Parler d'archéologue du présent, à propos de Luigi Grazioli, ce serait faire un pléonasme. Ce qu'il cueille,
de l'avis de celui qui le lit, et qui aujourd'hui traduit ses Correzioni, commenti, rettifiche,
cancellature e cancellazioni, ce sont toujours les traces présentes du passé. Des vestiges matériels qu'il reçoit
et nous livre comme autant de symptômes, avec cette acribie qui le caractérise et qui est, comme l'image qu'il décrit, comme l'image du rêve mais c'est dans la réalité qu'il la trouve,
anachronique.
Corrections, commentaires, rectifications, ratures et effacements
Chaque lundi, au moment de m'engager dans l'ultime tunnel du TER qui, de porta
Garibaldi, débouche via Tazzoli, sous l'Hôtel AC, mon coeur bat un peu plus vite. C'est l'attente. L'incertitude et la curiosité de savoir s'il y aura un nouvel épisode dans la petite saga des graffiti qui me passionne depuis que je
suis passé par là pour la première fois, il y a quelques mois. S'il y aura un coup de théâtre, un rebondissement, ou si le dernier effacement sera le bon.
Je veux parler d'une série d'interventions, corrections, rectifications et effacements de graffiti, qui
concerne uniquement un groupe d'inscriptions en grande partie concentrées sur les murs du dernier tronçon du tunnel à la sortie du souterrain, en haut du long escalator, et très raide, et le long
des escaliers et de la rampe d'accès pour les fauteuils roulants qui sortent sur la place devant l'hôtel, où stationnent presque toujours des taxis et des autos de grosse cylindrée, et de belles
femmes avec sacs à main et valises de grandes marques (déjà debout de si bonne heure?).
Les inscriptions sont toutes de la même main et répètent, à une brève
distance l'une de l'autre et avec d'infimes variations, un unique message. Dans ses composantes essentielles le message est constitué de ces éléments: déclinaison de l'identité (juste un prénom,
qui n'est pas dit, comme nous le verrons plus tard, qui doit correspondre au prénom réel de celui qui écrit: pseudonyme, nom de scène, avatar, avec des implications possibles d'un symbolisme
facile, – à moins qu'il ne s'agisse d'un trait d'ironie, un des nombreux –), nationalité, études et profession (réelle ou souhaitée) comprises (Angel Manuel rag.
ital. Gigolò); indication des principales caractéristiques (super bien monté, sans plus de
détails, mais la taille a été ajoutée, dans une intention polémique, par le correcteur: 8-10 centimètres), et des destinataires (femmes
uniquement, on ne prévoit pas d'exceptions), sans spécifier la typologie des prestations offertes (mais faciles à deviner, on présume que celui qui écrit présume), parfois, pour rassurer le client, il précise le lieu de travail (un
appartement confortable et discret ), le mode d'accès (Milan, il y aurait pourtant sur ses services
publics un tantinet à redire); et enfin des numéros de téléphone (mais généralement le même, plusieurs fois répété, soit pour être clair, soit pour riposter à un effacement des derniers
numéros: omissis) avec spécification de la forme de communication et/ou de prise de contact souhaitée (sms). D'autres ajouts, minimes comme les variations expressives, sont imputables seulement au caprice du moment et partant ne sont pas particulièrement
significatifs; ou bien ils le sont seulement de cela (je veux dire du caprice du moment), bien qu'ils puissent suggérer tout autre chose, des mondes entiers, à celui qui est disposé à y entrer,
par exemple aux fins psychologues de la télévision, ou seulement de petites nuances, mais essentielles, aux différents pathologistes, indices dont un spécialiste, en fonction de sa spécialité,
pourrait tirer qui sait combien de déductions et combien intéressantes, sinon même les plus risquées (les plus suffisantes, ou sûres d'elles-mêmes, comme on imagine l'expert), des conclusions
définitives. Je les suivrais toutes, si j'en avais le temps et les moyens (pour ne rien dire de la
capacité).
Les inscriptions en elles-mêmes ne sont pas d'une très grande originalité: je
dirais même qu'elles suivent aveuglément (mais le cliché doit être lu comme la marque d'un professionnalisme qui ne s'abandonne pas aux mignardises de la subjectivité) une typologie
traditionnelle et vénérable qui se développe habituellement dans les toilettes publiques ou dans des lieux où la créativité est plus répandue comme les bâtiments scolaires et pénitentiaires (je
laisse le détail du décor et des matériaux utilisés aux critiques d'art et aux anthropologues); et par conséquent, en tant que telles, elles devraient se révéler ennuyeuses, s'il n'y avait là,
qui a suscité mon intérêt, une extraordinaire floraison de corrections, ajouts, réécritures, commentaires, suppressions, rectifications, modifications et annulations à l'aide de peinture dont
régulièrement elles font toutes l'objet, excepté celles de la rampe d'accès pour les fauteuils roulants et le long des escaliers qui ne connaissent pas de badigeonnage: les premières (tu aurais
dit!) par l'habituelle discrimination envers les moins favorisés qui s'étend à leur environnement, les secondes parce que sur le marbre, je pense.
Même cela ne serait pas si intéressant: les murs sont pleins d'inscriptions et de dessins de toute nature,
généralement sous forme d'illustrations (en particulier concernant certaines parties de l'anatomie, qui évidemment seraient vite oubliées, s'il n'y avait pas toujours quelqu'un pour estimer utile d'en rappeler les traits), d'exemples de leur propre
créativité par la main d'une personne qui au départ n'est pas convaincue de sa valeur et malgré cela insiste peut-être en comptant sur la négligence d'autrui, et d'effusions, célébrations,
invectives et déclarations de teneur variée, d'amour de préférence (l'amour, on le sait, a ce défaut, de laisser des traînées, et des plus impensables), et parfois de véritables guerres de
communiqués, autrefois aussi politiques, aujourd'hui presque exclusivement sportifs ou racistes (en Italie c'est pareil). La vieille rengaine de l'éphémère et de l'éternel.
Certaines inscriptions donnent envie de répliquer; on pourrait même supposer qu'elles agissent en aimants, comme des aiguillons, qu'elles stimulent les pulsions primitives, qu'elles poussent au
jeu ou au venin. Surtout celles qui campent solitaires sur de grandes parois ou des murs d'enceinte, comme celle, gigantesque, que je me trouve dans l'obligation de lire chaque fois que je me
gare à proximité de mon bar: « Tu es ma seule et unique pensée », que personne n'a jamais songé à effacer, et à laquelle je n'ai pas la force d'ajouter un codicille, comme « pour
ta tête, c'est déjà trop », ou quelque variante encore plus explicite pour faciliter la compréhension (vu les prémisses).
Ce sont des textes qui ont, c'est évident, pour origine l'horror vacui, qui sont comme des réponses à de vastes zones vierges dont la
nudité apparaît insupportable, obscène; mais qui ensuite, à leur tour, suscitent l'horror pleni des amoureux de l'ordre et de la
virginité, fût-elle plusieurs fois refaite (de parois, rues, lieux: de chaque volume, qu'il soit animé ou non), qui repeignent à neuf les murs, ou les segments incriminés, avec la même peinture
ou une teinte identique ou similaire, ton sur ton, par couches mais couvrant, scellant, annihilant jusqu'à la prochaine provocation qui, inutile de le dire, se matérialise à peine le restaurateur
de l'ordre s'est-il éloigné, et seulement là où il avait badigeonné, pas ailleurs, ni à côté ni plus haut ou plus bas, bien qu'il y eût des km carrés à disposition, reproduisant toujours et
seulement, parfaitement identique, jusque dans les fioritures, l'inscription effacée, l'unique vérité que celui qui écrit a à transmettre, rien d'autre, parce que d'autre ou d'ailleurs il n'y a
pas, dans une succession de coups de main interchangeables, une guerre des nerfs jusqu'à épuisement, qui est généralement remportée par le prophète compulsif, lequel cependant, une fois qu'il l'a
gagnée, quitte le champ de bataille et s'en va sans profiter plus que cela de son succès: comme vidé, sans même se soucier de cette vérité pour laquelle il avait si longtemps et opiniâtrement
combattu, et qu'il abandonne maintenant à son destin de parole sans destinataire, qui s'efface à cause de son excès d'apparence et connaît ainsi, une fois obtenu l'avantage, pour le pur plaisir
de vaincre, « par principe », le sort d'invisibilité que voulait lui réserver son adversaire vaincu.
Ici au contraire il semble que ce soit, pour l'instant, effacer qui l'emporte. Ce qui me fascine, ce n'est pas tant
cette victoire par ailleurs prévisible, du moins à long terme, avec son allégeance conformiste à une loi universelle, que les formes que l'effacement revêt. Il s'agit de rectangles, le plus
souvent, mais aussi de polygones irréguliers de différentes tailles, de figures au-dessus ou à l'intérieur d'autres figures, avec des couches de couleurs identiques ou équivalentes qui donnent
lieu à des glacis, ou des dégradés et des contrastes, dans un jeu optique en relation (dialectiquement!) avec la couleur du mur ou avec celles, diverses, des murs adjacents, et avec les
différentes sources de lumière, à commencer par celles, changeantes, qui viennent du dehors (une lueur, de loin), mais aussi avec des effets rythmiques que leur succession irrégulière et les
passants qui ne marchent pas tous du même pas créent de l'une à l'autre et sur le mur tout entier, et même d'un mur au suivant ou avec les facteurs les plus variés, quand par exemple se trouvent
inclus dans le jeu carrelages, colonnes, plafonds et autres composants graphiques et architecturaux. (Je me perds dans ces conneries... et je n'ai pas d'excuses.)
À être totalement recouvertes, il n'y a que les inscriptions du fantomatique Angel Manuel (un prénom qui pue
tellement le pseudonyme: à moins que ce ne soit ma défiance, pour ne pas dire mon aversion pour l'excès de symbolisme, d'autant plus s'il est involontaire), et d'éventuelles malheureuses
seulement à cause de la proximité, comme s'il fallait délimiter une zone de quarantaine pour empêcher la propagation du mal. Et qu'importe si cela interrompt la continuité, si, à la lettre, cela
fait une tache et rend visible la ségrégation sur laquelle la continuité repose, en l'occultant complètement, seulement quand elle marche parfaitement, dans le paradis rêvé de l'uniformité. Tous
les autres graffiti sont épargnés, comme dans les meilleures traditions démocratiques, ou effacés comme à contrecoeur (semble-t-il) dans des moments de crise générale, quand sont rendues
nécessaires des prises de positions fortes et que l'on procède à un badigeonnage général de secteurs entiers du parcours souterrain. Sinon c'est le chaos!
Pourtant, même les mécanismes les plus parfaits laissent derrière eux de petites misères, selon
l'enseignement des mystiques tisserands islamiques (des gens qui en savent long), comme le montre la survivance déjà signalée de certaines inscriptions dans la rampe de sortie pour les handicapés
et sur une paire d'affiches plastifiées le long des quais du TER, ou dans les coins peu accessibles à la masse des voyageurs, réserves visuelles pour les micro-enclaves de maniaques: fétichistes de toutes sortes, dandys et oisifs, collectionneurs, chercheurs, élites... Omissions qui ont le
mérite de renvoyer à une des questions les plus intrigantes: celle sur l'auteur des effacements, et s'il s'agit du même qui effectue les corrections et les ratures partielles.
Avant de risquer des hypothèses à leur sujet, il convient de s'arrêter sur ces dernières et sur leur stratigraphie
complexe. Pourquoi c'est d'ici qu'a surgi et que s'est développé mon intérêt. C'est d'ici que sont nées les questions fondamentales. Le reste, c'est-à-dire la quantité de mots utilisés jusque là,
cette très longue introduction, épuisante, excessive, ce bouillon, sans elles ce ne sont que sottises, délires secondaires, plus-value, plaisirs ajoutés. Suppléments. Agréables, pour l'amour de
Dieu, mais rien de plus. Nous, nous ne sommes pas des poètes alexandrins. Nous allons au fait. La garniture, nous nous l'accordons après, en récompense. Ou consolation. (Nous, je veux dire
moi.)
Les ratures et les corrections portent principalement sur le prénom, le sexe, les caractéristiques, la
profession, les dimensions et le numéro de portable. C'est-à-dire sur tout. Ils n'épargnent rien. No prisoners. Leur acribie est
admirable. J'adore la précision et la ténacité (parce que j'en suis dépourvu). M'enchante (m'abrutit) cet art d'accepter la souffrance, de la supporter (parce que j'en regorge; mais dans une
forme inférieure: la patience).
Le prénom d'Angel Manuel, devient
Angela Manuela, puis Angelo
Manuele, le genre du masculin passe au féminin, puis à nouveau au masculin, avec une incursion dans les zones
intermédiaires (trans), aussi bien que les préférences sexuelles (de gigolo à pédé, ou encore à trans, avec bel agrandissement des
possibilités: c'est le minimum, dans la loi actuelle du marché) et par conséquent les bénéficiaires de l'offre (de femmes uniquement au plus large éventail constitué par les différentes caractérisations); les propriétés, ou les principales caractéristiques, subissent des baisses brutales (de super bien monté à 10cm, ou carrément 8, ce qui serait encore un trait quelque peu caractéristique, à sa manière) et les transformations (du pénis du gigolo en clito ou utérus, indifféremment, qui sait pourquoi; par contiguïté, j'imagine: le
postmoderne est le royaume de la métonymie); la mention du lieu aussi, on pourrait dire le certificat de provenance, ou l'appellation d'origine contrôlée, passe de la métropole
(Milan: ville pour laquelle la dénomination de métropole est très généreuse) à une de ses parties, explicite (vient du Paolo Pini, ce qui pour un Milanais veut dire « de l'hôpital psychiatrique », parfois avec l'explication: il est fou pour les non-Milanais et invitations pressantes à s'occuper de sa santé: soigne-toi le
cerveau, comme si l'interlocuteur pouvait se montrer réceptif à cette invitation; personnellement j'en doute: je connais mon monde!) ou implicite (un hôpital ou une
Azienda Sanitaria Locale: il est syphilitique).
Reste, enfin, le numéro de portable, qui est l'élément, au sein de chaque graffiti, qui a subi le plus grand
nombre d'interventions (suppression ou déformation des trois derniers numéros, des six derniers ou, plus rarement, de toute la séquence) et de reprises (j'en ai compté jusqu'à quatre), à leur
tour partiellement effacées ou déformées, mais souvent tranchant dans leur intégralité, jusqu'à la prochaine couche de peinture.
C'est la succession de ces versions qui me passionne, le conflit et le palimpseste infini; l'obstination des
adversaires, le lien indissoluble qui les lie: le corps à corps dans lequel on ne sait plus de qui c'est le corps; la prévisibilité des gestes, leur automatisme, qui néanmoins n'interrompt pas et
ne freine pas davantage les hostilités, et même les relance toujours plus, avec la réserve de pulsions créatrices cachées dans l'écrin des infimes variations... La singerie infinie!
Ce sont ses mystères, ceux liés à l'interprétation, au rêve dans le rêve dans le rêve qu'elle déchaîne, qui
m'entraînent dans leur gouffre, envahissent mon pauvre entendement, le séduisent et l'empoisonnent. Un néant! Un doux poison. Oh, sweet nuthin'!
Qui écrit? Qui efface? Le numéro de portable est-il vraiment le numéro de celui qui l'écrit en se
proposant comme maître d'oeuvre (maître d'oeuvre: quelle expression merveilleuse!)? Ou est-ce un ennemi (ou un ami particulièrement farceur) qui s'amuse à écrire et à effacer son numéro de
portable? Pourquoi supprime-t-il ou corrige-t-il seulement les derniers chiffres? Et comment inclure d'autres corrections et commentaires dans ce contexte? Est-il possible que
celui qui commente et celui qui corrige soient deux personnes différentes, et que les deux soient différents, de l'exécuteur du message d'origine, et des corrections aux corrections ou de
l'aventureux rétablissement de la version originale (j'ai failli écrire primitive, mais quand c'est trop c'est trop!). Et encore:
Si l'effaceur et le correcteur (et le commentateur) sont différents du premier écrivant (je ne me sens pas
autorisé à l'appeler auteur: j'ai encore une ombre de respect pour certains mots, moi), et parmi eux, qui ils sont, et dans quelles relations réciproques? Ou ils n'en ont pas d'autres que celles
créées par la superposition de leurs signes? Parce que l'un ressent le besoin, ou cède au caprice, de commenter et/ou effacer et/ou corriger quelque chose qui ne le regarde pas? Ou il
suffit que quelque chose soit écrit pour que quelqu'un croie que cela d'une certaine façon le regarde? De quelle façon, alors?
Ou suffit-il que quelqu'un lise pour que non seulement il se sente concerné, mais
qu'aussitôt il corrige ou complète ou commente, et alors autant que quelqu'un (quelqu'un, pas tous: pas moi par exemple, si quelqu'un est prêt à me croire) le fasse pour de vrai, c'est-à-dire en
laissant à son tour des traces écrites? Cela suffit-il à déchaîner les hostilités? Pourquoi? Et pourquoi autant, et aussi douloureusement (joueusement mais douloureusement) opiniâtres?
Ou bien s'agit-il dans chaque cas de la même personne? L'écriture semble, mais légèrement, différente. Alors un schizophrène? Un
qui change, peu ou prou, d'écriture selon le rôle qu'il joue (de la personnalité qui à ce moment l'emporte)? Ou c'est un qui endosse des personnalités différentes pour donner lieu à un scénario
(d'un goût douteux, laissez-moi ajouter)? Mais en faveur de qui, alors, ou contre qui? Un pervers qui fait ça pour plaire à d'autres pervers (pour les attirer), ou des lecteurs
passionnés ou des interprètes forcés, comme moi? (comme moi je joue à être maintenant: comme peut-être j'imagine que je suis maintenant, ou que je joue à être: maintenant quand?)
Et qui passe les couches de peintures? Est-ce le même ou change-t-il à chaque fois? Et comment les
passe-t-il? La forme et la taille des figures géométriques sont-elles uniquement dictées par la surface qu'occupent les inscriptions, ou faut-il y voir une intention esthétique, si faible
soit-elle, ou inconsciente, automatique? Ou s'agit-il de choix passagers, complètement dépourvus de motivation (en admettant qu'il y en ait), instinctifs, ça vient comme ça? Et puis un artiste,
d'une valeur encore en instance de jugement, ou un simple employé communal, ou des chemins de fer, ou de quelque entreprise chargée de nettoyer les murs ou de repeindre périodiquement ceci ou
cela, en particulier les lieux de passage les plus récents et les plus fréquentés, et avec un zèle particulier ceux des zones les plus riches ou touristiquement et commercialement les plus
rentables, et que le reste se débrouille comme il peut, s'il ne salissait pas ce serait mieux, pour salir autant il n'y a qu'eux, toujours
les mêmes, nous savons très bien qui? Mais pourquoi faut-il que ce soient toujours ces inscriptions dans les tunnels du TER, et pas d'autres, qui reçoivent ce traitement, et souvent le
seul?
Et si c'est un particulier qui efface, de sa propre initiative, qui est-il? Quand il arrive avec peinture et pinceau (avec un
long manche aussi, pour atteindre certains points), est-ce possible que personne ne dise rien? Est-ce que c'est un des effaceurs/commentateurs, ou le protoécrivant en personne, qui passe une
couche de peinture afin de pouvoir tout réécrire depuis le début avec clarté, sans équivoques?
Et encore: quelqu'un aura-t-il essayé d'appeler ou d'envoyer un sms (comme directement spécifié)? Qu'est-ce qui sera arrivé? La
réalité correspond-elle à tout ce qui était brandi (promis) par le texte? Dans quelle mesure (soit dit sans malice)? Dans quelle mesure la mesure compte-t-elle pour le chiamatore (toujours sans malice) éventuel ou réel? Y aura-t-il eu rendez-vous? Si oui, avec ou sans suite? Pour la déception ou pour la plus grande gloire de
l'unicum? La suite éventuelle, aura-t-elle été avec une seule personne, ou plus, et aura-t-elle pour effet la fin des inscriptions, et par conséquent de la saga, à la satisfaction de tous? De
tous? De moi aussi?
Ou y aura-t-il quand même une suite également à la saga: mais à quelles conditions dans ce cas? En cachette? Dans l'obscurité?
Dans l'obscurité est difficile, parce que le partenaire a vu pour appeler, il peut revenir voir après. Sauf s'il y a un changement de lieux où écrire les messages ou l'acquisition de nouveaux
numéros de téléphone, ou un changement ultérieur d'écriture (s'il ne s'est pas déjà produit). Mais dans ce cas, à qui ou à quoi l'attribuer? Reviendrait-on alors au niveau
d'interprétation de départ ou s'agirait-il d'un autre niveau? Etc. etc. etc. etc. Maudite curiosité! Le désir, la pulsion de connaître, de chercher à comprendre... quoi?
L'incompréhensible? Non. C'est-à-dire: aussi; mais pas ici. L'indécidable, quand je m'engage dans le tunnel...La philosophie...la métaphysique. Et à la sortie du tunnel voilà, aujourd'hui par
exemple, deux mariées chinoises en robe blanche, très longue, toute plissée, tenant chacune dans une main une corbeille de fleurs (et les fleuristes, où sont-ils? ce sont vraiment leurs épouses,
ou, est-ce que je sais, des modèles?)...tandis que les mariés (ou les frères? les témoins?) leur courent après dans leurs habits de cérémonie gris, la veste sombre, à queue de pie, les pantalons
plus clairs, se tiennent derrière mais ont du mal, mais parlent, s'agitent, et leur disent peut-être ou leur indiquent quelque chose, que je ne vois ni ne comprends, que je ne cherche pas non
plus à comprendre, tant et si bien que je détourne les yeux pour regarder là-haut, toujours plus haut, vers la pointe du tout nouveau gratte-ciel, que diable pouvait-elle signifier pour moi, je
l'ignore, et je ne m'en soucie pas non plus (mais elle signifie... bien sûr qu'elle signifie, et beaucoup!), encore avant qu'ils n'entrent, tous les
quatre, ou aussi avec quelqu'un d'autre qui attendait là ou qui s'est ajouté sur ces entrefaites, les mariées soulevant avec la main libre la traîne qui, de là, émet des reflets nacrés, dans un
palais au fond, sur la droite, ou tournent tous juste après, je ne sais pas, je ne distingue pas, et disparaissent pour toujours de ma vue, sans laisser de traces, comme une question, une série
de questions et je ne sais pas, je ne crois pas les avoir formulées un jour, ni les formuler jamais.
PS. On peut aussi sauter
(Aujourd'hui j'ai pris le train avec une demi-heure d'avance pour éviter la grève, et puis, comme il était rapide et que je
n'avais pas la clé du bureau, je me suis arrêté sur un banc du TER pour finir ce que j'avais commencé dans la voiture, à savoir repeindre ce texte, dont l'avant-dernière version a été écrite hier
soir. Puis j'ai emprunté assez content les différents tunnels et je suis sorti dans l'air glacé; à peine avais-je quitté la via Tazzoli pour la via Maroncelli, que j'ai
rencontré deux Chinois: un garçon qui portait un gros sac métallisé, comme en ont les photographes de profession, et un homme d'une quarantaine d'années, qui peinait sous le poids d'un grand
tableau bien encadré et protégé par un carreau de verre. À l'intérieur il y avait la photo d'une mariée. Une des deux sur qui j'avais écrit. Oui, arrivent les réponses aux
questions que tu n'as pas non plus formulées. Elles ne concernent que des bêtises, pourtant.)
Photos et texte de Luigi Grazioli. Traduit de l'italien par Denis Montebello