouloir me rencontrer ou me parler pour me donner votre liste de cadeaux. Mes lutins ont donc mis en place ce numéro spécialement dédié ! Vous pouvez m’appeler et me parler en personne pour me raconter ce que vous avez fait cette année et surtout si vous avez été bien sage… Je suis sûr que vous adorez chantez des chansons de Noël. Comme moi aussi j’adore chanter, je vous réserve une petite surprise si vous m’appelez… En tout cas n’oubliez pas de télécharger votre conversation après m’avoir appelé pour garder un moment inoubliable de notre discussion. A très bientôt chers enfants et vive Noël ! »

Chers enfants, ne comptez pas sur moi pour l'appeler. Au numéro dédié. Je ne demanderai pas conseil aux lutins. Je ne les emmerderai pas davantage. Je ne dirai pas comment. Comment corriger un texte automatiquement. Comment activer le correcteur automatique. Puisque « vous adorez chantez », je vous laisse. À vous de jouer.

Un wagon de mer
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12 novembre 2020 4 12 /11 /novembre /2020 07:20

 

« (l'obolo pour Charon, le ferry des morts )»

C'est ainsi que m'arrivent, dans une traduction automatique (et non sollicitée) les deux pièces d'or que demandait, pour ses services, Nuctina. La plus inquiétante des nocticolae. Des « lucioles » . Des «choses qui brillent la nuit ». Autrement dit des prostituées qui pratiquaient la nuit dans les cimetières.

On est très loin des petites lumières (lucciole) des âmes mauvaises qui s'agitent, chez Dante, au creux de l'Enfer, dans la fosse des conseillers perfides. Plus loin encore de Pasolini et de ces lueurs survivantes qui résistent comme elles peuvent aux puissantes lumières du pouvoir (je vous renvoie au livre de Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, aux Éditions de Minuit).

Ce qui brille, ici, c'est l'or qui permettra de passer, dans la barque de Charon, sur l'autre rive. Voilà l'obole (un mot que la traduction automatique visiblement ignore), voilà pour celui qui vous transportera dans sa barque, moyennant deux pièces d'or, qui vous conduira sur l'autre rive. Voilà comment le sinistre nocher devient « le ferry des morts ». Comment le latin est transvasé, via l'italien, dans notre langue.

Si ces lucioles ne se trouvent pas dans l'Enfer, le lieu où elles exercent leur métier, et la façon dont elles le pratiquent, ont quelque chose à voir avec ce que les Anciens situaient en bas et qu'ils appelaient Inferi, « les enfers ».

Dans cet article d'Annalisa Lo Monaco, paru dans vanillamagazine.it et partagé (sur Facebook) par ANTICAE VIAE, on apprend que les bustuariae, les « prostituées des tombeaux » ou « des cimetières » se situent, dans la hiérarchie des prostituées, tout en bas. C'est ce qui se fait de plus vil. Et de moins cher.

Ceux qui n'avaient pas les moyens de s'offrir des délicates (ainsi appelait-on « les courtisanes de haute classe », selon mon empressé truchement), fréquentaient les nombreux lupanars, thermes et tavernes où ils pouvaient trouver, par l'entremise du leno, des prostituées régulièrement enregistrées.

Les plus fauchés devaient se contenter des postribulae, un mot que mon vieux pudibond de Gaffiot (qui ne connaît pas non plus cunnus) à son tour ignore. Mais dont l'article d'Annalisa Lo Monaco m'apprend qu'elles étaient des femmes pauvres, poussées par la nécessité, et qui ne figuraient pas dans les registres de l'édile. Les moins considérées étaient les ambulatae, introuvables dans mon Gaffiot, mais que l'on rencontrait facilement dans la rue. Attendant près des grands bordels, près des cirques et des arènes, des gladiateurs. « Pour la misérable somme de deux deniers, ces femmes répondaient rapidement aux clients, entre deux spectacles. »

Pires qu'elles, dans la considération sociale, il n'y avait que les bustuariae, appelées aussi nocticulae, qui pratiquaient la nuit dans les cimetières. Le côté obscur de la prostitution, souligné par un aspect physique que nous dirions aujourd'hui dark. Nous, ou plutôt l'article. Un tantinet racoleur quand il insiste sur le teint livide, le visage sans expression, le regard glacial, presque d'une morte, les mouvements et les gestes très lents.

Normalement, la première approche avec les clients se déroulait lors d'un enterrement, puisque la majorité des bustuariae travaillaient de jour comme pleureuses professionnelles et pleuraient pour des morts inconnus.

D'après le poète romain Martial, c'étaient les veufs récents qui étaient attirés par les bustuariae, par leurs lamentations lugubres et par leurs gémissements pendant l'étreinte, ils les supposaient prêtes à satisfaire leurs fantasmes macabres, comme feindre d'être un cadavre ou avoir des rapports sur la terre fraîchement creusée d'une tombe. 

Les bustuariae, poursuit notre infatigable drogman, « sont citées, outre Martiale, par Jeunesse et même par Catullo, le poète romain de l'amour par excellence. »

Ne sachant pas qui est ce poète qu'il appelle, emporté par son zèle, « Jeunesse », découvrant dans la version italienne que c'est Juvénal mais ne l'ayant pas sous la main, pas plus que Catulle, je me suis replongé dans Martial. On n'est jamais déçu avec lui. La luciole est là, dans ses Épigrammes, au livre III (93, 15). C'est Vetustilla contre laquelle il écrit. Dont il décrit, dans un contre-blason du plus mauvais goût, l'extrême laideur. Vetustilla est à sa place inter bustuarias moechas, « parmi les prostituées des tombeaux » . Encore faut-il, pour qu'on l'admette dans cette catégorie pourtant inférieure, que le balneator (le « maître de bain ») éteigne sa lumière ! Autrement dit que les thermes où elle traîne son horrible carcasse se transforment en cimetière.

Cette petite vieille que croque avec dégoût Martial, on l'a compris, n'est pas une vraie luciole. C'est le produit de sa misogynie. De sa peur donc de sa haine des femmes. De sa peur de la mort, aussi.

De cette forme de prostitution, il reste d'autres traces, « dans le souvenir d'une bustuaria nommée Licia, également fréquentée par des personnages de haut rang, et dans la description de Nuctina, un personnage probablement légendaire. Si elle a vraiment existé, bien sûr, Nuctina devait être la plus inquiétante de toutes les nocticolae : les traits parfaits, malgré la couleur bleue de sa peau, elle demandait pour ses services deux pièces d'or. Un prix élevé que beaucoup d'hommes étaient prêts à payer pour la posséder. Ou peut-être pour la regarder, après le sexe, lorsque la femme dormait dans une tombe portant son nom et avec les deux pièces d'or sur les yeux (l'obolo pour Charon, le ferry des morts). »

Des choses qui brillent la nuit
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10 novembre 2020 2 10 /11 /novembre /2020 06:46
Impasse de l'Odyssée

Il y a une Impasse de l'Odyssée à Nantes.

La première fois que je l'ai vue, je ne sais plus ce que je cherchais, dans quelles circonstances je l'ai découverte, ni même si j'étais à pied ou en voiture. Je me souviens seulement de ce que j'ai pensé en voyant le panneau. De la drôle d'adresse que ça ferait. Si j'avais l'idée d'habiter là. D'échouer, devrais-je dire. Voilà en effet quelque chose, dans une ville où le souvenir de Jules Verne est partout, qui vous coupe d'emblée l'envie de partir, qui tue toute idée de voyage. C'est bien pourquoi elle m'a arrêté.

Normal, me direz-vous, tout ce qu'il y a de plus normal pour une impasse. C'est sa vocation.

Et puis Nantes n'est plus la Venise de l'Ouest que Jules Verne a connue, l'île Feydeau où il est né n'est plus une île, la Loire a perdu ses deux bras, et l'Erdre n'a plus droit de cité. Nantes était pour lui une invitation au voyage, un point de départ. C'est maintenant, via la culture, une destination.

L'Odyssée, quand même, on n'imagine pas qu'elle puisse finir là, qu'elle ait même une fin, le retour à Ithaque ne met pas fin à la nostalgie, Ulysse n'est pas arrivé, il n'arrivera jamais.

Habiter à Nantes, ça je pourrais le faire. Je l'ai fait. Au début de ma carrière, quand j'avais été mis à la disposition du recteur et envoyé au Lycée Vial. Après il y aurait le Pas-de-Calais, la Tunisie, Mauzé-sur-le-Mignon qui vit naître René Caillié (j'ai fait avec lui le voyage à Tombouctou, maintenant ce serait plus compliqué), et enfin La Rochelle. Un séjour charmant, bien que notre âme ne soit pas fatiguée des luttes de la vie.

Pourquoi cette impasse me revient-elle aujourd'hui?

Parce que nous vivons tous, en ces temps de confinement, Impasse de l'Odyssée. Nous sommes limités ou gênés dans nos déplacements, empêchés de rêver.

Contraints de rêver sur ordinateur, de voyager avec nos écrans. Condamnés à l'errance.

Rappelons au passage (ici à l'impasse) que Nantes est « l'autre ville surréaliste ».

Et remercions le hasard objectif quand, pratiquant, comme d'autres le yoga, la déambulation sans but, nous tombons sur ce titre:

 

Censuré sur YouTube, il revient avec Odysee.

 

Si vous pensez que je parle encore d'Ulysse, c'est que vous m'avez mal lu. J'ai écrit Odysee, et pas Odyssée. Vous avez d'abord cru à une faute, avouez. Vous avez ri ou vous m'avez plaint. Ce faisant (sans en faire trop, sans même le dire), vous me fournissez l'occasion, ce dont je vous remercie également. De préciser que cette faute d'orthographe n'est pas de moi, que je n'y suis pour rien. Que c'est plutôt un jeu de mots, un mot-valise comme ceux qu'ils affectionnent, lui et ceux qui le suivent, les rassuristes plus ou moins complotistes, lui plutôt plus que moins, qui tweete comme un malade, comme son maître, en guerre ouverte contre l'État profond, contre l'élite mondiale pédo sataniste. C'est donc, Odysee, quelque chose comme mougeons, moutruches dont ils traitent les covidiots. Ceux qui se laissent manipuler et qu'ils entendent bien réveiller. En les arrachant à l'influence des collabos, en les réinformant sur la soi-disant pandémie. En leur montrant combien ils sont ridicules avec leurs masques et leurs gestes barrières. Les jouets de la mafia covidiste. Les victimes de cette dictature sanitaire qui s'installe. Selon un plan secret et révélé. Sur YouTube et désormais Odysee. Il est temps d'ouvrir les yeux, de regarder la Vérité en face. To see, en anglais, vous voyez? Vous le reconnaissez, le rusé Silvano ? Le complotiste aux mille tweet. Qu'on croirait écrits par l'Agent Orange. Ou par le mystérieux Agent Q. On est très loin, vous comprenez, du périple d'Ulysse.

Odysee, aussi, parce que Silvano Trotta est de Strasbourg. Le Baggersee, là-bas, tout le monde connaît. C'est un lac où l'on se baigne. Une gravière aménagée en lac. Je ne sais pas si ça situe le personnage. Ce qui le situe mieux, peut-être, ce sont ses derniers tweets, les fake news qu'il colporte. Ses arguments et ses mots sont ceux de la mouvance QAnon, fervent soutien de Trump, mais il n'a pas renoncé à révéler les vérités cachées. Avec le concours de la soralienne (aujourd'hui membre de Civitas) Valérie Bugault. On l'a beaucoup vue, pendant le premier confinement, j'ai viré pas mal d'amis qui partageaient sur Facebook son « Gouvernement Mondial ». Voyant arriver le second, Silvano Trotta se dit que c'est le moment de l'inviter, que c'est très bon pour ses vues, un petit confinement, que ça lancera définitivement Odysee. Valérie Bugault démontre, écrit-il, « que le système financier mondial est détenu par quelques personnes sous couvert d'anonymat. »

On peut rêver meilleur teasing.

 

Et d'une autre Nausicaa, pour réveiller Ulysse.

 

 

 

Impasse de l'Odyssée
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5 novembre 2020 4 05 /11 /novembre /2020 07:56

Antonio Udina dit Burbur est né en 1821 à Veglia, aujourd'hui Krk, en Croatie.

Krk, j'y suis allé une fois, quand c'était encore la Yougoslavie, chercher le soleil car à Orta où nous campions à deux pas du lac (à l'insu de la famija, c'est ce que nous croyions) les épisodes orageux se succédaient. Après un arrêt à Duino, pour dîner en terrasse et en compagnie d'une lampe anti-moustiques, que dis-je!, d'un destructeur d'insectes électrique dont la petite étincelle et le léger crépitement nous poursuivirent longtemps, bien après la frontière, nous arrivâmes sur cette île -la plus vaste et la plus septentrionale de l'Adriatique-, et nous y plantâmes notre tente.

À Veglia, Antonio exerçait le métier de coiffeur. D'où le surnom de Burbur (« barbier » en dalmate) qu'on lui a donné.

Antonio Udina était un coiffeur réputé, sans doute, mais nous le connaissons d'abord comme « dernier locuteur du végliote », le parler de Veglia (ou dalmate de Krk). Une variante dialectale du dalmate qui s'éteindra le 10 juin 1898.

Et qu'il a un peu sauvée, en répondant aux questions de Matteo Bartoli qui publiera, en 1906, la seule étude de cette langue : Das Dalmatische.

Matteo Bartoli est l'inventeur du dalmate. De cette ancienne langue romane, parlée de Veglia (Krk) à Raguse (Dubrovnik), il découvre les restes. Des vestiges du dialetto neolatino di Dalmazia, il en existe ailleurs, que d'autres linguistes collectent. Lui, c'est à Veglia qu'il cherche des traces de la romanité autochtone de l'Adriatique oriental, et en écoutant le Burbur. Son unique source, si problématique soit-elle. Il ne se base que sur l'idiolecte du « dernier locuteur », Antonio Udina, en végliote Tuone Udaina.

Tuone Udaina ne lui apparaît pas comme un locuteur résiduel du dalmate, mais, ce qui est autrement romanesque, comme « le dernier ». « Le dernier Végliote ». Pour Bartoli qui l'interroge, Tuone Udaina est l'ultime descendant du « lignage des anciens Latins d'Illyrie ».

Bartoli n'est pas le premier linguiste à reconnaître l'importance du parler moribond de l'île de Krk. Et il n'est heureusement pas le dernier.

Tuone Udaina n'était peut-être pas le seul à parler couramment l'ancien dialecte de sa ville. Ni le plus capable de le parler. Mais il fallait, pour la vision dramatique d'une langue dont la mémoire a été sauvée in extremis, qu'il fût le dernier.

« C'est le végliote, et ce fut sa fin », écrit Bartoli.

Pour que son dernier témoin de l'italien prévénitien de la Dalmatie -dénomination que Bartoli attribua plus tard au dalmate- pût apparaître plus pur et son langage plus authentique, il lui fallut gommer quelques détails. Sa mère, une Slave née en Croatie continentale. Le fait que le dalmate n'était pas sa première langue et que ses connaissances remontaient à l'époque où il l'avait appris de sa grand-mère. Ses parents parlaient avec lui le vénitien. Le végliote, ils l'employaient quand ils ne voulaient pas être compris de leurs enfants.

Par ailleurs, quand Bartoli a commencé à l'interroger, il ne parlait plus la langue depuis une vingtaine d'années, il était devenu sourd et avait perdu ses dents.

En réalité, contrairement à ce qu'affirmait son père, Tuone Udaina n'était pas capable de parler couramment le végliote. Il était un semiparlante, un semi-locuteur qui, selon Bartoli, parlait au début un vénitien dalmatisé, plutôt qu'un dalmate vénitianisé.

Le vrai dalmate lui revient-il, à mesure qu'il égrène ses souvenirs ?

Bartoli l'espère, sinon il arrêterait l'entretien.

Et nous, pourquoi le poursuivons-nous ?

On dit du dalmate qu'il a la grammaire la plus simple de toutes les langues romanes. Ce serait un formidable argument de vente, si on pouvait le prendre comme langue vivante -comme alternative au français dont la difficulté effraie les plus téméraires-, ou ancienne, mais elle n'a pas la chance du latin. Le dalmate est une langue morte. D'une mort accidentelle (le 10 juin 1898) et néanmoins définitive.

La mine qui explosa, lors de la construction d'une route dans l'île de Veglia, emporta celui que la Postérité regarde, avec sa myopie habituelle, comme « le dernier locuteur du végliote ».

Pourtant, il y a des gens qui aimeraient bien la ressusciter, cette antique langue romane qui s'est éteinte en 1898. Ils nous en servent un morceau sur leur page, le début du Notre Père :

Tuota nuester, che te sante intel sil, sait santificuot el naun to. Vigna el raigno to. Sait fuot la voluntuot toa, coisa in sil, coisa in tiara. Duote costa dai el pun nuester cotidiun. E remetiaj le nuestre debete, coisa nojiltri remetiaime a i nuestri debetuar. E naun ne menur in tentatiaun, miu deleberiajne dal mal. Amen.

Tuone Udaina a sa page Facebook, sa photo. Tuone Udaina (Tuone Udaina Burbur) habite à Krk, Primorsko-Goranska, Croatia, mais ses 42 amis sont tous italiens. Vénitiens, ne confondons pas. Et ouvertement nationalistes. Des independentisti veneti. Qui défendent, en écartant leur chemise, en libérant le lion qui est en eux, la DIGNITA dei VENETI.

Y aurait-il un irrédentisme vénitien comme il y eut, au siècle dernier, un irrédentisme italien? On peut le craindre. Et considérer qu'il n'y a pas de petit sujet. Que la question du dalmate est, n'en déplaise au coiffeur qui nous adresse un dernier sourire, éminemment politique.

 


 

 
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14 octobre 2020 3 14 /10 /octobre /2020 09:55

Je me suis d'abord demandé, en tombant sur ce titre, si le gars -un poète en panne d'inspiration- pratiquait ce sport en amateur, ou si c'était un authentique champion, un as du plagiat.

Je n'aurais pas dû m'arrêter au titre. J'aurais poursuivi, j'aurais lu l'article, j'aurais vu que ce Prométhée aux petits pieds, voleur -occasionnel ou compulsif- de feu, évoluait dans un autre élément : l'eau.

Prévoyant en effet d’aller pêcher, en ce doux printemps de 2019, S., 52 ans, était allé se fournir à l’Intermarché du coin. Dans sa poche il avait glissé hameçons, vers de terre et autres accessoires indispensables, transformé ce sport de rive en un sport à risques. Et, parce que ce n'était pas assez intense, parce qu'il lui fallait vivre en tout, à tout moment des sensations extrêmes, il s'était approché, en mode adrénaline, du rayon bouteilles. « Pour prendre l’apéro, quoi ! », précise-t-il à la barre du tribunal correctionnel de N. ce matin. Au cas où on n'aurait pas compris.

Et où je continuerais à dire qu'il est dans l'eau « dans son élément ».

Voleur de vers
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13 octobre 2020 2 13 /10 /octobre /2020 10:11
Io e il mio moroso

« Moi et mon morose » : c'est ainsi qu'il a traduit. Spontanément. Lui qui ne connaît pas la langue, qui ne sait pas de quoi on parle, qui n'a même pas vu la photo. Il a entendu ça. Quelque chose comme « Moi et ma cheminée ». S'il a vu passer le titre, s'il n'a pas rêvé. Il a tout de suite pensé à un couple. Au couple qu'ils feraient, lui et sa cheminée. S'ils devaient cohabiter. On n'aurait peut-être pas grand chose à se raconter, ou on ne trouverait pas les mots, mais un dialogue est sans doute possible. Même entre muets. Regardez Néandertal. Regardez-le dans sa grotte. Celle de Bruniquel est sur la toile, regardez. Et surtout écoutez. Oubliez ceux qui vous disent qu'il ne parle pas. Que son cerveau, qu'il a plus gros que le nôtre, ne le lui permet pas. C'est ce qu'on croyait au début. Qu'il n'avait pas accès au langage, à la pensée symbolique.

C'est toujours ce qu'il pense. Celui qui a laissé un commentaire. Sur le mur de son ami. Sous la carte postale qu'il a partagée. Une carte postale ancienne. Des environs, avec ce qui était la Douane. De son village autrefois si vivant. Dans sa jeunesse. Je l'entends. Je les vois. Les vieux sous l'eucalyptus. Un eucalyptus tellement élagué qu'il ne fait même plus d'ombre. Ils sont là. Lui et son village. Son village avec « ses habitants qui mangent le temps et attendent la mort ». Comme il l'écrit dans son commentaire. Dans la traduction automatique.

Et pourquoi croyez-vous qu'ils se retrouvent, je lui dis (sans lui dire), avec les autres chasseurs ? Ceux d'un autre groupe. Pour échanger des choses (collectées, à manger, qui donneront des outils, des armes), pour se raconter leurs chasses ? Comment se racontent-ils leurs chasses ? Comment les programment-ils? Comment, s'ils n'ont pas le langage, organisent-ils tout ça ? Aujourd'hui, on leur prête une voix, mais haut perchée. Pas tout à fait le langage, la pensée symbolique, mais ça viendra. À force. À force de découvertes, comme celle, récente, à Bruniquel. Regardez la vidéo. Regardez cette structure qu'on a trouvée. Voyez ce qu'ils ont été capables de faire avec les stalagmites qu'ils ont cueillis. Puis assemblés. Montés. Il y a 170 000 ans. On est loin des clichés. De nomades errant et tuant au hasard. Leurs chasses sont parfaitement anticipées, les tâches réparties, l'improvisation n'est pas permise. Elle serait fatale. Les Néandertaliens, même contraints par leur cerveau, trouvent le moyen de se faire comprendre. Un lieu, un moment pour danser ensemble et chanter.

Qu'est-ce que vous nous chantez ?, me lance (en silence) celui qui commente sous son eucalyptus. Sous cet eucalyptus qui ne ressemble plus à rien. Ils font leur feu, le regardent brûler, c'est tout. Et c'est déjà beaucoup.

« Moi et mon morose ». Si ce n'est pas ma cheminée, je pense (je n'ai pas de cheminée, celle à côté de quoi j'écris ne marche pas, je ne l'ai jamais fait fonctionner, elle me sert juste, le manteau, à poser des choses dessus, exposer de pauvres trophées de chasse, de collecte car je ne suis pas chasseur), c'est donc mon écran ? Nous formons aussi un couple, moi et lui. Nous dialoguons en silence. C'est un dialogue nourri, car il m'apporte. Deux expressions d'un coup, aujourd'hui, de quoi ruminer longtemps. En attendant la mort. Je le lui rends bien, avec mes textes. Ceux qu'il alimente, et que je lui offre en retour, sur mon blog.

Ce texte en est la preuve. Que j'ai intitulé Io e il mio moroso. Tel que je l'ai trouvé en errant comme je sais faire. Méthodiquement. Je l'ai laissé en italien. Comme je l'ai trouvé. En omettant -en gardant pour la chute- la traduction exacte qui est « Moi et mon amoureux ». En l'offrant, pour finir, à celui que j'allume, sitôt réveillé. Dans cette grotte qui n'est pas une grotte, qui ne le sera plus.

Depuis qu'il m'a appris, « mon amoureux », que le peu que nous a légué Néandertal, que ce fragment d'ADN, ce segment qu'il nous a laissé en héritage est un facteur aggravant de la Covid-19, responsable des formes graves de la maladie, je préfère à cette cohabitation que nous avions choisie, bien forcés, pour traverser l'hiver, une forme plus libre, mieux acceptée de confinement.

 

                                                                    à Selvaggia Rodriguez qui me donna l'idée

 

 

 

Io e il mio moroso
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6 octobre 2020 2 06 /10 /octobre /2020 07:31

Le Treipaïs est une invention. Une drôle d'invention. Qui est à la pâtisserie ce que les gentils monstres résultant de la fusion de communes sont à la toponymie.

Il est né, comme Aigondigné (l'exemple qui me vient à l'esprit), d'une volonté politique.

Aigondigné. Nom inventé, non par un archéologue mais pour la bonne cause, celle du regroupement de communes et de la mutualisation des dépenses. Aigondigné, donc. Commune nouvelle, située dans le département des Deux-Sèvres, en région Nouvelle-Aquitaine. Résultant de la fusion -au 1er janvier 2019- de la commune de Mougon-Thorigné (ancienne commune nouvelle résultant de la fusion des deux communes de Mougon et de Thorigné) et des communes d'Aigonnay et Sainte-Blandine. Aigondigné, il n'y a pas à dire, ni surtout à s'indigner, cela sonne comme un nom -comme Secondigné qui existe dans le département, et pas très loin-, c'est un nom possible sinon réel, un nom vraisemblable. Il ne détonnera pas. Il ne fera pas tache. Contrairement à d'autres monstres que l'on peut découvrir aujourd'hui sur la carte ou en voyageant.

Le Treipaïs est né, lui, de la volonté de trois présidents (ceux des départements de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne) qui souhaitaient créer un produit représentant et valorisant le Limousin, que ce soit par sa forme ou sa composition.

Le gâteau aurait la forme d'un triangle. Les trois côtés représentant les « trois pays » : les trois départements.

Il aurait trois parfums : la châtaigne, la noisette et le chocolat.

Trois tailles seraient proposées :  trois, six ou neuf parts.

Je veux rassurer ici le lecteur de Proust, friand de « noms de pays », et l'amateur de Creusois, de Galette Corrézienne ou de Burgou. Ils n'ont rien à craindre de ce remembrement tardif. Cette deuxième lame n'effacera pas le peu qui reste du paysage dans nos assiettes, elle redonnera plutôt, quand elle ne la créera pas, une mémoire. Celle des « trois pays » réunis dans ce gâteau.

Un gâteau qui ne régalera pas seulement l'archéologue, avec ses strates, mais qui plaira aussi aux becs sucrés, avec sa mousse aux marrons, puis au chocolat noir, avec sa dacquoise et son praliné croustillant à la noisette.

La châtaigne, comme le rappelle le petit marron qui nous accueille, entre les deux feuilles et avec un chocolat, est l’emblème du Limousin.

Elle nous dit ici que le Tréipaïs est une création, certes, mais locale, et porteuse de traditions, d'histoire, de savoir-faire humain, qui est rattachée à un terroir et qui a un goût spécifique. Qu'elle a sa place dans les Sentinelles du goût de la Nouvelle-Aquitaine. À côté de la jonchée, du jambon Ibaïama, du grenier médocain, de l'andouille béarnaise et du blé rouge de Bordeaux.

Nous avons, nous aussi, la volonté. Que cette invention perdure. Qu'elle dure « plus longtemps que la foire à Niort ». Comme on disait dans les Deux-Sèvres. Comme on dit encore, qui sait, du côté d'Aigondigné.

 

 

 

Je serai avec ce texte, avec Marc Deneyer et avec Glen Baxter, dans L'Actualité Nouvelle-Aquitaine N° 131, janvier, février, mars 2021.

Treipaïs
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3 octobre 2020 6 03 /10 /octobre /2020 08:59

La traduction de glandes plumbeae est difficile. La preuve, la découverte, partagée ce matin sur Facebook par ANTICAE VIAE, de 59 ghiande missile à Viana, au Nord de l'Espagne. Ces « glands de plomb » appartenaient à un soldat romain qui s'est enfui ou qui est mort pendant la bataille.

L'article est en italien, et parle de 59 balles (« glandes missile », selon la traduction automatique), des balles de plomb utilisées comme projectiles et laissées là par un fromboliere : un « frondeur ». Un guerrier armé de fronde, romain ou un de ces auxiliaires provenant de Rhodes, de Syracuse, de Grèce ou des Baléares, les plus réputés et les plus habiles. Ce « frondeur » se sera délesté de ses glandes plumbeae pour ne pas être ralenti dans sa course, ou il aura été tué à l'endroit où il lançait ses « glands de plomb ». Nous n'en savons rien. Les balles de plomb restent désespérément anépigraphes. Aucune inscription, rien qui nous dise d'où vient ce frondeur, qui il vise, quel ennemi il insulte (nos missiles ne sont pas muets non plus), quel con de commandant. Pas un aigle, pas une flèche. Les glands pleuvent en silence. C'est la saison. Les guerres reviennent. C'est aussi pourquoi j'écoute ce « gland missile » ce matin.

Le bruit que j'entends, c'est celui de la fronde. Frombola en italien. L'un et l'autre dérivent du latin funda. Dans l'un comme dans l'autre un r s'est glissé, et je me demande pourquoi. Pourquoi le provençal fonda nous donne cette fronde. Pourquoi l'italien a fionda, mais aussi frombola.

Pour certains, il y aurait du rhombe dans l'air. Et dans l'r.

Le rhombe est un instrument primitif, une pièce d'os ou de bois que l'on fait tourner en l'air au moyen d'une cordelette, dans un mouvement circulaire, ce qui produit un vrombissement modulé (sinon mélodieux). Pour le dire autrement, et plus simplement, on fait tournoyer le rhombe comme une fronde au bout d'une corde. Une cordelette de cuir souple, pour la fronde, ou bien de chanvre. Et en avant la musique. Le vent, le tonnerre, et les esprits qui veillent sur nous et qu'il faut contenter ou éloigner avec nos chants.

Rhombe et fonde ont donc pu se croiser, ce qui expliquerait notre fronde. De même en italien, romba et fionda auraient coopéré à la formation du mot frombola. L'idée est séduisante. D'une fronde où l'on percevrait, avec ce r intercalaire, un peu du rugissement premier que l'on pouvait, grâce à la cordelette et au mouvement circulaire, produire. Où il y avait le vent, le tonnerre, les cris des dieux, des esprits ou des ancêtres intercesseurs entre le monde terrestre et celui d'en bas. Tout cela dans un petit r. Qui en serait la trace présente, mais tellement assourdie. C'est ce que j'entends ce matin en regardant les balles de plomb découvertes à Viana. Une immense rumeur qui est aussi celle de la guerre. Et cette rumeur, elle ne meurt pas non plus. Hélas.

Nous sommes, avec ces 59 glandes plumbeae, en pleine guerre sertorienne. Un épisode des guerres civiles romaines. En 77, Pompée se voit confier la guerre contre Sertorius en Espagne. Un an plus tard, lors d'une bataille décisive, ou dans une simple escarmouche, notre frondeur perd ses « glands de plomb ». On ignore de quel côté il combattait, s'il était dans l'armée de Sertorius ou dans le camp de Pompée. 

Pompée, me direz-vous, c'est bien loin. Qui ça intéresse aujourd'hui ? En quoi ça nous concerne ?

Détrompez-vous. Hier, je suis tombé sur cette affiche. Dans la zone du Colisée. POMPEO, ROMA NON TI VUOLE ! CONTRO L'IMPERIALISMO. YANKEE GO HOME. Celui dont Rome ne veut pas, vous l'avez reconnu, c'est Mike Pompeo, le secrétaire d'état américain, et non Pompée dit « le Grand » (en latin Cnaeus Pompeius Magnus). Et moi, comme un gamin, j'ai applaudi. J'ai aimé ces balles de plomb visant l'ex chef de la CIA, l'homme de Donald Trump. Certes, nos jeunes esprits, si frondeurs soient-ils, manquent un peu d'originalité, dans leurs slogans. Mais ils donnent un petit coup de neuf à mes Romains, aux batailles de l'Antiquité où il y avait, comme dans les nôtres, un vainqueur dont l'histoire garde pieusement le nom, et des multitudes de vaincus que tout le monde oubliera.

 

 

 

Ce tas de 81 projectiles de plomb d'un poids moyen de 75 grammes a été retrouvé en Westphalie. ©LWL/Burgemeister (SCIENCES ET AVENIR, le 15.08.2015)

Ce tas de 81 projectiles de plomb d'un poids moyen de 75 grammes a été retrouvé en Westphalie. ©LWL/Burgemeister (SCIENCES ET AVENIR, le 15.08.2015)

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29 septembre 2020 2 29 /09 /septembre /2020 13:24
Reptiliens

 

Il était présent à Londres, le 26 septembre dernier, il manifestait à Trafalgar Square « pour la Liberté ». Avec les anti-masques, les antivax. Fuck your vaccine!, il criait.

Ce footballeur professionnel souffre d'une polyarthrite rhumatoïde qui le contraint d'arrêter sa carrière à 21 ans. D'une timidité maladive qu'il soigne en faisant le journaliste sportif à la BBC, et dont il guérit vraiment en avril 1991, lors d'un show télévisé où, entouré de sa famille et vêtu d'un survêtement turquoise ( sa couleur cosmique fétiche à l'époque, devant conduire l'« énergie positive »), il déclare être « le fils de Dieu ».

Voilà pour la « période turquoise ».

En 1994, l'hurluberlu New Age dont on se moquait dans la rue tombe le masque. David Icke montre son vrai visage. Celui, hideux, du conspirationniste. Antisémite. Niant la réalité de la Shoah et présentant comme avérés les faux les plus grossiers.

Aujourd'hui, évidemment, il considère le coronavirus comme une fable. Inventée par ceux qui veulent nous asservir en installant une dictature sanitaire. En attendant le vaccin obligatoire.

Le gardien de but ne va plus chercher le ballon au fond de ses filets, mais il reste un portier : un gatekeeper. Les reptiliens sont capables de tout, il prévient, ils changent de formes, se déguisent en présidents et en rois (des bloodsucking alien lizards, comme la famille royale britannique!). Ils ont mis la main sur le système bancaire, les médias et la politique, et leur complot est en passe de réussir. Nous vivons, avec cette soi-disant pandémie, dans un monde orwellien, et si nous ne nous réveillons pas, si nous ne nous débarrassons pas de nos muselières, les reptiliens auront gagné. Nous serons vaccinés, pucés, entièrement soumis à nos maîtres.

J'ai pensé, en voyant David Icke manifester « pour la Liberté », en l'écoutant délirer, aux défixions de l'Afrique romaine, aux tablettes dites de Proclos et d’Harpocratiôn, datant des IIe‐IIIe siècles de notre ère et trouvées à Carthage, qui mêlent inscriptions grecques, iconographie égyptisante (des personnages saurocéphales) et symboles de victoire et de fertilité gréco‐romains.

Certains les regardent, parce qu'elles sont de plomb, comme des tablettes d'exécration. D'autres comme des tablettes prophylactiques (destinées à protéger le ou les propriétaires contre des menaces variées). Mais tous s'accordent pour voir, dans l'une comme dans l'autre, un personnage à tête de reptile. De vipère, plus que de crotale ou de cobra. Ou encore de tortue, de lézard, d'amphibien. On ne sait pas trop. Ce qui est certain, c'est que ce personnage à la tête oblongue se dirige vers la gauche, avec un scorpion dans la main droite et une palme dans la gauche. La représentation du personnage (corps de face, tête et membres de profil) renvoie assez clairement à des modèles iconographiques égyptiens, ce qui n'est pas surprenant en Afrique du Nord et dans un contexte magique. Ni nouveau. L’influence égyptienne est déjà très forte durant la période punique. Comme en témoignent les amulettes, statuettes et autres objets égyptisants découverts en grand nombre dans les tombes.

Les inscriptions aussi renvoient à l'Égypte.

L'inscription pectorale, située dans le buste du personnage, est, dans les deux cas : ωμελαμφαρωκ (ômelampharôk).

Les noms gravés sous les personnages sont, pour la première tablette, Proclos ; pour la seconde, Harpocratiôn appelé aussi Neilos ou Nil. Cibles, si ce sont des tablettes d'exécration, ou propriétaires de ces tablettes, si ce sont des amulettes censées les protéger.

Cette tête de reptile placée sur un corps anthropomorphe nous rapproche de l’Égypte et de ses divinités zoomorphes ou zoocéphales. Et des reptiliens qui, selon David Icke, se déguisent en présidents et en rois pour mieux gouverner nos vies. Le scorpion dans une main, la palme dans l'autre. Le scorpion, la puissance redoutable et jaillissante. La palme qui représente la victoire, et le pouvoir régnant.

Cette victoire est souvent représentée, à l'époque romaine. Celle du bestiaire Hilarinus sur le léopard Crispinus. Que célèbre un pavement de Smirat, dans la région de Moknine. Celle de Magerius qui donna ces chasses, qui donne maintenant cette superbe mosaïque où son nom est partout. En lettres énormes. Nul ne doit ignorer que ces spectacles qui enthousiasment le public, c'est Magerius qui les offre.

Ce pouvoir qu'on s'achète, certains le contestent. La palme, la victoire qui ne peut lui échapper, ils font tout pour l'empêcher. Ils en appellent au scorpion, animal dangereux aux attaques fulgurantes, ils ont recours à la magie. Une bonne defixio, le nom du rival qu'on veut abattre martelé comme il faut, la tablette enfouie dans l'amphithéâtre, là même où Gallicus (foutu Gaulois!) va affronter l'ours et le taureau, juste avant qu'il ne pénètre dans l'arène, et Gallicus voit s'envoler le triomphe. Écoutons le plomb (tablette n° 247 du corpus d'Audollent, Defixionum tabellae, Paris, 1904) :

« Tuez, massacrez, blessez Gallicus que Prima a engendré, sur l'heure, dans l'enceinte de l'amphithéâtre, Enchaîne ses pieds, ses sens, ses membres, sa moëlle, enchaîne Gallicus que Prima a engendré, de sorte qu'il ne tue pas l'ours ni le taureau par un seul coup ni par deux coups ni par trois coups. Au nom du dieu vivant tout puissant, accomplissez ma prière maintenant, maintenant, vite, vite, que l'ours l'abatte et le blesse. »

Sur cette tablette, datée des IIe‐IIIe siècles de notre ère et retrouvée dans les fouilles de l'amphithéâtre de Carthage, apparaît un personnage à tête de reptile. Auguste Audollent le décrit ainsi : « homo stans (Typhon/Seth) serpentis capite insignis, tenens hastam dextra, fulmen(?) sinistra » (A. Audollent, ibid.,1904, DT n°247, pp.236‐237. Cité par Samira Nathalie Zoubiri, Le corpus des defixiones nord‐africaines: le cas des tablettes dites de Proclos et d’Harpocratiôn, p. 12)

Liez ! Liez les membres ! De celui qui court contre nous. Faites que ses chevaux n'avancent plus, ou dans des directions opposées, qu'il perde une à une les roues de son char, qu'il morde la poussière. Ceux dont les noms sont ici, liez-leur, nouez-leur la langue, rendez-les muets et pleins de crainte, faites qu'ils ne puissent plus parler de façon hostile, l'adversaire au tribunal, faites qu'il ne puisse répondre ni parler contre nous :

« j'ordonne que lui et ceux qui l'ont imité, tu les rendes muets contre Atlosa,. Et je lie et noue leur langue au milieu, à la pointe et à l'arrière pour qu'ils ne puissent contredire ; que tu les rendes muets, muets comme des coqs mutilés (facias illos mutuos muturungallos mutulos), Crispus fils de Marine et Marine fils de Parine, je noue leurs langues, tu traces des sillons...membres... »

Moi aussi (covidiot que je suis), j'ordonne. J'ordonne que David Icke et ceux qui l'ont imité, Marat Safin, l'ancien tennisman russe, Jean-Jacques Crèvecul, Silvano Crotta et toutes les lunes creuses qu'il fait parler, tu les rendes muets. Et je noue leur langue au milieu, à la pointe et à l'arrière. Et je n'écris pas mon message dans le plomb, je ne le confie pas à la tombe. Je laisse ça aux haters qui se cachent derrière des pseudos. Si la magie est action, ce dont je ne doute pas, je me dois d'opérer à visage découvert.

 

 

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