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9 avril 2025 3 09 /04 /avril /2025 06:16

Le dimanche des Rameaux, ils célébraient l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem (et entraient eux-mêmes dans la Semaine sainte) avec le buis qui était la plante utilisée, à défaut de palmes, avec ce buis béni qu'ils placeraient chez eux, sur le crucifix au-dessus du lit, et sur les tombes. Qu'ils logeraient, s'ils habitaient en Charente, à Villebois-Lavalette où on la dégustait après la messe des Rameaux et où on la fête toujours, dans la cornuelle. Dans le trou qu'il y a, percé à cet effet, au centre de ce gâteau plat, de forme triangulaire. Le buis béni éloigne de nous la tentation, il chasse le diable de nos corps et de nos maisons.

Mais nous n'y sommes pas. Pour lors, c'est à Bralleville que nous nous trouvons. Un village de Lorraine, du Saintois exactement, longtemps connu de moi seul.

Mes parents avaient eu la riche idée d'y acheter une ferme. Où ils passeraient, sinon leurs vieux jours, du moins des week-ends si le printemps le permettait, et carrément la semaine à la saison des mirabelles. Et toute la famille serait conviée.

Mon père se voyait bien pêcher à la mouche, au toc ou à la brouillée. Là où le Madon qui prend sa source dans les Vosges, dans ce vallon de Saint-Martin qu'on appelait encore druidique, rentre en Meurthe-et-Moselle.

En attendant la friture promise, où il y aurait plus d'ablettes que de goujon, autrement dit beaucoup d'arêtes, il travaillait à rendre habitable cette ferme restée dans son jus. Je dirais même que le temps s'y était comme à Pompéi arrêté.

De celle que la mort avait surprise en plein repas, l'assiette était encore là, avec ce qu'il y avait dedans. Celui qui nous avait vendu la ferme n'avait pas songé à débarrasser la table, ni à sortir les poules du poulailler. Nous les retrouverions momifiées.

Mon père ferait aussi le jardin, un potager qui ne devrait rien à l'art topiaire, où il n'y aurait pas de buis à tailler. Le vinaigrier suffisait, ce sumac de Virginie dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Les rejets qui se propagent menacent les haricots. Des contenders, très productifs mais ils prennent vite le fil, précisait-il pour tempérer notre enthousiasme.

Aujourd'hui, ce village est connu pour deux raisons.

La première, la mosaïque dite au dauphin, trouvée en 1995, sur le site d'une villa gallo-romaine où je vivais depuis longtemps en rêve, et dans les textes que j'écrivais. Mes parents ayant vendu la ferme, nous n'avions plus aucune raison de retourner à Bralleville. Mais moi j'y revenais sans cesse. Cette villa me hantait.

Ce fragment de 3 m², appartenant à la partie périphérique d'une mosaïque de grande dimension, est aujourd'hui au Musée Lorrain, à Nancy. Elle est ornée d'un dauphin inscrit dans un demi-cercle, d'où le nom qu'on lui a donné.

 

 

La seconde raison, une station de buis, ce qu'on appelle la buxaie de Bralleville. Découverte dans la forêt communale où je ne suis jamais allé. Trop occupé par ma villa. Dont je reconstituais dans ma tête le plan, et que je voyais de mieux en mieux, malgré le peu de traces qu'elle avait laissées. Non pas dans le paysage, car il n'en restait rien, mais sur le sol. Que je m'efforçais de lire. En écrivant.

Les deux, la mosaïque au dauphin et la buxaie de Bralleville, ont été découvertes après notre départ. Elles sont apparemment liées.

La buxaie serait en effet la trace présente des jardins qui décoraient cette villa, des jardins abandonnés, comme la villa (très tôt, dans le courant du IIe siècle après J.-C.) et retournés à l'état sauvage. Des jardins devenus forêt.

Autre vestige, me semble-t-il, le nom qu'on cherche sur la carte, ce lieu dit A la Bruxière où fut trouvée la villa, fouillée une première fois en 1927, puis dans les années 90, à l'occasion d'un remembrement. Ce lieu-dit garde le souvenir du buis, comme ailleurs -non loin de là- Bouxières. Ces Bouxières -Bouxières-aux-dames, Bouxières-aux-chênes, pour rester dans le 54- sont à l'origine des lieux plantés de buis. Et Bruxière pourrait aussi venir de là. De buis devenus brosse: broussaille. Devenus forêt. La forêt communale de Bralleville, avec sa buxaie. Une buxaie dont l'origine anthropique ne fait pas de doute. On peut même situer l'introduction de cette plante dans le temps. Dans les premiers temps de la villa, c'est-à-dire le Ier siècle après J.-C. Le buis est arrivé avec la villa. Quand on l'a construite, ou modifiée : décorée avec cette mosaïque. Et avec ces jardins.

Quand la villa avait encore son système de chauffage par hypocauste, ou quand la mosaïque fut mise en place sur les remblais venus combler la cuve d'hypocauste. Durant cette phase de décoration.

 

Il y a une autre forêt de buis dans la région, en Moselle. Dans le pays thionvillois. C'est la buxaie du Pällembësch (Palmbusch en allemand) dont l'origine anthropique est plus que probable. Mais on ne peut pas dire si les buis ont été introduits dès l'Antiquité ou plantés plus tard par les Chartreux.

 

Christian Ries, photographie personnelle.

 

 

Le phénomène ne concerne pas que la Lorraine. Je me rappelle les buis qu'il y avait dans le bois du Douhet, près de Saintes. Le Douhet où il y avait, à la Grand-Font, une des trois sources des aqueducs antiques de Saintes. Selon Jean-Louis Hillairet qui en a étudié et établi le tracé.

Je nous revois dans le parc. Laissant derrière nous le château, nous allions là comme dans un bois. Une forêt magique, un peu sorcière avec sa chevelure, ces buis qu'il fallait écarter et qui nous enlaçaient.

Je sais que ce bois fut dévasté par la tempête de 1999. Que l'arbre remarquable, de la famille des Buxacées, n'a pas survécu. Que les rares survivants sont maintenant attaqués par la Pyrale du buis. Qu'ils ne seront bientôt plus qu'un souvenir.

 

Ce buis dont on fait les souvenirs
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14 mars 2025 5 14 /03 /mars /2025 08:41

J'aime l'idée que le port de La Rochelle soit à l'origine de La Vie mode d'emploi.

Ou, pour être exact, que ce roman puzzle soit né, en 1969, d'un puzzle qu'avait acheté Georges Perec, avec son ami Jacques Roubaud, « d'un très grand puzzle en bois avec une petite étiquette marquée Port de La Rochelle. ''Et c’était une photo, assez laide d’ailleurs, de ce port, qui lui est très beau.'' Il y avait un grand bout de ciel bleu, plein de bateaux avec des mâts. Les pièces étaient découpées à la couleur, une technique particulière de puzzle : par exemple un mât était découpé en une vingtaine de minuscules filaments, comme des tout petits bouts de bambou, qu’il fallait monter. Le travail pour le reconstituer, à plusieurs, dure trois ou quatre mois. En l’achetant, l’écrivain a inventé ''une espèce d’histoire de quelqu’un qui passerait sa vie à faire des puzzles.'' Non seulement il ferait les puzzles, mais avant il aurait peint les aquarelles ; ensuite il aurait demandé à un artisan de les découper en puzzle, il les reconstituerait, les recollerait de manière à ce que les découpes disparaissent selon un procédé très compliqué, il les détacherait du support de bois, retrouverait l'aquarelle intacte qu'il avait peinte vingt ans avant et il la détruirait. Ainsi, parti de rien du tout, il arriverait à rien du tout, mais après un chemin qui aurait occupé toute sa vie. Il fallait que le personnage soit immensément riche pour se permettre ça, et immensément désespéré, résume-t-il à Jacques Chancel. L'idée du personnage était donc d'aller peindre cinq cents marines dans cinq cents ports différents. »

Grégory Vouhé, Georges Perec de La Rochelle à Oléron, L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 116, Printemps 2017, page 22.

 

S'agit-il de l'Entrée du port de La Rochelle, de Paul Signac ? Un puzzle de 1000 pièces ? D'un autre, de 1500 pièces? De 2000 ? Ou de ces espèces de puzzles, parmi les plus difficiles qui soient, que les Turcs appellent « anneaux du Diable » ? Faits, comme on le voit dans La Vie mode d'emploi (Chapitre VIII, Winckler 1), « de sept, onze ou dix-sept cercles d’or ou d’argent enchaînés les uns aux autres, et dont l’imbrication complexe aboutit à une torsade fermée, compacte, et d’une régularité parfaite : dans les cafés d’Ankara, les marchands accostent les étrangers en leur montrant la bague fermée, puis en libérant d’un geste les anneaux enchaînés; le plus souvent c’est un modèle simplifié avec seulement cinq cercles qu’ils entrelacent en quelques gestes impalpables, puis qu’ils ouvrent à nouveau, laissant alors le touriste peiner vainement pendant quelques longues minutes. »

 

On y pense forcément quand on regarde les deux tours (qui sont trois), quand on voit la tour de la Chaîne d'où était  manœuvrée la chaîne, fixée dans la tour Saint-Nicolas, sur l'autre rive, afin d'interdire l'accès au port. Qui était comme une bague fermée, puis à nouveau ouverte. En quelques gestes impalpables, mais inconnus du touriste. Qui peine vainement pendant quelques longues minutes. Comme d'autres devant le très grand puzzle qu'ils ont acheté et qu'ils ont du mal à reconstituer.

 

Ce qui est sûr, c'est que le personnage de Bartlebooth est né là, à la fin de 1969, « pendant la reconstitution laborieuse d'un gigantesque puzzle représentant le port de La Rochelle. »

Dans un entretien avec Claudette Oriol-Boyer, Perec précise : « en compagnie d'un autre membre de l'Oulipo, Jacques Roubaud » ; puis il ajoute :

« [...] en parlant de ce puzzle difficile, et tout en le faisant, je me suis mis à raconter une histoire tout à fait gratuite, celle d'un homme qui ferait des puzzles pendant toute sa vie et après les détruirait. L'histoire s'est ensuite un peu compliquée : elle est devenue celle d'un homme qui peindrait des aquarelles, en ferait des puzzles, reconstituerait ces puzzles et enfin les détruirait. Tout de suite, j'ai trouvé un nom pour ce personnage : Bartlebooth, mélange de Bartleby, personnage de Melville, et de Barnabooth, issu de Valery Larbaud. »

Georges Perec, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, nrf.

 

Dans « Quatre figures pour La Vie mode d’emploi », Perec écrit : « En 1972, le projet qui allait devenir La Vie mode d’emploi se décomposait en trois ébauches indépendantes, aussi floues l’une que l’autre. »

La première ébauche date de 1967. Au départ, il y a un système de permutations nommé le « bi-carré latin orthogonal d’ordre 10 » proposé au sein de l’Oulipo. Par Claude Berge qui souhaitait y travailler avec Georges Perec et Jacques Roubaud.

La seconde vient du go.

En 1969, Christian Bourgois publie Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go, un livre écrit par Pierre Lusson, Georges Perec et Jacques Roubaud. Le premier livre traitant du jeu de go paru en langue française.

Depuis sa description de la scène du couple jouant au go telle qu’elle est représentée sur les Rouleaux illustrés du Dit du Genji, Perec a le fantasme de soulever des toits ou d’enlever des façades. Fantasme qu'il réalise dans La Vie mode d'emploi, roman paru en 1978.

On en trouve le projet dans Espèces d'espaces (Galilée, 1974), L'immeuble :

« J'imagine un immeuble parisien dont la façade a été enlevée - une sorte d'équivalent du toit soulevé dans « Le Diable boiteux » ou de la scène de jeu de go représentée dans le Gengi monogatori emaki - de telle sorte que, du rez-de-chaussée aux mansardes, toutes les pièces qui se trouvent en façade soient instantanément et simultanément visibles. »

Dans La Vie mode d'emploi, c'est l'idée, conçue à la fin de sa vie, de Valène, le plus ancien habitant de l'immeuble, le peintre grâce à qui Percival Bartlebooth, le milliardaire, peint des marines à l'aquarelle, celui qui l'a initié à cette technique. C'est l'idée de Valène: de peindre, dans un immeuble dont la façade a été enlevée, tous les êtres et toutes les actions qui s'y déroulent. Ce sera aussi le projet du roman, de ce « romans » comme dit le sous-titre.

La troisième ébauche, on l'a vu, a été imaginée «pendant la reconstitution laborieuse d’un gigantesque puzzle représentant le port de La Rochelle ».

 

C'est là que Bartlebooth est né. Par un heureux hasard  où l'on voit d'abord une de ces traces que le « faiseur de puzzles » a laissées (il s'appellera Gaspard Winckler dans le roman), comme autant d'indices -d'appâts-, un nouveau piège, mais cette ruse, loin de nous égarer, nous guide dans notre lecture. Quand nous sommes tentés, comme le personnage nommé Bartlebooth, « de rapprocher deux pièces qui, à première vue, n’auraient jamais dû se toucher, mais dont les franges bleutées offraient une parfaite continuité et souvent il s’avérait effectivement un peu plus tard qu’elles allaient très bien ensemble. » (La Vie mode d'emploi, CHAPITRE LXX Bartlebooth, 2 )

Ainsi Bartlebooth. Dont le nom rapproche ce qui n'aurait jamais dû se toucher, réunit ce que tout oppose, Bartleby, le personnage de Melville, et Barnabooth, le héros de Valery Larbaud. Bartleby, l'écrivain ou le scribe selon les traductions, le copiste qui préférerait ne pas copier, celui qui trouve dans l'immobilité -la catatonie- une réponse au danger, la seule réponse possible, qui fait le mort pour échapper au prédateur, et Barnabooth qui exerce la profession de rentier et de voyageur, qui est chez lui dans le voyage

Percival Bartlebooth est bonne personne, de bonne compagnie, resséante et voyagère (pour parler comme Montaigne), c'est ce que dit son nom. Un nom-valise, créé par ces deux modes de troncation que sont l'apocope et l'aphérèse. L'apocope de Bartleby, et l'aphérèse de Barnabooth.

C'est aussi un oxymore. Comme ce gigantesque puzzle représentant le port de La Rochelle. Séjour charmant et invitation au voyage.

 

Le séjour, dans le roman, c'est l'immeuble parisien où habite Bartlebooth, ce 11, rue Simon-Crubellier dont Perec a enlevé la façade.

Le voyage, c'est aussi son affaire. Il consacre en effet dix ans de sa vie à apprendre l’art de l’aquarelle. Pendant les vingt années suivantes, il parcourt le monde et peint cinq cents tableaux de ports. Envoyées à Paris, les aquarelles y sont transformées en puzzles. Durant vingt années supplémentaires, Bartlebooth s’emploie à les reconstituer. Puis il les décollera de leur support et effacera chacune d’elles à l’aide d’un solvant sur le lieu même où elle a été peinte.

Hélas, son projet – partir de rien pour revenir à rien après mille opérations complexes – échoue : Bartlebooth meurt sans avoir achevé son œuvre.

 

Il meurt le 23 juin 1975, vers 8h du soir.

C'est à cette date que Georges Perec s'installe dans le Poitou, près de Bressuire. Pour écrire son « romans ». En suivant le programme énoncé dans LA VIE MODE D'EMPLOI (CHAPITRE XXVI. Bartlebooth, 1) :

« Ainsi s'organisa concrètement un programme que l'on peut énoncer succinctement ainsi :

Pendant dix ans, de 1925 à 1935, Bartlebooth s'initierait à l'art de l'aquarelle. Pendant vingt ans, de 1935 à 1955, il parcourrait le monde, peignant, à raison d'une aquarelle tous les quinze jours, cinq cents marines de même format (65 X 50, ou raisin) représentant des ports de mer. Chaque fois qu'une de ces marines serait achevée, elle serait envoyée à un artisan spécialisé (Gaspard Winckler) qui la collerait sur une mince plaque de bois et la découperait en un puzzle de sept cent cinquante pièces.

Pendant vingt ans, de 1955 à 1975, Bartlebooth, revenu en France, reconstituerait, dans l'ordre, les puzzles ainsi préparés, à raison, de nouveau, d'un puzzle tous les quinze jours. À mesure que les puzzles seraient réassemblés, les marines seraient « retexturées » de manière à ce qu'on puisse les décoller de leur support, transportées à l'endroit même où - vingt ans auparavant - elles avaient été peintes, et plongées dans une solution détersive d'où ne ressortirait qu'une feuille de papier Whatman, intacte et vierge.

Aucune trace, ainsi, ne resterait de cette opération qui aurait, pendant cinquante ans, entièrement mobilisé son auteur. » (LA VIE MODE D'EMPLOI, CHAPITRE XXVI, Bartlebooth, 1, Hachette, 1978, pp. 157-158)

 

Dans le Poitou, Georges Perec découvre la pêche à l'épuisette pour vider les étangs ; la fressure, préparée avec les abats du cochon, qu'il appelle la fondue draculéenne de la mère Gatard.

Il revient à La Rochelle. Où il a des amis. Avec qui il a l'habitude de passer Noël. Et sur l'île de Ré, pour voir Harry Mathews et Jean de Brunhoff.

 

C'est à l'hôpital de Bressuire qu'est diagnostiqué son cancer en octobre 1981.

Rentré à Paris, il s'éteint le 3 mars 1982.

 

Mais le puzzle n'est pas achevé. Un puzzle achevé n'est plus un puzzle. Un puzzle doit rester ce qu'il était au départ, « une énigme ». Un puzzle doit questionner. La Vie mode d'emploi n'a pas fini de nous questionner.

 

Georges Perec et Catherine Binet photographiés par Anne de Brunhoff sur la plage de la Conche à Noël 1977. Photo Anne de Brunhoff. Parue dans L'Actualité Nouvelle-Aquitaine N° 116, Printemps 2017, page 23.

Georges Perec et Catherine Binet photographiés par Anne de Brunhoff sur la plage de la Conche à Noël 1977. Photo Anne de Brunhoff. Parue dans L'Actualité Nouvelle-Aquitaine N° 116, Printemps 2017, page 23.

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13 février 2025 4 13 /02 /février /2025 10:18

L'événement n'est pas de ceux qui bouleversent l'ordre naturel des choses, même s'il se situe dans un lieu à part et en un moment comme hors du temps.

On chercherait en vain le mouvement fulgurant, qui reste fixé à jamais. Malgré la photo -d'un squelette fraîchement exhumé- et le titre -Des Vikings découverts dans l'île de Ré ? Les archéologues enquêtent-, ce fait divers n'a pas l'aura du prodige, la marque des dieux, il n'aurait pas sa place dans les merveilles que nous a laissées Italo Calvino (Collection de sable, Folio. page 83). Avant de nous quitter (en 1985).

Ligure de proue (comme le présentait en 2023 Libération, qui ne parlait pas forcément de l'Oulipo dont il fut un des membres, sinon fondateurs du moins cooptés), Italo Calvino était devenu introuvable en librairie, et il aurait pu finir comme nos cinq Vikings si l'oeuvre n'était pas ressortie (chez Gallimard et non plus au Seuil) dans des traductions « plus fidèles », en « folio » et dans La Pléiade.

 

Je ne pense pas non plus que Sud-Ouest ait voulu faire le buzz avec cette découverte. Les haters ne vont pas se jeter dessus. On voit bien le squelette dans sa tombe, mais on cherche en vain l'os à ronger, ce qui pourrait nourrir la polémique. Exciter la fachosphère.

Pourtant elle est là, dans les commentaires. Du Figaro qui a repris l'information et la photo.

Le Figaro est aujourd'hui pour les trolls d'extrême droite ce qu'était Noirmoutier en 843 pour les Vikings : une base arrière pour lancer leurs attaques. Non contre ces envahisseurs (trop blancs pour être les méchants de la pièce), mais contre le soi-disant réchauffement climatique. Oubliant « l'individu inhumé tête au sud avec un collier de perles et un bassin en fer » (la légende sous la photo du Figaro), ils mettent en doute ou réfutent l'impact des activités humaines sur le réchauffement climatique, voire le réchauffement climatique lui-même :

« J'ai bien lu, le niveau de la mer était un peu plus élevé et l'île était coupée en trois !
La montée des eaux à cause du réchauffement climatique ! »

 

Malgré les efforts des climatosceptiques, l'information risque de passer inaperçue.

Entre le Sommet pour l'action sur l'IA qui a lieu en ce moment au Grand Palais, et l'annonce, par Amazon, de la construction d'un site de distribution XXL implanté à Illiers-Combray, les Vikings découverts à La Flotte-en-Ré ont bien du mal à retenir l'attention.

Ou, si l'on s'arrête à ces « cinq tombes atypiques », c'est pour y déverser son climatoscepticisme, ou déplorer que nos impôts servent à ça, à creuser des trous.

Je crains même qu'ils ne meurent une seconde fois. Et cette fois avant même d'avoir existé.

 

Illiers-Combray où Amazon a choisi d'implanter son nouveau centre de distribution XXL : on pense tout de suite à La Recherche. Au Temps retrouvé. Et, à cause des cinq Vikings découverts à La Flotte-en-Ré, au vieux norrois.

 

Le vieux norrois n'est pas une invention de Marcel Proust.

Ou, si c'en est une, c'est au sens archéologique du terme, une découverte dont Brichot se fait l'écho, quand il ramène sa science.

Brichot se moque du Curé de Combray, auteur d’un essai sur l’étymologie des noms de lieux dans la région de Balbec, un ouvrage qu'il s'est amusé à feuilleter et qui selon lui fourmille d'erreurs, mais c'est lui le caractère. Avec ses jeux de mots et plaisanteries médiocres. C'est de lui qu'on rit dans le petit clan, du professeur de la Sorbonne, bavard et pédant :

« Mais d'abord on se rappelle peut-être que déjà à La Raspelière, Brichot était devenu pour les Verdurin, du grand homme qu'il leur avait paru être autrefois, sinon une tête de Turc comme Saniette, du moins l'objet de leurs railleries à peine déguisées. »  (Marcel Proust, Le Temps retrouvé)

 

Des Normands en Normandie, cela n'étonne personne. Ils ont laissé beaucoup de traces dans la toponymie de cette province à laquelle ils ont aussi donné son nom, et dans la langue qu'on y parlait avant le français. Et dans le français lui-même.

 

Viennent de là -du vieux norrois- des mots comme amer, carlingue, drakkar, flotte, gadelle, hauban, homard, houle, marsouin, quille, ras, raz, rorqual, tangue, turbot.

Dans ces mots (transmis par les Normands), il y a flotte : d'origine incertaine. Fluctuante. Flotte qui vient tantôt du vieux norrois floti, tantôt du latin fluctus.

Plus sûre, l'étymologie de Fier. Du Fier d'Ars qui est une baie située à l’extrémité Nord de l’île de Ré. 

Brichot, s'il était là, confirmerait. Il nous dirait que fier ici, comme fleur en Normandie, vient du vieux norrois fjord, qui signifie « port ». D'ailleurs  l’anse sur laquelle se trouve le Fier d’Ars est très bien abritée de la houle marine. Ce Fier est une des rares traces qu'ont laissées les Normands de leur passage. Alors qu'il y en a tellement dans la toponymie et la langue normandes.

 

Nous y voici. À ces Vikings enterrés dans l'île de Ré et que les archéologues viennent d'exhumer. Une invention qui n'est pas pour surprendre le Brichot qui sommeille en moi. Et que Sud-Ouest vient de réveiller, avec son article.

 

On sait (Brichot, Proust nous l'apprend, a quitté le je pour le on) qu'entre le VIIIe et le Xe siècle, les Vikings n'ont cessé de sévir.

Depuis Noirmoutier dont ils s'étaient emparés en 843, et dont ils avaient fait une base arrière pour lancer leurs attaques sur le continent. On les voit alors écumer les côtes, remonter la Charente et piller Saintes. Les raids et les razzias se succèdent, s'étendent à toute l'Aquitaine. Aucune cité n'est épargnée.

En 845, on le sait aussi, des drakkars ont remonté la Seine, les Vikings ont mis à sac plusieurs villes sur leur passage, ils sont même entrés dans Paris. Le petit-fils de Charlemagne, Charles le Chauve a alors eu une réaction qui se répétera chaque fois qu’il faudra traiter avec les Vikings: il les a payés pour qu’ils s’en aillent.

Mais ils reviennent ailleurs. Chercher d'autres butins. Et cela continue jusqu'au Xe siècle.

En 911, le roi des Francs Charles le Simple concède à Rollon un territoire de part et d’autre de la Seine. Ce chef viking, qui a parcouru les mers et pillé le royaume, devient le premier maître de la Normandie. 

 

Avant les Normands il y avait eu, dans le rôle de pillards maritimes, les Saxons -des Saxons mais aussi des Francs- qui infestaient les côtes. Celles de la province romaine de Bretagne, et de la Gaule.

Contre eux on avait édifié un véritable mur appelé Litus Saxonicum, littéralement « Littoral Saxon », constitué de forts censés empêcher leurs incursions, avec des garnisons pour les combattre, et la flotte -la Classis Britannica qui patrouillait dans la Manche. À la fin du IIIe siècle, le système de fortification était achevé. Et sur les deux rives.

Ces pirates germaniques, on les combattait avec d'autres Germains, issus des mêmes tribus et installés progressivement comme colons. Dont on retrouve les tombes sur tout le littoral. De Calais à Nantes, et parfois au-delà.

Mais toujours ils reviennent. Toujours plus menaçants. Toujours plus cruels.

Ils apparaissent dans une lettre de Sidoine Apollinaire. Écrite à Lyon ou Clermont, vers 469-470, «  à son cher Namatius ».

Namatius est un ami (dont le nom en gaulois signifiait « ennemi ») : un riche propriétaire à Saintes et sur l'île d'Oléron où il exerce, dans la flotte d'Euric, roi des Wisigoths, un commandement pour la protection des côtes au sud de la Loire. Que menacent ces « archipirates », comme Sidoine les appelle. Ces Saxons dont il nous fait le portrait forcément terrifiant. On les voit arriver avec la tempête (ils ne craignent pas les naufrages) et avec leurs myoparons. Des « brigantins recourbés » qui ne sont pas encore les drakkars des Normands, mais cela y ressemble.

Avant de « déployer leurs voiles, du continent vers leur patrie, et de hisser des profondeurs des eaux ennemies leurs ancres acérées, ils ont coutume, au moment du départ, de tuer un sur dix de leurs prisonniers, par noyade ou mise en croix, en vertu d'un rite encore plus sinistre du fait qu'il est dû à la supersition, et de répartir ainsi, sous couvert de l'équité d'un tirage au sort, l'iniquité de la mort sur la troupe rassemblée de ceux qui doivent périr. Telles sont les obligations de leurs vœux, telles sont les victimes par lesquelles ils se délient. Et c'est ainsi que les auteurs de ce massacre impie, moins purifiés par des sacrifices de ce genre que souillés par de tels sacrilèges, pensent que c'est un devoir religieux d'imposer à un prisonnier la torture plutôt que la rançon. »

Sidoine Apollinaire, LETTRES, Livre VIII, 6, traduit du latin par André Loyen, Les Belles Lettres, 1970.

On ne sait pas comment son ami -dont la mission était de les combattre avec les navires et les troupes qu'il commandait- a pris ce morceau de bravoure. Si jamais il a reçu cette lettre. Qui n'est peut-être jamais arrivée à destination. Qui n'avait pas besoin d'autre destinataire que le lecteur, puisqu'elle était d'abord écrite pour être publiée. Comme toutes celles que Sidoine Apollinaire a réunies dans ses deux livres.

 

Des Vikings découverts dans l'île de Ré
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8 février 2025 6 08 /02 /février /2025 10:23

On les appelle déjà « Muskovites ». Ceux qu'il a recrutés pour jouer un « rôle crucial » dans le Département pour l'efficacité gouvernementale (DOGE). Les six jeunes ingénieurs (complètement inexpérimentés) qui tiennent l'administration américaine, avec pour mission de tailler dans son budget et ses effectifs, et même de tronçonner.

Ce qu'ils ont commencé à faire en annonçant la fermeture de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), qui gère des milliards de dollars d’aide à travers le monde et qui est, selon Donald Trump, « dirigée par une bande de fous extrémistes ».

Et ce qu'ils continueront avec le ministère de l'Éducation qu'ils rêvent d'abolir.

J'ai voulu savoir à quoi ils ressemblaient, ces nerds devenus exécuteurs des basses oeuvres, et d'abord qui ils étaient.

J'ai demandé à mon petit doigt, mais ce dernier prend très au sérieux les menaces d'Elon Musk sur X (« N'embêtez pas trop le DOGE »), il ne m'a rien dit.

Alors j'ai donné ma langue au chat, à mon chatbot (mon agent conversationnel ne veut pas que je révèle son identité), et celui-ci m'en a donné les noms, et même les visages.

Et dans les six DOGE kids (au service du milliardaire pour prendre le contrôle de l'État américain) il y a Luke Farritor !

Previously, comme on dit dans les séries américaines, « rappel des épisodes précédents ». Luke Farritor est un des trois vainqueurs du Vesuvius Challenge.

Celui qui « le premier a sorti un mot grec de sa prison ».

Celui qui est parvenu à déchiffrer au moins quatre passages de texte, chacun de plus de 140 caractères.

Celui qui a « déverrouillé les secrets de la Rome antique».

Pour cet exploit il a remporté, avec ses co-winners, le Grand Prix (700,000 dollars). 

Et un an plus tard, alors qu'il a à peine 23 ans, il se retrouve avec cinq autres jeunes ingénieurs, tout aussi dévoués à leur mentor et dénués de scrupules, à la tête du DOGE ou « Département de l'efficacité gouvernementale ». Chargé de repérer l'idéologie woke (honnie de Trump et de Musk), de la traquer, de l'éliminer. Ou encore de couper dans le programme de lutte contre un changement climatique auquel ils ne croient pas.

Celui qui a déverrouillé les secrets de la Rome antique
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6 février 2025 4 06 /02 /février /2025 08:01

Sorti de la tête d'un poète -de Gabriele D'Annunzio si l'on en croit la légende-, sorti tout habillé, d'abord d'un complet-veston dans la bonne vingtaine de films muets dont il est le héros récurrent, puis de muscles, de ses seuls muscles quand, à l'instar d'Hercule, il nous donne à voir ses fatiche, ses travaux (il y en aura plus de douze!) dans des films scope-couleur, Maciste devient Maciste au tournant des années soixante.

C'est le formidable succès, en 1957, des Douze travaux d'Hercule, qui fait basculer sa carrière. On tourne Hercule sur Hercule, se disent les producteurs. Pourquoi ne pas ressusciter cette vieille gloire du cinéma muet? Il quittera son costume un peu élimé de détective et montrera comme Hercule ses muscles. Et comme lui incarnera le Bien.

On le verra ainsi, entre 1960 et 1964, jouer dans vingt-cinq films le rôle du redresseur de torts, à la force herculéenne.

Affrontant des hommes-taupes, esclaves des ténèbres, dans Maciste, l’homme le plus fort du monde (1961).

Bravant les forces militaires du redoutable empereur Kublai Khan pour venir au secours du peuple chinois, réduit en esclavage, dans Le Géant à la cour de Kublai Khan (1961).

Se battant sur tous les fronts pour sauver les humains dans Maciste contre le Cyclope (1961).

Tuant un monstre aquatique et vainqueur de l'Hydre à trois têtes dans Maciste contre les monstres (1962).

Dans Le Trésor des Tsars (1964), un colosse est retrouvé congelé par des archéologues russes. Ramené à la vie, l'homme le plus fort du monde refuse de servir le pouvoir autocratique de Nicolas, il prend le parti du peuple russe opprimé.

Il combat tour à tour, et parfois simultanément, Hercule, Samson, Zorro et, dans Maciste contre les hommes de pierre (1964), des extra-terrestres venus de la Lune.

On le retrouve dans une parodie de péplum avec Totò dans Totò contre Maciste (1962).

Dans Maciste contre la reine des Amazones, un film érotique sorti dans les salles françaises en 1974 sous le titre Les Amazones de la luxure.

Et, en 1975, dans Les Gloutonnes, également connu sous le titre Les Exploits érotiques de Maciste dans l'Atlantide.


 

Voilà pour les travaux d'Hercule. De cet Hercule du pauvre que les méchants voyaient en lui. Et qu'il fut. Et de plus en plus.

Et puis le vent a tourné. La fortune est arrivée, lui offrant une troisième vie, un nouveau personnage, celui de l'oligarque en proie à l'hybris. De « l'homme le plus riche du monde ». De l'être qui n'est qu'un corps. Constitué d'instincts et désirant accroître sa puissance.

Oubliés les nanars, les navets, Maciste enchaîne les succès. Il tourne film sur film. Un film par jour. Un jour c'est Maciste contre Thierry Breton. Contre Bruxelles. Le suivant c'est Maciste contre les idiots (Olaf Scholz, Keir Starmer). Contre le Tyran (Steinmeier). On ne l'arrête plus. On le voit partout. L'ancienne gloire du muet a son mot à dire sur tout.

Aujourd'hui, 25 janvier 2025, à deux jours des cérémonies du 80e anniversaire de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz, celui qui n'a pas fait un salut nazi est intervenu dans un meeting, via vidéo, pour soutenir une nouvelle fois l'AFD. Qui incarne selon lui «le meilleur espoir pour l’Allemagne». Dans une intervention décousue, mais sous les applaudissements nourris du public, il a loué la «nation allemande» qui remonte à «des milliers d’années». L’empereur romain Jules César avait déjà été «impressionné» par la volonté de combattre des tribus germaniques. Le gouvernement actuel «réprime agressivement la liberté d’expression», a-t-il encore affirmé. L’AFD doit donc «se battre, se battre, se battre», notamment pour «plus d’autodétermination pour l’Allemagne et pour les pays d’Europe et moins de Bruxelles».

Le 9 janvier, il s'était « entretenu » avec la cheffe de l'AFD, en direct sur son réseau social X. Interrogée sur les idées qu'elle défend, Alice Weidel avait profité de l'occasion pour tenter de dédiaboliser son parti et d'en promouvoir le libertarisme. Et bien sûr de se démarquer d'Hitler. Qui était tout sauf un conservateur.

« Sous le IIIe Reich, les national-socialistes, comme le dit leur nom, étaient socialistes, avait-elle osé. Hitler était communiste et se considérait comme socialiste. L’État a (sous Hitler) nationalisé l’industrie et relevé les impôts. »

 

Voilà comment Maciste devient, sous nos yeux, suprémaciste, comment le champion du droit et du Bien met sa force herculéenne au service du Mal : du racisme le plus décomplexé.

En soutenant l'AFD en Allemagne et l'UKIP au Royaume-Uni, en s'appuyant sur Viktor Orban et surtout Giorgia Meloni pour déstabiliser l'Europe.

Giorgia Meloni, une amie, invitée à rencontrer Trump à Mar-a Lago.

Lequel déclare : « Je suis ici avec une femme fantastique, la Première ministre d’Italie. Elle a conquis l’Europe ».

Giorgia Meloni s'apprête à signer un contrat avec Starlink. Une démarche qui viole le principe de coopération loyale avec les autres pays membres associés au projet IRIS2. Et qui représente un risque majeur pour la sécurité intérieure de l'Italie et de l'Union Européeenne, car Starlink vehiculera aussi les communications classifiées entre services secrets civil et militaire. 

Mais c'est si peu important. Moins important en tout cas que les 3 millions de dollars alloués par la Fondation Musk pour financer des recherches sur la Rome antique. Avec deux grands domaines d’intervention : l’un consacré à la conservation du patrimoine archéologique romain, l’autre axé sur le déchiffrage des papyrus d'Herculanum, des 1838 rouleaux carbonisés par l'éruption du Vésuve en 79 après Jésus-Christ, et que l'on a commencé à lire.

Grâce à un trio de chercheurs (dont Luke Farritor, étudiant en stage chez SpaceX), grâce à la tomographie à rayons X et à l'Intelligence Artificielle, est apparu le mot πορφύραc (porphyras), « pourpre » en grec ancien. C'est le premier mot lu sur un rouleau d'Herculanum non ouvert. Sans que le papyrus soit déroulé physiquement.

Mais les vainqueurs du Vesuvius Challenge ont aussi révélé plusieurs passages presque complets du texte ancien.

Un texte de Philodème de Gadara, peut-être écrit de sa main.

Philodème de Gadara -aujourd'hui Umm Qays, en Jordanie-, passé par Athènes et venu professer la philosophie d'Épicure en Campanie. Où il installe son « jardin », et sa bibliothèque. Dans une somptueuse villa, proche d'Herculanum, propriété de Pison -Lucius Calpurnius Piso Caesoninus-, homme politique romain du Ier siècle av. J.-C., dernier beau-père de Jules César et protecteur de Philodème.

En mars prochain, une sélection de papyrus sera amenée à Oxford pour des numérisations haute résolution à l’aide d’un accélérateur de particules, une technique innovante qui permettra d’obtenir des images détaillées sans endommager les textes. Les données seront ensuite traitées aux États-Unis où un autre mécène, autrement plus riche que Pison, trouvera, si d'aventure il les lit, matière à réflexion. Sur l'utilité dans l'amitié. Sur l'usage qu'on peut faire de son argent. Où il pourra aborder les questions qu'on se posait dans cette somptueuse villa, sur le Belvédère en regardant les bateaux qui continuaient vers la Corse, la Sardaigne, en songeant au naufrage, demander à Philodème de Gadara si la richesse va vraiment avec la vertu. Ou si c'est, comme le bateau d'Ulysse, un rêve qui passe. Qui est passé.

L'homme le plus riche du monde
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25 janvier 2025 6 25 /01 /janvier /2025 08:28

La guerre des deux n'aura pas lieu. Le combat entre Musk et Zuck qui a tant fait parler (c'était le but), qui devait être retransmis (en direct) sur X et sur les réseaux sociaux du groupe Meta, est oublié. Oubliée la cage de MMA. Oublié le Colisée. Pour le « lieu épique », on repassera.

On veut croire que Giorgia Meloni n'a pas fait le voyage pour ça. Pour s'entendre demander le droit d'organiser « une sorte de péplum en Italie ». Leur complicité est plus ancienne. Leurs affinités sont plus profondes. Entre la néo-fasciste et le gladiateur d'extrême droite, « c'est du sérieux ». On est bien au-delà de la tocade. De la romance. Ou, si c'en est une, c'est Muskloni, un baiser généré par l'IA et devenu vidéo virale. Un fake comme on les adore chez X, et comme on les propage. Et qui sonnera toujours moins faux que la toute nouvelle idylle entre les adversaires d'hier. Entre celui qui n'en finit pas de montrer ses muscles, et celui qu'il traitait il n'y a pas si longtemps de chicken : « mauviette ». Elon et Giorgia, c'est une histoire d'hommes. De mecs qui en ont. Dans le slip ou dans le soutif.

Des grosses, comme celles que montre la Meloni quand elle joue avec son nom. Dans cette vidéo postée sur TikTok où elle nous fait voir ses seins. Qui sont comme vos couilles (dit-elle à ses « Frères d'Italie » avec ce qu'elle tient dans ses mains), de vrais « melons » (meloni en italien).

Ces deux couillus devaient forcément se rencontrer. Et ils sont faits pour s'entendre. Ils ont l'un et l'autre le melon. Et ils regardent dans la même direction. Celle qu'indique Elon Musk, avec son salut bras tendu.

Mais ne leur parlez pas d'Hitler. « Tout le monde est Hitler », se défend le milliardaire qui dénonce un « coup tordu ». Ceux qui l'attaquent doivent se rendre à l'évidence : l'hégémonie culturelle de la gauche, c'est fini, la gauche a perdu la bataille des idées.

C'est vrai aux États-Unis où Joe Bidon s'est retrouvé K.O. avant même de combattre. Mais la guerre contre « l'état profond » ne fait que commencer. Contre le wokisme. Et contre les migrants que Trump qualifie d' « animaux ». Ceux-là (qui viennent manger nos chiens et nos chats), il faut bien sûr les expulser.

Les « recracher », dirait Poutine avec son moucheron. Comme tout ce qui n'est pas nous. Et que nous avons avalé par accident.

C'est vrai aussi au pays de Gramsci. Regardez Le Temps du futurisme, l'exposition que l'on peut voir, jusqu'au 28 février 2025, à la Galerie nationale d'art moderne de Rome (Gnam). Dans cette exposition « conçue en Italie, par des Italiens », il y a un grand absent : le fascisme. La violence qui fascinait les artistes se réclamant de ce mouvement a disparu. Comme par enchantement.

Cette exposition qui célèbre le 80e anniversaire de la mort de Filippo Tommaso Marinetti (lequel voyait la guerre comme une œuvre d'art) occulte la dimension guerrière et nationaliste du futurisme et ne retient que la vitesse, la technologie, le progrès : « le lien entre ce courant artistique et l'innovation des sciences de l'époque ».

Qui est d'abord, on l'a compris, celle de Meloni. Dont on connaît la technophilie. Et l'empressement à défendre, quand il est injustement attaqué, le « génie » Elon Musk.

Ce salut qui n'est pas nazi se retrouve pourtant sur la page Wikipédia d'Elon Musk. Ce que n'apprécie pas du tout le patron de Tesla et SpaceX qui veut en découdre avec Jimmy Wales, cofondateur avec Larry Sanger de la célèbre encyclopédie en ligne, collaborative et libre.

Ces deux-là ne partiront pas en vacances ensemble, mais ils se retrouveront. Au Colisée ou « dans une sorte de péplum en Italie ».

Meloni lui doit bien ça.

Un nouveau Maciste. Suprémaciste (blanc).

Ce super héros a pris un peu de bide, mais il a (faut-il le rappeler?) vaincu les géants, les monstres, les hommes de pierre, le Cyclope, le Vampire : il ne craint pas la surenchère de virilisme et d'hémoglobine. C'est un futuriste avant la lettre. Et après. Qui saura lutter (efficacement, dira Musklor) contre les migrants, le wokisme, l'état profond.

En attendant, Giorgia Meloni est en passe de signer un contrat de cybersécurité à plus d'un milliard d'euros avec SpaceX.


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23 janvier 2025 4 23 /01 /janvier /2025 07:39

Dans le rôle du jaloux, je verrais bien NVIDIA. Un pionnier du calcul accéléré. Qui bat aujourd'hui, dans le domaine de l'intelligence artificielle, des records de vitesse.

NVIDIA, je me dis, c'est écrit dans son nom.

On voit bien d'où il vient, de quel mot latin. Invidia : « l'envie » ; « la jalousie ».

La jalousie, m'explique-t-on chez NVIDIA, c'est d'abord celle que nous suscitons. Oui, nous faisons des envieux. Inutile d'en rajouter. Notre logo est suffisamment parlant, qui rendra vert plus d'un concurrent, et chassera, nous l'espérons, le mauvais œil.

La concurrence est là. C'est là qu'il faut chercher « l'envie » ; « la jalousie ». Chez Elon Musk. Ou plutôt Kekius Maximus. C'est son nom de gladiateur. Qu'il descende dans l'arène ou qu'il monte sur le ring, c'est celui qu'il portera. Dans ses combats. De MMA. Le prochain l'opposera à OpenAI. Mais il a déjà commencé. Avec la création de xAI. Et quand il dévoile, peu de temps après, le premier produit de la start-up : l’IA générative Grok, qu’il souhaite positionner devant ChatGPT.

Le MMA vient du free fight, un sport brutal où, à l'origine -au Brésil, dans les années 20- tout était permis :  coups de poing, coups de pied, projections, frappes au sol et soumission. Heureusement -malheureusement, diront une fois de plus les libertariens- les combats ne sont plus aussi libres qu'avant. Il existe aujourd'hui plus d'une trentaine d'interdictions qui peuvent valoir des points en moins et/ou une disqualification : les combattants n'ont pas le droit de tirer les cheveux, de mordre, de pincer, de cracher, de mettre les doigts dans la bouche, le nez, les oreilles, les yeux de l'adversaire -de chercher à les crever-, de porter des coups à la nuque, à la gorge, à la colonne vertébrale, aux reins, aux articulations, aux genoux et aux parties génitales.

Des règles que le tout frais ministre de l'efficacité gouvernementale rêve sans doute d'abolir.

Comme l'a fait, à peine élu, son Président. Avec le décret exécutif de 2023 qui visait à encadrer les modèles d'IA. Qu'il s'est empressé d'abroger, détricotant méthodiquement -ostensiblement- tout ce qu'a signé Biden.

Kekius Maximus ne peut qu'approuver, qui voit là de nouvelles opportunités. De nouveaux combats. Où tout serait enfin permis.

Il triomphe moins quand ledit Président, le lendemain de son investiture, annonce son méga projet, baptisé « Stargate », comprenant des investissements d' « au moins 500 milliards de dollars » aux États-Unis. Pour lequel s'allient les géants de la tech, Oracle et Softbank. Et OpenAI, son principal adversaire.

En août 2023, son adversaire s'appelait Mark Zuckerberg. C'est lui qu'il voulait affronter au Colisée, rien que ça. Qu'il provoquait. Avec cette question qui rappelle la blague grivoise de la scénariste et sex-symbol Mae West (Is that a gun in your pocket, or are you just pleased to see me?), mais elle est (soi-disant) de Jules César. Et en latin :

Estne volumen in toga, an solum tibi libet me videre ? « Là, dans ta toge, c'est un rouleau ou t'es juste content de me voir ? »

Volumen : « rouleau ». Scroll en anglais. Un livre enroulé. Un livre qu'on ne feuillette pas, pas encore, mais que l'on fait déjà défiler vers le bas. Que l'on scrolle. Littéralement.

Zuckerberg ayant fait allégeance à Trump, son unique adversaire, le seul qui soit digne de Kekius Maximus, maintenant, c'est OpenAI. C'est ChatGPT qu'il veut battre avec l’IA générative Grok.

Pour parvenir à ses fins, il lui faut encore plus de puissance de calcul, sécuriser un approvisionnement constant de GPUs H100. Le GPU H100 est la puce la plus puissante du marché, conçue spécifiquement pour les applications d'intelligence artificielle. Le H100 compte 80 milliards de transistors (des composants électroniques essentiels au fonctionnement d'une puce), soit 6 fois plus que son prédécesseur, la puce A100. Cela lui permet de traiter de grandes quantités de données beaucoup plus rapidement que les autres GPU.

Mais cela ne va pas assez vite pour Kekius Maximus. C'est pourquoi il met la pression sur les chaînes d'approvisionnement afin qu'elles répondent dans les meilleurs délais aux demandes massives (à commencer par les siennes) de GPUs H100, les puces de NVIDIA les plus utilisées (pour les datacenters, les supercalculateurs, etc.). Dans ce match qui sera forcément sanglant, tous les coups sont permis.

Maximus VS Commode : voici l'affiche. Des deux, qui l'emportera ? L'histoire le dira. Ou Gladiator 3. Ridley Scott est prêt, et Paul Mescal qui joue Lucius, le fils de Maximus dans le deuxième volet, est très enthousiaste à l'idée d'un troisième opus.

Maciste contre le Cyclope. Réalisé en 1961 par Antonio LEONVIOLA.

Maciste contre le Cyclope. Réalisé en 1961 par Antonio LEONVIOLA.

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21 janvier 2025 2 21 /01 /janvier /2025 09:12

Pourquoi Elon Musk est-il obsédé par le latin ?

C'est la question que se pose Le Point. Le 16 janvier 2025.

Christophe Ono-dit-Bio constate, dans sa Minute antique, qu'il s'est rebaptisé sur X Kekius Maximus. Qu'il multiplie les tweets dans la langue de Virgile : Per aspera ad astra (« Vers les étoiles à travers les difficultés »), Vox populi vox dei  (« La voix du peuple est la voix de Dieu »), Dulce est desipere in loco (« Il est bon quelquefois d'oublier la sagesse »), ou encore, avec un jeu de mots sur X, Deus X machina (pour dire l'intervention imprévue d'un dieu).

La suite étant réservée aux abonnés, je n'ai pas la réponse à la question que Le Point a posée.

Mais j'ai ma petite idée.

Pour commencer, il y a la référence à Gladiator, le film de Ridley Scott. Son pseudo sur X vient évidemment de là, du rôle qu'interprète Russell Crowe, de Maximus : un général romain,  le plus fidèle soutien de l'empereur Marc Aurèle, qu'il a conduit de victoire en victoire. Comme il a fait, lui, avec Donald Trump. Jusqu'à sa réélection et après.

Après, il est possible que son ascension fulgurante, que son triomphe de moins en moins modeste, que la place qu'il occupe dans la campagne et dans le cœur de Donald Trump suscite des vocations.

Qui sera le jaloux dans la vraie vie ? Qui jouera le rôle du fils de Marc Aurèle? Quel Commode s'arrogera brutalement le pouvoir ? Qui ordonnera l'arrestation du Kéké Maximus et son exécution ? L'histoire le dira.

Pour lors, la seule arène qu'il connaisse, c'est celle où descend Donald Trump à chacun de ses meetings. Celle où il retourne en vainqueur, le 20 janvier 2025, et où son fidèle soutien adresse à la foule réunie pour acclamer l'imperator un salut romain. C'est-à-dire fasciste.

Et l'unique vengeance à laquelle il pense, à laquelle il travaille, c'est celle de Donald Trump. Plus vindicatif que jamais. La vendetta dans laquelle il est engagé, du moment qu'il n'en fait pas les frais, ne lui pose pas de problème. Au contraire. Elle donne au gladiateur l'occasion de montrer ses talents. Et d'étaler son latin.

Qui redevient grâce à lui la langue de l'Empire. Et des impérialismes.

Kéké Maximus
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18 janvier 2025 6 18 /01 /janvier /2025 13:47
Le gazouillis des éléphants

C'est sous ce titre que paraît, en 2017, le livre de Bruno Montpied. (1)

Un beau livre qui se présente comme une « tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présents et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir de leurs auteurs et de quelques amateurs de passage. »

Ce titre apparaissait mystérieux. Et il l'est resté. Du moins pour ceux qui ne s'intéressent pas aux «  sites, environnements ou petits '' musées '' créés en plein air par des autodidactes, non professionnels de l'art quoique inventifs, appelés précédemment par certains auteurs '' inspirés du bord des routes '', '' habitants-paysagistes '', voire '' bâtisseurs de l'imaginaire ''. »

Un titre qui résonne singulièrement aujourd'hui où beaucoup envisagent de quitter Twitter pour Mastodon. Pour cesser d'enrichir Elon Musk en twittant et se faire, enfin, pouet-pouet entre poètes.

Bon, je remballe mon humour (pouet pouet) et je me demande (sérieusement) si le mot tweet, entré en 2010 dans le dictionnaire, ne va pas bientôt en sortir. S'il ne faut pas déjà ajouter la mention « vieux » ou « vieilli ». Comme fait le Larousse avec Minitel.

Ce qui ne risque pas d'arriver à gazouillis. Qui ne l'a jamais vraiment remplacé, même au Canada. Où l'on n'a pas l'impression que Donald Trump gazouille quand il met en ligne ses gazouillis furibonds au petit matin.

Où demain on pouétera. Comme partout. On partagera des messages, images et autres contenus. On repoussera la limite (sur la quantité de texte pour un post), on ira jusqu'à 500 caractères (contre 280 sur Twitter).

Et on repouétera. Comme hier on repostait ou retweetait.

 

 

(1) Édition revue et mise à jour Collection Albums Beaux Livres - Hoëbeke

Hoëbeke Gallimard Parution 31-10-2024.

 


 

Le gazouillis des éléphants
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12 janvier 2025 7 12 /01 /janvier /2025 08:52

« Les sciences de la nature et de la terre se révèlent avec grâce et charme aux yeux du promeneur attentif, qui bien entendu ne doit pas se promener les yeux baissés, mais les yeux grands ouverts et le regard limpide, si du moins il désire que se manifeste à lui la belle signification, la grande et noble idée de la promenade. »

Robert Walser : La promenade, L’imaginaire Gallimard, 2007, Trad. de l'allemand (Suisse) par Bernard Lortholary.

 

Cette épigraphe éclaire le titre, et le contenu du livre. Son esprit. Celui que Walter Benjamin retrouvait dans les personnages de Robert Walser  : « l’esprit pur et vif de la vie convalescente ». L'épicurisme que l'on rencontre chez ceux qui ont surmonté la maladie et qui souhaitent jouir d'eux-mêmes.

 

Ce titre n'est pas là pour nous égarer, nous lancer sur de fausses pistes. Il est bien question de promenade, dans ce livre. De ces promenades que Jean-Jacques Salgon effectuait déjà, dans son enfance, et qui le conduisent aujourd'hui à Nîmes & alentour. Des promenades qui sont des « échappées quotidiennes pourtant bien circonscrites dans l'espace et le temps ».

 

« Peu importe, la liberté, je l'ai appris depuis, n'est bien souvent qu'une trouée miraculeuse dans l'épaisseur compacte des contraintes et l'exaltation que l'on éprouve parfois à se sentir libre est toujours éphémère. »

 

Ce ne sont pas, bien que Jean-Jacques les évoque dans son livre, les rêveries d'un promeneur solitaire.

C'est la promenade, les « yeux grands ouverts et le regard limpide », d'un « promeneur attentif ». D'un flâneur, dirait Walter Benjamin. Qui a un but, qui s'y tient, et qui n'en est pas moins ouvert à la rencontre.

Contrairement aux Surréalistes qui pratiquaient la déambulation sans but, Jean-Jacques Salgon a un objectif. Remonter à la source, aux Sources du Nil, ou comme ici « aux sources d'Eure, sources qui sont peut-être aussi les sources du Temps. »

Aller des vestiges du Castellum divisorium ou Castellum aquae, point d'arrivée de l'aqueduc de Nîmes, jusqu'à « l'ancienne prise d'eau qui se situait tout près d'Uzès, dans la vallée de l'Alzon », c'est là le projet du livre. Le trajet qu'accomplit Jean-Jacques Salgon. Le rêve aussi qu'il poursuit: de « plonger et nager dans les eaux bienfaisantes des sources d'Eure, venues depuis Uzès en passant par l'aqueduc du Pont du Gard, pour alimenter ces bains. »

C'est d'abord un défi qu'il se lance, une contrainte et qui doit libérer ; et pas seulement l'inspiration. La promenade est aussi bienfaisante que les eaux que l'on venait prendre autrefois à Nîmes. À condition que le promeneur garde les yeux ouverts. Qu'il reste attentif à L'infra-ordinaire, comme dirait Georges Perec. Qu'il fasse l'inventaire de tout ce qui s'offre à la vue, de tout ce que recèle comme merveilles la route qu'il suit. Comme traces présentes du passé. D'autant plus présentes qu'elles sont pour la plupart arasées. Ou carrément effacées.

Ou difficiles à déchiffrer, comme ces inscriptions gallo-grecques (langue gauloise en alphabet grec), comme cet ex-voto dédié « aux Mères Nîmoises ». Qui pouvaient comme les eaux se montrer bienfaisantes. Si on les invoquait et les remerciait selon le rite et avec les formules consacrées. Soigner aussi bien que Catherine Durillon, pédicure podologue dont on découvre au numéro 34 la plaque dorée en remontant l'avenue Jean-Jaurès. Tandis que sur l'autre trottoir, à la hauteur du n°1, c'est une « constellation constituée de 22 plaques toutes plus rutilantes les unes que les autres ». Jean-Jacques Salgon, à la manière de Georges Perec, nous en donne le détail.

Passé le plaisir de l'aptonyme -et de l'inventaire-, c'est, quelques pages plus loin, juste après les « Mères Nîmoises », cette réflexion :

«Plutôt que les déesses nîmoises, ce sont donc à mes yeux les 22 plaques médicales du 1 avenue Jean-Jaurès qui me paraissent faire écho aujourd'hui à cet antique ex-voto que l'on peut toujours voir exposé au musée de la Romanité. » 

Ainsi procède le promeneur. Il suit un itinéraire, il ne dévie pas de sa route. Mais ce qui a accroché le regard, retenu son attention et éveillé sa curiosité, ne laisse de le turlupiner. Cela chemine avec lui, ralentit sa marche, le fait revenir sur ses pas, Cela donne au texte son rythme, qui est d'abord celui de la pensée, son allure qui n'est pas celle de l'homme pressé, mais du flâneur.

 

Ainsi allons-nous, au gré de ses humeurs. Ainsi progressons-nous. De digression en digression.

Il nous perd un peu quand il met ses pas dans les pas de Vérédème jusqu'à son repaire du Gardon où il est rejoint par un autre anachorète, Gilles, de son vrai nom Aegidios, Grec tout comme Vérédème. Mais la cohabitation se passe mal, et ces chamailleries érémitiques lui rappellent la brouille, bien des siècles plus tard, entre Van Gogh et son ami Gauguin dans la Maison jaune d'Arles. Quand Gilles se voit chassé par Vérédème, Jean-Jacques Salgon se transporte avec lui en Hispanie wisigothique. Et les revoici, quelques pages plus loin, du côté de Saint-Gilles-du-Gard.

« Mais qu'ai-je ainsi à vouloir mettre toujours mes pas dans les pas d'un autre ? Je m'interroge. Je le fais dans l'espoir de parvenir à recueillir quelques traces d'un passé qui me viendrait en soutien, comme si le présent ne me suffisait pas, comme s'il fallait que le passé vienne combler un réel défaillant, un trop peu de réalité. »

 

Celui qui marche rencontre d'autres solitaires. Forcément. Si ce n'est pas sur son chemin, c'est en des temps que Proust dirait mérovingiens.

Revenons avec lui à la recherche : à l'AQUEDUC (qu'il ne perdait pas de vue en suivant Vérédème et Gilles) ; et au projet de remonter aux sources (dont il ne s'est pas, comme nous le croyions d'abord, écarté).

 

Nous commençons par Nîmes. Nous avançons par étapes. De Nîmes à Sernhac. De Sernhac à Saint-Bonnet. Des combes de Remoulins au Pont du Gard. Du Pont du Gard à Vers. De Vers à Saint-Maximin. Et pour finir Val d'Alzon et Sources d'Eure. En amont des sources d'Eure.

 

Quand le chemin est ingrat, on « est parfois contraint de s'élever un peu pour contourner un obstacle, roc de calcaire escarpé aux arêtes tranchantes, taillis trop dense, avant de vite redescendre pour ne pas risquer de perdre le fil d'Ariane qu'est le tracé supposé de l'aqueduc. Mais quelle joie quand nous tombons sur un vestige, morceau de mur bajoyer en petit appareil, bloc de radier, entaille dans la roche contre laquelle s'appuyait l'antique canal, paroi encore recouverte de son mortier de tuileau, portion de conduit empli de broussailles ou de feuilles mortes. Tout cela surgit de l'oubli pour apparaître à nos yeux comme une providentielle récompense. »

 

Juste avant le Pont du Gard. Qui ressemble, quand il apparaît, au paquebot Titanic ou à un Tyrannosaurus rex

 

Pour le temps retrouvé, il faut encore marcher quelques pages. Et ce ne sont pas les moins belles.

LE PROMENEUR ATTENTIF
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