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8 janvier 2014 3 08 /01 /janvier /2014 07:01
Mosaïque au dauphin, calcaire taillé, époque gallo-romaine. Nancy, Palais des ducs de Lorraine -Musée lorrain.

Mosaïque au dauphin, calcaire taillé, époque gallo-romaine. Nancy, Palais des ducs de Lorraine -Musée lorrain.

Celui qui pêche au vif, qui le croit, ne se demande pas ce qu'il remonte, quel sandre et comment le cuisiner, si ce n'est pas, comme dirait Juliette, un de ces poissons morts que les Esprits de l'autre monde attachent à nos lignes, il lit.

Il cueille.

Ces vestiges antiques signalés par E. Olry sur la commune de Bralleville dès 1866.

Ces tesselles de mosaïque, ces fragments de décor en marbre au lieu-dit À-la-Bruxière.

Édouard Salin y effectue, en 1927, les premiers sondages de reconnaissance. Mais celui qui a la noble ambition d'être le « Déchelette des temps mérovingiens », s'intéresse davantage aux sépultures du haut moyen-âge, aux haches, scramasaxes, et à la fameuse épée longue dont il n'a de cesse de nous révéler les secrets de fabrication.

En 1995, de nouvelles recherches archéologiques sont menées par Nadine Béague-Tahon et Eric Morand, à l'occasion d'une opération de remembrement agricole.

C'est là que fut découverte la mosaïque au dauphin: elle est exposée au Musée lorrain à Nancy.

Il écrit. Dans un genre proche de la description de tableau, mais c'est une scène en mouvement. Une alliance du mouvement, avec ce dauphin bondissant, et de l'immobilité, avec cet assemblage de pierre. Du liquide et du solide. L'ivresse de la découverte et de la possession. Des idées de fraîcheur et de fertilité. Tout cela vous traverse quand vous allez vous étendre sur le lit de banquet, afin de jouir de tous les plaisirs qu'offre l'instant qui passe. Qui passe comme ce dauphin envolé de quel thiase marin, escortant quel triomphe de Vénus. Vous vous demandez, quand vous voyez cette cabriole qu'il est à lui seul, et pour le seul plaisir de l'hôte qu'il accueille. Dans ce qui fut une salle thermale. Dans cette image que les archéologues patiemment reconstituent, tesselle après tesselle. Dans quel mythe on est, vous vous demandez. Il y a peu de chance que l'ensemble soit porté à votre compréhension, qu'un Amour ailé arrive pour le monter, que Palémon, le petit aurige, consente à le conduire. À guider vos pas, vos regards. Vous vous demandez si c'est un mythe devenu décoration, et d'abord si c'est bien un dauphin. Ou ce silure qui est le dauphin des rivières, la Baleine du Madon. Le pied déchaussé hésite, comme hésite l'oeil: il cherche à prolonger la scène, à comprendre dans quel tapis elle s'insère.

Vous vous demandez si ce dauphin n'est là que pour vous enchanter. Pour vous accueillir comme il accueille Dionysos dans la légende. Dionysos et les pirates, voici comment on la raconte. Apollodore. « Pour se rendre par mer d'Icaria à Naxos, Dionysos paya sa place sur un navire de pirates tyrrhéniens. Ils le firent monter à bord, mais, après avoir dépassé Naxos sans y mouiller, ils firent voile vers l'Asie dans l'intention de le vendre comme esclave. Dionysos, alors, transforma en serpents les mâts et les rames, remplit la coque de branches de lierre et fit résonner les flûtes. Les pirates perdirent la raison, se précipitèrent dans les flots, et devinrent des dauphins. »

La légende a tissé des liens entre les enfances de Dionysos, les nymphes ses nourrices et les Néréides qui accueillent l'enfant fugitif, entre sa première traversée et les dauphins secourables aux hommes.

On voit, sur d'autres mosaïques, les Néréides environnées de multiples Amours qui leur apportent des roses, qui montent des dauphins ou voguant sur des esquifs, pêchant.

On voit aussi Arion. Le poète lyrique de Méthymne. Si Orphée est dans les forêts, on représente Arion au milieu des dauphins. Revenant de Tarente, il faillit être assassiné par les matelots, que tentaient ses richesses. Ayant obtenu la permission de toucher encore une fois de la lyre, il attira par ses accords un dauphin, qui le reçut lorsqu'il se fut précipité à la mer, et le reconduisit dans sa patrie.

Un autre Arion (ou le même) est un cheval que Neptune fit sortir de terre d'un coup de son trident: il fut nourri par les Néréides (comme Dionysos enfant) et donné à Adraste.

Il avait le don de la parole.

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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 09:01

Barbe a un frère, Johannes Hugo dit Bralleville.

Arrêtons-nous à ce surnom, à ce village dont peut-être il venait, et où mes parents avaient eu la drôle d'idée d'acheter une maison. Ils l'avaient achetée à un Poirot, au Mémé Poirot comme ils l'appelaient, ou bien sur ses conseils, car il était du village. Même s'il travaillait à la ville et avec ma mère. Au Génie Rural ou occasionnellement (pour une adduction d'eau par exemple).

C'était selon lui une bonne affaire, un investissement. Certes, ils ne seraient pas les rois du pétrole, mais on parlait de gisements au pied de la colline de Sion. Du côté de Praye, de Forcelles-Saint-Gorgon. Ce serait, à ce prix, une plus-value garantie et, en attendant, une maison où il ferait bon se retrouver, l'été, pour un repas, où les enfants avec leurs enfants, quand ils en auraient, aimeraient passer les vacances. Mon père ne pêchait pas, mais nous lui avions acheté une canne à pêche, et il se voyait déjà installé au bord du Madon, sous le pont ou en face du Moulin, écoutant patiemment les vannes, surveillant sa ligne (ce qui pour un journaliste qui écrivait encore à la main et habitué au beau style serait chose facile), racontant, en savourant sa friture, sa pêche miraculeuse, décrivant l'ablette, le gardon, expliquant la différence entre la pêche au vif et celle au mort posé. Il y prendrait autant de plaisir qu'à suivre les courses cyclistes ou l'équipe fanion dans ses déplacements, et ça ne serait pas plus compliqué que des Boutons d'or retrouvant le chemin des filets.

La réalité fut tout autre. Le jardin ne lui laissait aucun répit, et il n'y alla jamais que pour tailler et tondre, et bêcher, et s'esquinter.

Mes parents l'ont donc revendue à d'autres Poirot qui l'ont quittée après en avoir fait un vrai palais, selon ma mère qui y fut reçue une ou deux fois, après la mort de mon père et avant que ces nouveaux Poirot ne la revendent pour s'en aller vivre ailleurs, dans un village voisin. Où il s'impliqua dans la politique locale, une façon comme une autre d'occuper sa retraite, et où il se cassa les dents. Et où elle continua de s'ennuyer. Car c'est difficile pour des citadins, dit ma mère, elle-même n'ayant jamais vraiment apprécié « la ferme », et rappelant volontiers, au cas où on l'aurait oublié, que mon père y allait en maugréant, vers la fin, et maudissant les orties, qu'il n'y avait rien fait d'autre que trimer. Le jardin, c'est joli, c'est gentil, mais ça ne se fait pas tout seul. On ne connaît pas en Lorraine l'expression « pousser de peur ». Ce qui pousse, qui veut bien pousser, est forcément le fruit d'un dur labeur. Synonyme de mal de dos, d'ampoules, et même d'une jambe cassée.

Arrêtons-nous quand même à Bralleville.

À-la-Bruxière. Autant dire à la brosse, la brousse, la broussaille. Ce qui reste sur la carte (IGN) comme sur le terrain de la buxaie de Bralleville. De la belle villa qu'il y avait là. Sur cet éperon si l'on cherche plus haut, dans le patois des Leuques, car vous êtes ici, malgré la mosaïque accueillante, les marbres rares, les buis bien taillés, dans la Gaule chevelue. Dans des arbustes épineux qui sont aubépines, églantines, prunelles attendant le gel et « ceux qui mesurent les champs», géomètres et arpenteurs mais arrivés trop tard pour la cadastration, pour centurier un territoire qui de toute façon n'était pas colonial, donc pas assujetti au tribut, ou trop tôt, le prochain remembrement n'aura lieu qu'en 1995.

L'image est anachronique. Comme toute image. Mais nous n'y sommes pas encore. Nous n'y sommes plus. Dans cette luxueuse villa surplombant le Madon. Adossée aujourd'hui à un bois hébergeant un peuplement de buis, au lieu-dit: À-la-Bruxière.

D’autres endroits supportant des stations de buis se nomment Palmbusch ou Palmberg, et c'est en Lorraine thioise, au Luxembourg ou en Allemagne. La preuve (par les pollens aussi) que le buis a été introduit à l'époque romaine en même temps que le noyer. Et la vigne. Ce que confirme le fragment de sigillée ramassé tout près, un amour vendangeur. Un chérubin ailé avant la lettre et remplissant sa hotte de raisin. Votre panier. Si vous allez glanant les fossiles. Et que les étoiles de Sion ne vous inspirent pas. L'horrible fanal sur sa colline (une lanterne des morts édifiée en 1928 sur le modèle de celle de Fenioux). Il y a de belles moissons à faire. De tessons, de la céramique, comme disent les spécialistes, sigillée, grise, gallo-belge, ou noire, de la fameuse terra nigra, des morceaux de tuiles (tegulae et imbrices), ou de marbres (blanc, de Carrare, ou rose de Bourgogne ou cipolin des Alpes), des tesselles. C'est cette profusion de fragments dans les champs qui attira l'oeil du curieux. Puis des archéologues. Il y avait là une superbe villa à reconstituer. Un roman à écrire. Les détectoristes qu'il vous arrive de croiser savent de quoi vous parlez. De quels potins au sanglier et à la tête d'indien. Et combien vous les détestez, eux et leur poêle à frire. Tous ces trolls qui traînent sur le Net. Qui rappliquent au moindre fait divers. Qui sont du côté des victimes. Surtout quand ce sont de « vrais Français ». Vous leur préférerez toujours ces couarails entre femmes, entre fusaïole et peson, et en latin vulgaire. La file qui est un fil, une enfilade, qu'importe qu'on soit deux ou trois, toujours les mêmes et cousinant avec des fantômes, et nous raccrochant aux branches de l'arbre des « cousins Hugo », un arbre qui est un poirier, un espalier de façade.

Il n'y a pas loin de la buxaie à-la-Bruxière, qu'une vingtaine de siècles que le poète franchit allègrement avec les pieds de ses vers, comme il franchit les rivières, le Madon par exemple, il coule en bas, pas pressé de rejoindre la Moselle, et l'on y voit passer, comme dans une idylle d'Ausone, le « troupeau qui porte écaille ». On chercherait en vain la bergère. La Naïade habitant ces bords. Mais il se trouvera bien sur la berge un pêcheur pour vous décrire les légions qui nagent dans le sein transparent de la petite rivière, un Mémé Poirot pour vous donner le nom de ce combattant méfiant, le chevesne. Pour vous montrer le sandre, un prédateur. Le brochet, un trophée de rêve. Le gardon, le plus répandu de nos poissons. Le goujon, témoin de la qualité de l'eau. La brème commune, l'ablette, un joli petit poisson, l'anguille, grande voyageuse. Et le dauphin secourable. Oui, vous avez bien entendu, il a dit dauphin, le Mémé, et il vous le répète si vous le lui demandez. Il ne saurait confondre. Avec le silure. Il pêche aux leurres depuis si longtemps et il n'est pas homme à se faire exploser par quelque chose d'énorme dans un trou de 5-6 m d'eau. À se demander si le silure est présent. Habitué des rivières de deuxième catégorie, il trouve celle-ci vraiment passionnante, les postes sont variés et les carnassiers y sont redoutables de méfiance et de combativité. Le Madon est une belle rivière. Pleine de surprise et qui se mérite. Il a entendu dire que les gens de la société de Mirecourt ont tenté d'en introduire plusieurs années de suite ainsi que du sandre, ça date d'au moins dix ans voire plus. Il y a des silures, ça c'est sûr, mais ils ont du mal à se faire remarquer sauf quand ils vous démontent votre ligne à brochet, vous déroulent tout le moulinet jusqu'à la casse du fil et finissent dans le journal.

Il y a un retraité à Xirocourt qui donne du pain à un silure derrière chez lui depuis plusieurs années et ça c'est certain, il mesure un peu plus d'un mètre, quand on lui balance du pain il vient le chercher, l'endroit où vit ce silure est en aval d'une sortie d'eaux usées. Il y a aussi une rumeur sur un silure d'1m40 qui aurait été pris à Mirecourt derrière la station d'épuration. Il faudrait peut-être essayer de mettre des lignes avec de gros vifs dans le Madon.

De mettre en vers, ça votre aède ne s'y risque pas Tout ce qu'il peut faire, c'est chanter le Madon, une belle rivière, c'est clair, mais depuis une quinzaine d'années ça a bien changé, les cormorans ont fait de gros dégâts, quasiment plus de nénuphars et les barrages laissés à l'abandon qui ont des brèches énormes, à Bralleville et Xirocourt avant on prenait plein de poissons dans les coulants en aval de ces barrages, aujourd'hui les coulants sont à sec ou presque du coup on prend moins.

Il vous dit.

On prend plus que des poètes. Il vous dit aussi. Des évaltonnés de votre espèce. On pêche au mort posé. Un dauphin de deux mètres. La Baleine du Madon. Et vous, vous gobez ça.

Johannes Hugo dit Bralleville
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21 décembre 2013 6 21 /12 /décembre /2013 14:29

Des rites d'endormissement, on en a tous. Ils remontent le plus souvent à l'enfance, et chacun a sa méthode. Qu'il a développée avec ses parents, ou seul, s'il n'a pas eu cette chance. Qu'on lui raconte des histoires. Les siennes, il les a inventées. Elles ont fait de lui un archéologue. Un homme de terrain. Qui n'a pas son pareil pour lire le sol. Pour cueillir les traces. Dans les jardins, les fossés. Ces dépressions circulaires ne sont pas des ronds de sorcières: il n'y a pas de champignons. Ce ne sont pas non plus, bien qu'ils naissent avec leur taille adulte, des cercles de fées. C'est la marque dans l'herbe d'un puits. D'une cheminée d'accès. Dont la fonction était d’aménager et d’entretenir l'important réseau souterrain de galeries qui convergeaient avec les eaux de surface vers le centre de l'agglomération gallo-romaine, vers la résurgence. La mare sacrée. Un plan d'eau rapidement remblayé sur lequel on a construit l'église.

Cette ville n'est pas Isaura. Comme on pourrait le croire si on a lu Les villes invisibles. Si on se souvient qu'elle est étrangement située dans la série Les villes effilées, « un groupe de villes abstraites, aériennes ». Qu'elle « s'est élevée présume-t-on sur un profond lac souterrain. » Isaura est une des villes invisibles que décrit dans son livre Italo Calvino. J'allais dire dans son rêve. Mais c'est d'abord celui de Marco Polo. Celui qu'il raconte à Kublai Khan, empereur des Tartares. Un rêve dont il n'est pas sorti, s'il y est jamais entré. Un rêve dont on ne se réveille pas, même pour l'écrire.

Isaura est un rêve qui vous écrit, qui n'en finit pas de vous écrire, tandis qu'ici, et chaque soir, il faut se donner la peine de chercher ses tablettes. Dans le puits où elles sont tombées. Dans un des mille puits de Grand, puisque c'est ainsi que le village s'appelle. Aujourd'hui situé dans le département des Vosges, aux confins de la Lorraine et de la Champagne, Grand occupe le centre d'une clairière du plateau boisé, et son nom rappelle celui de Grannos, le dieu guérisseur qu'on venait de partout consulter, et que les Romains assimilèrent à Apollon. Pour qui ils firent cette ville. Qui abritait « le plus beau temple du monde ». Entendez le sanctuaire. Et toutes les voix qu'il convoque. Qu'il fait résonner. Dans le bois sacré, les temples, ou bien l'amphithéâtre. Grâce au rempart qui suit le parcours des eaux souterraines, qui conduit au miracle, qui fait qu'il se répète pour chaque pèlerin, si humble soit-il. Celui-là, une statuette en terre blanche de l'Allier nous le montre vêtu du cucullus gaulois et dans l'attitude de l'adoration. Et c'est encore lui dans un détail de la mosaïque, le seul qui subsiste de l'emblema, avec son bâton (si ce n'est pas un berger de comédie, d'une comédie de Ménandre) et demandant audience à un prêtre, à l'entrée du portique du sanctuaire. Il veut entendre la réponse d'Apollon Grannus à ses questions, savoir quelle décision prendre, quelle direction, et si ses jambes le porteront ou se remettront un jour à marcher. Ses yeux à voir. S'il n'a pas fait tout ce chemin pour rien.

Grand, comme un écho affaibli de Grannus. Sa trace visible, non sur la carte, car c'est sous le nom d'Andesina que la ville apparaît, sur la fameuse Table de Peutinger (le dernier état, établi au Xe siècle, de copies successives d'un itinéraire routier de l'Empire romain), mais sur le sol. Dans l'herbe, et c'est la marque d'un puits. La présence d'une cheminée d'accès.

Andesina. Ce nom fait remonter très haut dans le temps. Très loin sous la terre. Comme l'eau qu'on voit dans la vignette. Disparaître sous un bâtiment rectangulaire, caractéristique des grandes stations balnéaires antiques (de toutes celles qui sont représentées sur cette partie de la Table de Peutinger, c'est même la plus grande), à moins qu'elle n'en sorte, que ce ne soit la source de l'Ornain. Une rivière souterraine apparaît (ande c'est « dessous », chez les Gaulois, « en bas », c'est là qu'ils situent les enfers): une résurgence. Et les Romains avec leurs travaux ont rendu possible et permanent le miracle. Et les chrétiens, bien qu'ils aient bâti sur la mare, ne l'empêchent pas. Ils l'attribuent seulement, et toutes les guérisons qui vont avec, à sainte Libaire. Une bergère qui entendit des voix (Domrémy est tout près), qui les écouta. Elles lui commandaient de détruire les idoles. Elle frappa donc, avec sa quenouille, la statue en or d'Apollon, et la brisa en menus morceaux.

L'eau de la résurgence du sanctuaire, après une brève apparition devant l'église, s'engouffre au niveau du choeur dans une diaclase. Et Grand, en dépit de son nom, est un petit village. Malgré son amphithéâtre (un des plus grands du monde romain) et sa mosaïque (une des plus vastes). Et malgré ses mille puits.

Ceux qui ont été découverts et fouillés ont révélé un abondant matériel céramique et de verrerie, mais aussi des restes végétaux très bien préservés et qui sont de véritables archives paléo-environnementales. La nappe phréatique élevée dans ces puits, les sédiments humides et bien compactés, et le manque d'oxygène ont favorisé leur bonne conservation.

Dans un puits, normalement, on descend son seau. Un boisseau. Formé d'une mince feuille de bois montée sur un socle croisillonné. Moi c'est mon panier, mon panier en osier, et j'en remonte, outre des tessons de sigillées ou des objets en métaux et en verre, des tablettes astrologiques en ivoire, toutes sortes de pépins et noyaux, et une grande variété de semences. De quoi ensemencer mes futurs textes.

Dans l'impossibilité où je suis d'explorer ces galeries (ce que j'ai fait pourtant un été avec Cécile: nous avions fière allure avec nos casques de spéléologues), et incapable d'attendre la visite qu'on nous promet, avec l'aide des outils numériques, je descends comme chaque soir dans mon puits. Et c'est chaque soir un nouveau puits. Que je découvre. Que je fouille. Au réveil, comme si ma pensée avait suivi le trajet souterrain de l'eau, je ressens le besoin d'écrire sur Isaura, la ville aux mille puits. Ou plutôt, c'est cette idée, miraculeusement surgie, qui me réveille. Ce voyage sous la ville devenue invisible, avec le nom des rues (souvenir d'Épinal, de la Cité des Images, comme disait mon père quand il racontait les exploits de l'équipe fanion), leur nom ancien et il arrive que la rue n'existe plus. Ou dans le métro, où l'on descendrait à Mosaïque ou à Amphithéâtre, où l'on verrait défiler, comme autant de stations, des monuments disparus (Portique, Temples, Thermes).

Voilà les histoires que je me raconte. Que j'invente, pour parler comme les archéologues. Ce qui m'aide à descendre et m'empêche de tomber. Et qui me tire du lit. Car mon texte m'est apparu. En rêve. Et j'ai reçu l'ordre de l'écrire. Pendant l'incubation. Un rituel auquel je me soumets chaque soir, comme n'importe quel pèlerin. Je me lève pour le coucher sur le papier. Ce texte qui est sorti tout écrit. Parfaitement achevé. Étincelant. Comme une statue en or d'Apollon. Évident. Comme un miracle quand il se produit sur la place de l'église à Grand. Juste avant que l'eau ne disparaisse sous le choeur ou l'abside. Me laissant seul, et sans inspiration, devant ma feuille.

 

La ville aux mille puits
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9 novembre 2013 6 09 /11 /novembre /2013 12:41

TAP

À ceux qui pensent qu'on se tape un TAP comme on se mange une claque, que la seule différence réside dans l'accusatif d'objet interne, et que ces jeux étymologiques n'amusent plus personne, je réponds qu'ils ne l'ont pas goûté. Même pas des yeux. Ils n'ont pas vu ce moellon, cette brique inscrite, parce que ce n'était pas inventé. Parce qu'un archéologue ne l'avait pas inventé. Parce qu'il avait d'autres millefeuilles en tête, d'autres sols à lire, l'obligation d'accéder à d'autres niveaux avant que les pelleteuses n'entrent en scène. Alors ces strates dans lesquelles le couteau s'enfoncerait, quand son hôte découperait le gâteau d'anniversaire, franchement, ça n'intéressait pas sa truelle, ni ses pinceaux. Il avait un chantier à finir. Celui du théâtre. Du futur Théâtre & Auditorium de Poitiers. Le TAP, comme diraient les abonnés.

Ou les clients de Lafond. C'est écrit sur la boîte. Claude Lafond Boutique. Inscrit sur la brique. Dans le chocolat. C'est une petite médaille en chocolat, de l'épaisseur d'une hostie. Pour ceux qui communient. Et pour les archéologues. Les fouilles leur ont ouvert l'appétit (l'archéologie, ça creuse!). S'ils vont jusque là, rue des Vieilles Boucheries ou bien rue Carnot, ils verront leur persévérance, leurs efforts récompensés. Quand ils découvriront ce moellon, cette brique d'un beau jaune qu'ils auront du mal au début à qualifier autrement. Quel est ce jaune qui est aussi celui du bâtiment qui occupe leur chantier, qui a pris la place des vestiges que leurs truelles et leurs pinceaux ont nettoyés? Jaune d'or? Bouton d'or? Safran? Cobalt? Chrome? Soufre? Jaune décrié? Ce jaune tant décrié par ceux qui ont décidé que la couleur de Poitiers était le gris. De toute éternité. Et que les fortunes honnêtes doivent se cacher. Qu'il ne faut pas tenter le diable. Le laisser nous tenter. Ceux-là, il est évident qu'ils n'ont jamais dégusté, qu'ils ne dégusteront jamais un TAP. Ils ne connaîtront pas le plaisir du voyage. La voie lactée du chocolat. Ces périodes d'intense douceur, puis de citrons confits. Qu'on dirait par contraste d'oranges amères. Ils n'avanceront pas de plus en plus lentement dans les âges. Ils ne remonteront pas le temps jusqu'au croustillant praliné qui est au fond, tout au fond, la Révolution promise: la « solution de tout rêve ».

TAP. Photos Marc Deneyer. Photos et texte à paraître dans L'Actualité n°103.

TAP. Photos Marc Deneyer. Photos et texte à paraître dans L'Actualité n°103.

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4 octobre 2013 5 04 /10 /octobre /2013 14:28

Quelle lame de fond les a produits, ces couteaux, on l'ignore. Mais on sait pourquoi on a les yeux qui brillent, à peine on les évoque. Pourquoi ils brillent longtemps, si longtemps après qu'on a réglé l'addition -pas trop salée, on peut remercier Les Flots et conseiller son menu Retour de pêche.

Les couteliers (c'est ainsi qu'on les appelle à l'époque) ont leur place dans les cabinets de curiosités, leur page dans cette histoire naturelle d'Elie Richard dont le manuscrit est conservé à la médiathèque de La Rochelle. Avec les dails.

Dails et couteliers naviguent de conserve. Ils viennent des mêmes rivages, brillent de la même lumière, de cette lumière qui fascine tant les Lumières. On les regarde, dans ce manuscrit, comme des « phosfores naturels, puisqu'ils sont lumineux et jettent une clarté tres vive pendant la nuit. » Et après on regarde, même si on ne les a touchés que des yeux, ses mains et son visage. Machinalement. Et on est surpris. Même averti du Secret. Et bien qu'on en ait vu d'autres. Les huîtres, les anchois, le bois pourri. Ils n'ont pas cette clarté. Une lueur aussi vive. Ou il leur faut acquérir un degré de corruption.

Ceux qui les mangent, aujourd'hui, ne sont plus des pauvres gens. Les couteaux s'invitent à la table des grands. Chez Le Divellec, et maintenant Coutanceau. Quant au dail, il a eu son heure de gloire, et il aurait eu son chantre si Jean Lestideau (1) avait soudé les mots aussi bien que l'inox.

On voit là qu'ils ne sont pas du même métal.

Ou, pour le dire moins brutalement, qu'ils ne partent pas avec les mêmes chances.

Ou encore, si le bruit vous effraie, si vous craignez de les faire rentrer dans leur trou en ne les tirant pas sur-le-champ, qu'ils ne jouent pas dans la même catégorie.

En effet, tandis que le dail « nait et croist dans la substance mesme du roc », le coutelier « se trouve l'esté dans le sable a quelques pieds de bas et toujours scitué perpendiculairement ». C'est à cela qu'on reconnaît sa place, à ce petit trou qui paraît sur le sable. On arrose d'un peu de sel, « et aussitost ce poisson sort a demi hors du trou, comme pour manger ce sel ou se resjouir du retour de la marée (...). »

En outre, il suffit de comparer leur chair, qu'ils ont l'un et l'autre coriace, pour constater que le couteau, en dépit de son nom, est plus facile à digérer. C'est dur à avaler, surtout pour Victorinox qui se voyait vainqueur, et pour quelques siècles, depuis qu'il avait absorbé Wenger, le célèbre coutelier jurassien.

C'est dur aussi pour vous, car la Suisse est loin, et vous ne l'êtes pas moins, qui aviez dès le départ un peu de mal à suivre. Et qui n'écoutez plus, qui regardez votre montre, tandis qu'on attaque le gruyère.

 

 

 

(1) Évoqué par Mireille Riffaud, quand elle parle du cul-de-mulet (Assimilé oursin et La Repentie), présenté comme le meilleur soudeur de la SCAN (la Société de Construction Aéronavale), capable de tout souder, tout ce que les autres ne pouvaient pas souder, l''inox, et grand pêcheur, grand amateur de dails, on le trouve aussi dans le texte que j'ai consacré aux dails.

Texte et photos à paraître dans L'Actualité n°102.

Manuscrit d'Élie Richard (1672-1720), Histoire naturelle des animaux, des végétaux, et des minéraux (1700), conservé à La Rochelle, à la médiathèque Michel-Crépeau (ms 2715). Photographie Christian Vignaud / Musées de Poitiers.

Manuscrit d'Élie Richard (1672-1720), Histoire naturelle des animaux, des végétaux, et des minéraux (1700), conservé à La Rochelle, à la médiathèque Michel-Crépeau (ms 2715). Photographie Christian Vignaud / Musées de Poitiers.

Les couteaux, par Glen Baxter.

Les couteaux, par Glen Baxter.

Marc Deneyer, couteau.

Marc Deneyer, couteau.

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19 septembre 2013 4 19 /09 /septembre /2013 14:58

Ce soir, disait Bart, au moment de regagner sa cellule, je dîne avec moi-même.

Bart venait avec quelques autres, pas toujours les mêmes, pas forcément entravés, de la citadelle. De cette partie de la prison installée depuis les années 1700 à Saint-Martin, dans l'île de Ré. Du pénitencier qui est aujourd'hui une maison centrale accueillant des détenus. Des détenus de longue peine. Et, chaque mercredi, l'intervenant. L'intervenant extérieur. Il sonne pour entrer. Crie gentiment son nom, le pourquoi de sa visite: l'atelier d'écriture. Les fouilles auxquelles il se soumet bien volontiers ne font pas de lui un archéologue. Ni les traces qu'il aimerait tant réunir en recueil, s'il y a de l'argent. Mais l'argent promis ne sera pas là. Le recueil ne verra jamais le jour. Vous partirez avec votre promesse non tenue, et Bart restera avec son bonjour. Un bonjour aux arbres: ce sera le titre de votre prochaine pièce. Une pièce radiophonique qu'il écoutera. Qu'il entendra comme un ultime pied de nez. Comme ces regrets éternels qu'on dépose, en regardant discrètement ses messages, en envoyant un dernier SMS, sur la tombe de l'être cher. Des fleurs artificielles.

Ce soir vous dînerez seul. Au restaurant. Et vous penserez à Bart qui n'était pas dans son assiette, lui non plus, mais il sera dans la vôtre. Avec sa cellule où il vous avait invité. Pour vous montrer ses sculptures. Des boîtes de camembert dont il tirait de superbes vues. Des paysages avec un bateau. Un morceau de mer avec des mouettes. Un jardin pour les tourne-à-gauche. La cellule ne fait pas le moine. La solitude continuée n'adoucit pas. C'est ça qu'il disait, Bart, qu'il voulait dire. Et que vous tenterez d'expliquer, ce soir, au gamelleur. Quand il viendra taper à votre porte. Et qu'il vous tendra la carte. J'avais demandé le menu, un Retour de mer, et vous me donnez la carte, c'est n'importe quoi. Mais il n'a pas l'air de saisir, ou il n'en tient pas compte, car au lieu des couteaux que vous avez commandés, qui étaient dans le menu, et au risque de transformer Les Flots en cabinet de curiosités, il vous apporte votre

Pomme de mer (elle vient d'Australie) avec son poil.

Suivie d'une

Maschoüere d’Elefant servie avec plu­sieurs de ses dents.

Et en dessert, Monsieur a très bon goût,

Deux petits Coli­bris par­fai­te­ment beaux avec leur niq ; piece tres-rare.

 

 

Photos Jean-Luc Terradillos

Photos Jean-Luc Terradillos

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17 septembre 2013 2 17 /09 /septembre /2013 07:33

 

Comme les jours derniers, il n'y a pas foule sur la file. Nous sommes toujours les mêmes à être présents. Les autres ont de bonnes excuses et on leur pardonne, ils nous reviendront sous peu et nous serons contents de les retrouver.

Bonjour à tous, ils diront, je reviens vers vous après une longue absence. Tous, ce sont les « cousins Hugo », les descendants de Johannes Hugo dit Bralleville, « le plus lointain ancêtre connu avec certitude du poète », et celui qui parle s'appelle, se fait appeler Demenge.

Demenge, s'il vous dit qu'un vilain virus lui a grillé son disque dur, vous n'allez pas chercher la petite bête, faire votre Juliette, Juliette si prompte, avec le peu de sympathie qu'on lui connaît pour les tables cancanières, le peu d'affinité avec les esprits, à détecter, à dénoncer les supercheries, Juliette Drouet, même elle, l'admettra. Elle servira à d'autres son ironie, sa fameuse friture du Madon. Pas avare de qualificatifs envers cette rivière, elle en décrira les verts rivages, l'onde limpide, la troupe azurée. L'impressionnant cortège. Elle ne choisira pas entre plusieurs formules, elle ne préférera pas la variation des épithètes à leur répétition, toujours à la fin il y aura le dauphin. Le dauphin secourable, et elle n'a pas lu le poème d'Ausone. Elle l'aurait lu, elle aurait vu passer « l'énorme Silure », elle ne l'aurait pas regardé comme « le Dauphin des rivières ». Elle n'aurait pas considéré que cette douce Baleine était un honneur de plus pour cette petite rivière, elle l'aurait prise et relâchée dans le Madon. Puis elle aurait lancé, à ceux qui pêchent les poissons morts que les Esprits de l'autre monde attachent à leurs lignes, au premier rang desquels on reconnaît son ami Toto :

« Sur ce, je vous cogne mes plus tendres sentiments. »

Barbe, c'est autre chose, elle vient pour vous rappeler ça, que la file est un fil, que la mort l'a coupé. Mme Victor Hugo qui dès le début a décidé de croire ne juge pas nécessaire d'ajouter la moindre nuance à ces paroles tranchantes. C'est la mort, c'est entendu. Elle a interrompu le couarail. Le forum où on était deux ou trois, toujours les mêmes, à venir avec le soir, à la belle saison, à deviser sur le banc de pierre posé sur le tour de volet, devant la façade où le poirier faisait ses poires et un peu de fraîcheur. Où on commentait l'actualité du village en écossant des pois, en dénoyautant les mirabelles, en tricotant ou ravaudant quelque vieille légende. Réparer, repriser, on sait. Vous savez. Et que votre arbre généalogique, s'il doit ressembler à quelque chose, c'est à cet espalier adossé au mur de la façade. Écoutez Barbe. Écoutez-la, elle vous dit. Depuis le temps. Des siècles, qu'elle l'attendait. Ce baptême. Demenge, ça lui aura coûté 300 euros. Elle, c'est grâce aux endimanchés, c'est ainsi qu'elle appelle ces Américains qui l'ont appelée. Barbe, ils l'ont appelée, sans savoir qui portait ça, ce prénom, car c'est un prénom, c'était même un prénom à la mode, mais ils ne peuvent pas savoir si c'est un homme qui répondra ou bien une femme, et de quelle région du ciel. De quel canton. De quelle paroisse et comment prononcer. Hergugney, il se peut qu'ils confondent avec Gugney-aux-Aulx où il y a aussi des Hugo. Je tiens quand même à les féliciter pour leur colossal travail d'archivage, elle ajoute, à les remercier pour leur disponibilité. Grâce à eux, les cousins Hugo ont pu consulter gratuitement les microfilms et retrouver leurs lointains ancêtres, leur offrir ce baptême pour les morts qui n'est pas, n'en déplaise aux sectaires, le baptême des morts. On ne déterre pas les morts pour les baptiser. D'abord ce n'est pas une obligation mais conseillé. Et puis les morts ont leur mot à dire, les morts montés au ciel, quelle que soit la paroisse, quel que soit le cloud où ils se trouvent, où vous les trouvez, ils sont libres d'accepter ou pas ce baptême que les vivants tant d'années après leur offrent. C'est ce qu'on appelle le libre arbitre. Moi j'ai accepté, et je ne le regrette pas. C'est un travail phénoménal qu'ils accomplissent. Nos missionnaires. Avec leur chemise blanche et leur gentille cravate. Nous ne le répéterons jamais assez. Grâce à eux, c'est reparti.

Et ils repartiront. À demain, ils diront, aux gardiens de la file et à ceux qui ne sont pas là mais qui peut-être les liront. Comme ça. C'est comme ça qu'on s'exprime dans les forums et tant pis si demain c'est dans six mois. Tant pis si la file est d'abord un fil, un fil de discussion, l'important est de ne pas le perdre, et que dans six mois il revienne, le Demenge ou la Barbe, qu'ils disent bonjour la file, et merci Marie Anne pour ces renseignements. Et que Marie Anne leur réponde. C'est sympa de partager ma « joie », elle leur répondra, des larmes dans la voix, je vous avoue que ma famille est très peu intéressée par mes travaux de généalogie, qu'on me regarderait presque comme une évaltonnée, alors je suis heureuse de partager mes découvertes. Que Johannes Hugo dit Bralleville a eu une soeur, Barbe, mariée à Claude Haroux, et que je descends de ce couple par ma grand-mère maternelle. Partie des Vosges, elle passera par la Meurthe-et-Moselle et finira dans la Somme.

Bonjour Marie Anne, et bravo pour ton apparenté avec Victor Hugo. C'est Libaire qui parle. Ainsi parle-t-elle, de cette belle découverte en généalogie et bien agréable. Quand on est un passionné en la matière. Je suis un peu comme toi, Marie Anne, mais moi c'est avec Paul Claudel que je suis apparentée, par mes deux grands-parents qui étaient cousins, leur branche commune est liée à celle de l'écrivain. Mais j'ai d'autres cousins célèbres par alliance, et même un cousin martyr dévoré par la Bête du Gévaudan!

Que cette Barbe Hugo née en 1620 et morte en 1693 à Praye, un village-rue comme il y en a des centaines en Lorraine, soit l'humble ancêtre du grand écrivain, cela détruit la légende entretenue par Victor, colportée par lui d'une noble origine, et tellement germanique. On ne descend pas avec elle d'un burg, de ces «formidables barons du Rhin, produits robustes d'une nature âpre et farouche, nichés dans les basaltes et les bruyères (...) », on vient d'un trou, et pas du tout crénelé, du Xaintois, d'une famille de laboureurs où il y a aussi un tailleur d'habits

Franchement, vous me voyez, Ego Hugo, prendre la file avec ces maisons basses, l'unique rue qui va égrenant ses portes cochères, ses tas de fumier, monter en procession vers mon clocher?

Et Juliette, qu'est-ce qu'elle dira Juliette? Vous croyez qu'elle n'a rien d'autre à faire qu'attendre les beaux jours, le moment de la journée où sur son banc de pierre elle retrouvera le fil? Que ce commerce avec l'autre monde soit pour lui plaire?

Juliette se faisait une autre idée de son ravissant bien-aimé. Et, quoiqu'elle se trouve très mal de ce régime d'ombre, que cette conversation avec les esprits la fatigue, qui lui vole son doux adoré, qu'elle menace de se joindre à eux pour avoir la chance de le voir quelquefois, laisse-moi m'ennuyer seule, elle lui demande, puisque j'y suis condamnée de toute éternité.

Pourtant, c'est tout Victor, cette Barbe Haroux née Hugo, toute sa volonté de poser au burgrave, la promesse qu'il nous lance, par-delà les siècles, d'être de ces « Barbus Graves », et le premier d'entre eux, Barberousse, l'empereur ressuscité ou rien.

Et cette discussion dont Barbe nous a aidés à retrouver le fil rend visible à la maigre foule qui se presse (lentement), à Marie Anne et à Libaire quand elles veulent bien quitter leur nuage, « cette grande échelle morale de la dégradation des races qui devrait être éternellement l'exemple vivant dressé aux yeux de tous les hommes.» Comme l'écrit dans sa préface notre truchement. Celui qui a rimé en français tant de vers de Virgile (ce qu'il a caché jusqu'à ce jour) et qui sait mieux que personne tout ce qui se perd d'un hexamètre qu'on transvase dans un alexandrin.

L'écolier découvrant les Géorgiques, remplissant de fragments son panier.

« Et creusant, plein d'effroi, d'antiques monumens,

Mesurera des yeux d'immenses Ossemens. »

Plus de vingt ans après, à la fin de la pièce VIII des Rayons et les Ombres, le poète reprend le travail,

« Et, rouvrant des tombeaux pleins de débris humains,

Pâlit de la grandeur des ossements romains! »

Dans une langue que plus personne aujourd'hui, et c'est heureux, ne parle.

 

 

 

Barbe
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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 07:10

C’est jeudi. Mais sans gnocchi di patate. Je suis bien passée sous la halle où sévit, parmi d’autres terribles marchands, un fabricant de pasta et autre specialità italiana. Tu n’imagines pas. Sans doute que si.

Il y faut un grand-père ours et cueilleur de champignons, bises vertes, jauniré, gros pied, tonton ou polonais, ô mystères…, un qui ne ferait pas plus que nous les nécessaires travaux de maçonnerie, un qui comme nous rêverait d’Italie. D’amours magnifiques et perdues.

On aurait, comme lui, comme toi, des parents ici ou là capables de nous faire humer le minestrone réservé à la stricte tribu ou payer plein pot dîner et chambre d’hôtel dans l’auberge qu’ils exploitent, ça se fit à Raguenès ; d’autres (des vrais cousins, germains quoique bretons) qui ne nous indiquent pas même (et sans nous offrir le moindre verre d’eau quand on a livré la vieille dame avec champagne !) l’hôtel où fuir un déluge sous lequel on roulera deux heures pour retourner chez nous : on a amené ma mère, 95 ans à l’époque, pour qu’ils l’interrogent : dieu sait quel trésor ils veulent lui faire déclarer sous le sol de terre battue de leur tante Marie, ma grand-mère morte seule là-dessus il y avait lurette et déplacée à quelques kilomètres sous un peu d’humus à fondement granitique pareil. J’avais huit ans et je regrette encore sa vieille face ridée comme la mienne aujourd’hui, dorée sur le banc de pierre au milieu des hortensias, devant la maison ; son beurre salé en motte (il y avait encore des vaches chez le fils resté au pays ; Edmond, l’un des quatre survivants – sur quatorze- avec ma Magdeleine, elle passée l’âme à gauche, enfin pas vraiment, un juin plein de roses, en 2009, à 97 ans, s’étant douchée seule comme d’hab le matin même -comme toi j’excurse, je diverge et Terradillos ne s’y retrouverait pas, salut Jean-Luc !-…Je préfère revoir ma mère le matin du jour de sa mort, négociant avec Dieu son passage en douceur et tout à trac riant de frivolités plutôt que cramoisie dans les photos déposées avec elle, tirées sur le papier de l’imprimante par les cousins qui la ramenèrent, lui ayant extorqué rien du tout : sa rude Bretagne d’origine, elle n’en rêvait que sous forme de tourisme ou de retour aux écoles où elle avait un temps fait l’institutrice chez les sœurs, avant de chercher d’autres salaires d’à peine moindre misère dans des hôtels d’amis ; puis en suivant mon père jusqu’à la Loire et sur l’estuaire…) Et la maison à pièce unique (l’autre était l’étable), il y a longtemps que les héritiers s’en étaient défaits à la mort de Marie et que son charme perdu par des modif pour la rendre presque habitable, y amener l’eau – ma grand-mère la cherchait au puits, de l’autre côté de la nationale- bloquait tout rêve : impossible là de revoir grand-mère avec son petit chignon – tout petit, le chignon, nous les filles de cette lignée, on a trois poils et trop fins qui plus est- serré la semaine dans un petit cylindre juché couvert de satin noir, sans la dentelle, les boucles, les vagues, l’empesage de la coiffe ou de la collerette réservées pour les occasions et travaillée, la collerette, avec des pailles par la repasseuse spécialiste : sûr que les danseuses de Gauguin avaient recours au même service…

 

Vois-tu, je n’avais pas la chance de la voir tous les jeudis ; combien de fois y suis-je allée, avec mère, tantes, cousines, on y dormit à trois par lit, pt’êt plus; des deux lits de bois, - lits clos plutôt que bateaux, il fallait se tenir chaud et puis on ignorait presque tout de la mer, à dix kilomètres à vol de mouette, mais tout de même des navigants dans la descendance quand la terre suffisait si peu-, de l’armoire unique, de la table où passer le café dans la cafetière de tôle, où poser le beurre, aucun souvenir exact, pas même des bancs ou des tabourets de cheminée mais de la disposition, oui et des plaisanteries de la grand-mère, volontiers riant, bilingue moquant, chantant, tricotant sur quatre aiguilles les chaussettes à ne pas mettre dans le même sabot. Un curé qui la visitait et annonça la congestion finale l’avait peinte mais je n’ai rien, qu’une moche photographie de ce tableau, et le souvenir de cette vaillante comme le fut sa fille, ma mère.

Quand j’y allais, … si rarement…, je me rappelle que les gamins du bourg me jetaient des cailloux et me criaient « la Parisienne ! ».

Je ne connaissais de Paris que la Tour Eiffel, Grévin et la Toile d’Avion, un grand magasin où ma demi-sœur m’habillait, m’y conduisant depuis son appart’ d’Antony…

 

A la toile d’Avion, voilà que ce nom m’est revenu à l’instant, et que sur Wikipède, j’apprends des choses – longues minutes de Monsieur Wikipède alors que Marie Marrec n’avait évidemment pas même le téléphone, l’électricité, oui, dans cette après-guerre où je la connus, bien trop peu ; je sais seulement qu’elle aimait mes lettres et que c’est peut-être à elle qui s’en réjouissait que je continue d’en écrire.-

Je suis née en même temps que la maison Dior, lancée par Marcel Boussac, six avant que le même mette la main sur L’Aurore mais dix après son rachat des magasins de tissus « Le pauvre Jacques » - tiens ! on en a conduit un en terre il y a deux mois, de « pauvre Jacques », mon dernier lien un peu proche avec cette famille bretonne. Les « pauvre Jacques » en magasins devinrent A la toile d’Avion et Boussac souffla dedans jusqu’aux Agache-Willot qui ont dû faire trembler des gens que tu connais dans les Vosges et puis aussi dans le Nord et en Normandie.

Et la manufacture de Senones, hein ? Va savoir : si ça se trouve, le rouge velours de Madame de (mais chez elle, la belle ingresque, le palindrome est grippé, chez elle qui se dit italienne et qui n’est que Lyonnaise et fille de drapier) va savoir si sa robe de Trasteverina, elle qui, partie du drap donnait maintenant dans la toile à peindre, va savoir si Boussac n’en rêva pas. Nous si et pour un moment, jusqu’à réouverture du Musée de Nantes.

 

Allons. Tandis que partie de Tous les deux comme trois frères je rêvais sur ma machine de filature et tissage, mon fil s’est contorsionné, ridicule tricotin à croissance diabolique, je vais me faire virer de l’usine. Filature, retorderie, confection : Rambervillers. Je découvre dans des archives du textile, sur des cartes géographiques ces noms propres et fort peu communs qui doivent t’être tous familiers. Filature de Petite Raon, des Gouttes et de Saulcy, blanchiment et confection de Moyenmoutier. Filature et tissus des Enclos, des Meuls, de Julienrupt et de Géroville, fil de la Vaxenaire. L’empire Boussac, Dior devait les connaître toutes, et lui repose en terre italienne, entre Lucca et Pistoia. Ma grand-mère, qui ignora sans doute jusqu’à son nom, ne lut peut-être jamais L’Aurore et n’apprit de naissance que la mienne et hors mariage – elle s’exclama sans doute et pria : Ma Doue benniget et le rosaire qui suit- ma grand-mère ne sut des Vosges, de L’Italie, de la mode que ce que le monde qu’elle avait engendré pouvait bien lui en rapporter : peu, sûrement. Mais le chocolat du curé de Riec était bon : c’est le lait de ses vaches qui le faisait et, s’il y avait noce, on y dansait, elle aimait ça, disait sa ma, notre Magdeleine, on dansait où on mourrait : du parvis au campo santo local, quelques pas qui peuvent être de gavotte ou de pilé menu.

 

C’est braderie ; c’est aussi Pardon, pardon pour la société du spectacle et pour faire croire qu’on est en Bretagne, soleil en plus ; si je n’ai pas rapporté du château d’Oiron où je travaillai deux mois à la fin de l’été 1987 (y soufflait un vent grec, Meltem) des bulbes de cyclamens, africains ou napolitains, j’ai d’autres critères pour la fin de l’été, la petite famille de ma fille revient du bout du monde (le Sri Lanka, cette fois, avec on le souhaite pas le palu, mais d’autres dérangements, provisoires, on espère : qui ma grand-mère aurait-elle sollicité de ses vœux pour assurer un avenir plutôt mal garanti, pourtant ?) ; la petite famille du fils va bientôt d’ici regagner Paris aussi ; les mimosas ont achevé de s’épouiller, les bignones choient, sûr qu’il poussera des champignons aux premières pluies aux pieds des troncs désordre de notre mini-bois…Des qu’on ne sait pas nommer, ni s’ils sont consommables. Va, mieux vaut être l’héritier d’un transalpin envosgisé.

Mais comment imaginer que ma grand-mère, qui vivait de rien, le lait, les œufs, des légumes poussés de l’autre côté des voies, n’ait pas connu les lieux de cueillettes possibles ? (Cyrille –les hommes sont fragiles, chez nous- Cyrille qui avait exploité la carrière avec un ouvrier était mort depuis longtemps, lui que son cheval tirant charrette ramenait seul à la maison, en étant parti tôt, prélevant le plus fort du café, dit la légende familiale et aussi menait des pèlerins sur des lieux de piété, Cyrille comme Marie devaient bien connaître les champignons et les ronciers à mûres…) Pourquoi crut-on alors - ô misère ! - que tout ce qui se transmettait du vieux monde, sauf la religion, garantissait une éternelle pauvreté ?

 

 

 

CHRISTINE LEMAIRE (en écho à Tous les deux comme trois frères).

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2 août 2013 5 02 /08 /août /2013 06:48

     Dans les cinq recueils parus pour le Festival de poésie de Sète et présentés par leur éditeur Al Manar sur La Place du Livre, il y a Visage de l'eau (Lice vode), un choix de poèmes de Hadžem Hajdarević (Bosnie-Herzégovine). Un livre plein de fantômes familiers, où les images retrouvent leur rôle de passantes, où les traces présentes du passé abondent: les survivances.

 

     Joint

 

Mon père, et ton père, et les pères de nos pères les cheveux

blancs de l'attente dans la queue pour les pâtes dans la cuisine

grasse du Paradis, mon père parfois dans un corps de poisson

et ton père moineau sur la branche d'un érable...

Tous les pères se vêtent de nos cadeaux de prières terrestres

et vantent les uns aux autres leurs fils dispersés.

 

Nos pères se rencontrent souvent dans les vents

qu'apportent les âmes de ceux que nous appelions époques

et attendent notre irruption sur le quai en plumes

d'ange soyeuses. Il leur tarde à nos pères

que nous mourions aussi et les remplacions

dans la queue pour le pain chaud du paradis

 

Et dans les greniers du pays leurs chaussures durcies

sont toujours -comme des cimetières ouverts, comme

des récipients égarés que même le vide n'a pas pénétré...

 

S'ils nous voyaient nous promener entre les arbres

et la ronde diabolique du début d'avril, ils ne sauraient pas

s'il faudrait rire aux éclats ou s'inquiéter

que leurs fils ne sachent pas

où mènent ces chemins évanouissants.

 

 

 

     Hésitation

 

Au-dessus de ma maison brûlée

se retrouvent des poètes morts.

Ils se lisent les uns aux autres des poèmes.

Chaque vers est un essaim d'insectes dans l'air.

 

Leurs cheveux longs recouvrent

les collines du pays... Dans chaque

feuillage du cerisier bat

un coeur de poète.

 

À présent avec leurs doigts avides

et leurs langues étalées ils reconnaissent autrement

le goût des substances et leurs frictions secrètes.

 

Je sais qu'ils disparaîtraient à l'instant des collines

et des branches si j'entreprenais plus résolument

de reconstruire ma maison brûlée.

 

 

 

     Rilke

 

Souvent je reviens vers toi, ô poète

De l'automne et des feuilles qui tombent abondamment

Depuis les jardins célestes dans nos petites

Cours et aux alentours de nos maisons, jusqu'au seuil

 

Ne sont grands que ces moments que

Nous réussissons à reconnaître dans leur

Simplicité terrestre, quand même le bourdonnement

De l'abeille devient le pressentiment de la mort

 

Avec tes anges je choyais

Les justes condamnés à l'éternité

Et dans le miroir encourageais l'étranger indécis

À partir en voyage avec la femme qu'il aimait

 

Que pouvaient les gazelles, les panthères, les chevaliers

Et les fontaines romaines tandis qu'Orphée

Hésitant chantait au milieu d'une nuit universelle

Et que les barbares arrachaient les roses sous les fenêtres?

 

Je lis tes vers la plupart du temps à l'approche

De minuit lorsque je sens le coeur flotter comme une fleur

Aquatique, et sous les avant-toits édentés

Les monstres célèbres se disputer mon sommeil.

 

 

 

     Mes tournesols

 

Au fond du jardin ont soudain

Poussé tout seuls les tournesols

 

Leurs têtes lumineuses, comme

Une avant-garde tatare souriante,

Se sont tout à coup tournées vers les

Quatre points cardinaux...

Pour eux le soleil est partout

Et peut émerger de n'importe où

 

Je les regarde de ma fenêtre et pense

Qu'ils doivent peut-être savoir quelque chose

Il se peut qu'ils apportent des nouvelles importantes

D'un de ces mondes de l'au-delà

Quelque chose de décisif devant advenir

Qu'on attendait depuis des siècles

 

En ce jour important leur couleur

Se versera dans toutes les autres couleurs

 

Mais peut-être ont-ils fait irruption

Juste pour jouer un peu avec nos peurs

Contagieuses et attirer joyeusement notre attention

Sur le fait qu'il faut être tourné vers les soleils

Et nous réjouir de tout ce que nos prudents

Organes des sens veulent effleurer

 

Je les regarde et je ne me lasse pas

De les regarder, je ne peux arrêter

De presser les messages de

Leurs graines ce matin d'août

Tout à fait ordinaire

 

Poèmes traduits du croate par Brankica Radić

Hadžem Hajdarević
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31 juillet 2013 3 31 /07 /juillet /2013 10:18

     « Caumont de la Force rapporte que Louis XIII combla de faveurs le grammairien qui lui démontrait que la jeunesse est l'âge où les jeux naissent (...), que la fenêtre fait naître (le jour dans la chambre). »

     On pourrait aussi, pour continuer le jeu, ce jeu qui consiste à regarder les mots comme autant de noms propres, comme des signes vides qu'il s'agit de remotiver, comme on ferait enfant ou étranger apprenant une langue, chercher la preuve, la preuve par l'étymologie (Jean Paulhan, Le temps qu'il fait, 1988), dire que par les fenêtres on voit les feux naître. Cette étymologie fausse nous renseignerait de toute façon mieux que ne saurait le faire l'étymologie vraie. Et tant pis s'il y a bien du rouge dans Roja, tant pis si « l'étoile du matin » ne brille pas que pour nous. L'important est que nous regardions par la fenêtre. Ou par la porte. Une porte ouverte. C'est le titre d'un poème de Roja Chamankar. Il est publié, avec une vingtaine d'autres, par les éditions minuscule, à Strasbourg. Mes souffles coupés par le milieu: c'est le titre.

     Roja Chamankar est née en 1981 à Borazjân, au sud de l'Iran, et c'est une des Voix Vives écoutées cet été à Sète. Et que j'ai plaisir aujourd'hui à faire entendre. Même si c'est d'abord dans sa langue, dans cette langue magnifique qu'est le persan, qu'il faut l'entendre. Mais la superbe traduction de Farideh Rava, grâce à qui nous pouvons lire ces auteurs, notamment dans le numéro d'Europe (997, mai 2012) consacré à la Littérature d'Iran, réussit ce miracle: que « le monde gelé » (c'est aussi le nôtre) « revienne à la poésie ».

 

 

 

 

CHUT!

 

Mon petit coeur!

L'eau était trouble et il y avait de la fumée partout

Et plus on s'acharnait à recoller les morceaux

Plus les ruines s'agrandissaient

Et plus la terre devenait humide

 

Que l'obscurité puisse s'éloigner de toi

À partir de maintenant comment pourrais-je encore le soir

Traverser ces rues en ruine, ces gouffres de sang

Et comment enjamber le corps blessé de l'eau

C'est dur de mourir dans la langue maternelle, mon petit coeur

Mourir dans la langue maternelle.... Adossé aux ruines

Laissez-moi tranquille, quand j'aurai tous les morceaux en main

Et que les rideaux tomberont

et que les arbres se mettront à marcher

Quel tourbillon ce sera au milieu de ces gouffres

 

Je voulais seulement que le soir tu sois

la compagne de mes routes perdues

Il ne reste plus rien à dire, alors chut!

Et dire que je voulais seulement que tu sois mon petit coeur...

 

 

 

EN MOI IL A CHOISI UN MOT

 

Il s'est juste assis en moi

Il a fouillé en moi

Il a fouillé dans mon univers

En moi il a fouillé l'univers

En moi il a choisi un mot et l'a mis sur sa tempe

Sa cervelle éclatée

Et des mots ont surgi de sa bouche

Et ont éclaboussé ma vie

En moi les frontières éphémères ont éclaté

Moi, une frontière éphémère en éclat

 

Nous avons bougé

Moi, une synthèse de l'univers, de fouille, de cervelle, de vie, de frontière, d'éclat et d'éclaboussure d'une nouvelle vie

Ma nouvelle vie

Respire au milieu de ma mort

Nous avons bougé

Respire au milieu de l'univers de ma mort

Nous avons bougé

Respire l'univers au milieu de ma mort

Il y a toujours eu un mot en moi

que tu aurais pu perdre sur ta tempe

Tes yeux rieurs

Toi, une synthèse de moi, de mots, de perdu, d'éphémère, de mort et de veine, qui as traversé mes frontières

Tu es une veine, qui as traversé ma frontière

Tu as seulement traversé en moi

Tu m'as traversée moi.

 

 

 

 

LA NUIT SIFFLE

 

La nuit siffle dans ma tête

La mer odeur de chien mort

Je descends sous le banc

Et je ronge mes ongles

 

Première leçon de géographie

La fenêtre ouverte

Et la fille qui n'est plus dans son pyjama d'enfant,

De toi je ne me souviens que d'une nuit

Tu étais mon invité

Tu t'es posé sur ma paupière droite

Moi

J'avais des yeux oranges

Jusqu'à te couper le souffle

Parmi les draps

La nuit siffle

Disque de la lune

Je suis agitée

Vent dans les rideaux

Odeur de navet brûlé, la charogne des chiens

Le lys d'une fille qui vieillit

Moi

Je descends sous le banc et ronge mes ongles

Première leçon de géographie

Le maître n'est pas d'accord

Je mouille mes vêtements

Sur mes bancs gonflés

L'eau des deux tiers du monde

Sur les bancs gonflés

Je m'obstine

J'ai peur de cette force incroyable

En moi

 

L'odeur de pigeon grillé

Me soulève le coeur

Le cri continu du freinage

Se dessine sur le papier blanc

Dès la première heure de celui qui part avec sa mariée

La fenêtre ouverte

Mes souffles coupés par le milieu

Les morceaux de ma natte

S'enfoncent dans l'eau

La mer sent le pigeon grillé

La lune ne me fait aucun effet

Je m'obstine

Contre cette force en moi

 

Je me penche sur le papier à dessin

 

Sifflement

Sonnerie

Mère rêve:

Un disparu souffre sous le figuier.

 

 

Poèmes tirés de Mes souffles coupés par le milieu, minuscule, 2011.

Roja Chamankar
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